Jeux vidéo
Vice-président Europe d’Activision, l’un des principaux éditeurs de jeux vidéo, Michaël Sportouch détaille pour Stratégies les stratégies de communication pour le lancement d’un nouveau jeu, comme le nouveau volet de Call of Duty qui sortira le 4 novembre, juste après la Paris Games Week qui se tient à Paris du 27 au 31 octobre.

Le jeu vidéo pourrait devenir bientôt le premier secteur économique du marché des loisirs en France. Cela vous étonne-t-il?

Michaël Sportouch. Non. En fait, aujourd’hui, en intégrant toutes les dimensions du jeu vidéo, plus de la moitié de la population française joue. Grâce à la multiplication des plateformes et des modes de consommation, la pratique est entrée dans les habitudes des Français.

 

Est-ce devenu un loisir transgénérationnel?

M.S. Absolument. Personnellement, j’ai grandi avec les premiers jeux vidéo, et désormais, en tant que parent, ce sont mes enfants qui me font découvrir des jeux, notamment sur les téléphones mobiles. Le jeu vidéo se pratique maintenant en famille. Les parents d’aujourd’hui sont connectés et possèdent cette culture des jeux vidéo, que nos parents, eux, n’avaient pas.

 

Une nouvelle version de Call of Duty sera disponible le 4 novembre. Comment se déroule le lancement d’un jeu?

M.S. La création de Call of Duty Infinite Warfare a nécessité le travail de trois studios, en Californie. Soit, en comptant les intermédiaires, jusqu’à 1500 personnes en même temps lors des pics de production. Il s’agit d'un investissement humain, industriel et financier aussi énorme qu’un projet cinéma chez Pixar, par exemple. D’ailleurs, les coûts de développement d’un jeu vidéo sont proches de ceux de blockbusters hollywoodiens. Chaque studio met trois ans pour créer un jeu, et grâce à un système de rotation, nous pouvons sortir une version nouvelle tous les ans.

 

Un nouvel opus par an, est-ce une stratégie marketing?

M.S. Non, il n’y a aucune nécessité de cet ordre. Call of Duty est joué par plus de 30 millions de personnes dans le monde. Ce sont des passionnés, extrêmement engagés et particulièrement demandeurs d’informations. Pour cela, un jeu vidéo est comparable à un format TV, comme une série dont les saisons se renouvellent annuellement, ou un championnat de football, telle la Ligue des champions qui revient tous les ans. Nos fans ont besoin d’être nourris en contenus et d’avoir des innovations technologiques.

 

Comment parlez-vous à vos fans?

M.S. Nos joueurs sont au cœur de toutes nos stratégies marketing. Nous avons la chance d’avoir une communauté très connectée, active et réactive. Une mise en appétit commence dès février ou mars grâce à une vidéo qui révèle l’univers du prochain jeu [qui ne sortira qu’à l’automne]. Le dialogue est permanent avec eux. Durant toute la campagne, nous sommes extrêmement attentifs à la manière dont réagit notre communauté. Chaque bande-annonce, vue plusieurs millions de fois, ou informations sur le jeu génèrent des interactions. Tout est géré par nos community managers.

 

De combien de community managers disposez-vous?

M.S. De plusieurs centaines. Leur travail est de faire remonter les grands thèmes de débats sur les forums et réseaux sociaux. Ils sont intégrés au sein des studios et répartis dans différents territoires, car la perception d’un jeu peut être différente selon le pays. Nos équipes marketing prennent en compte ces feed-backs. Les observations de nos joueurs peuvent même influencer la construction du jeu.

 

Utilisez-vous encore les médias classiques? 

M.S. Avec plus de 1,5 million de joueurs en France pour Call of Duty, on peut dire que l’on est un peu grand public. Toutefois, même si le marketing communautaire et digital restent notre priorité, il est important aussi d’aller chercher un public plus large. C’est particulièrement le cas en fin d’année, où nous investissons les grands médias pour bénéficier d’une communication un peu plus rouleau compresseur. La télévision est toujours utilisée, mais, pour nous, c’est un média secondaire qui vient en complément de notre stratégie communautaire.

 

Les ambassadeurs sont-ils importants pour un jeu vidéo?

M.S. Oui, mais comme notre communauté est passionnée et informée, le critère prioritaire est l’authenticité. Les personnalités doivent être crédibles et parfaitement connaître l’univers des jeux. C’est le cas, par exemple, pour les deux joueurs de handball, les frères Nikola et Luka Karabatic, partenaires du jeu Destiny, dont ils sont joueurs et fans par ailleurs. C’est le cas aussi du pilote de Formule 1 Lewis Hamilton avec Call of Duty. Il est aujourd’hui intégré dans la campagne marketing du jeu.

 

Quels sont les moyens engagés pour le lancement d’un nouveau jeu?

M.S. Nous ne communiquons jamais sur ces montants, mais généralement c’est l’équivalent d’un gros lancement de film. Nous ajoutons aussi toujours un volet événementiel comme la possibilité de tester le nouveau jeu avant sa sortie commerciale. C’est le cas à la Paris Games Week. Avec plus de 300 000 visiteurs, c’est devenu l’un des salons les plus importants en France. Il y a même très peu de conventions de cette dimension-là dans le monde.

 

Quelle est aujourd’hui la principale problématique pour un éditeur de jeux vidéo?

M.S. Notre objectif est d’aller conquérir un public de plus en plus large, sans pour autant perdre le cœur de notre communauté. Avec Call of Duty nous ne sommes pas dans une stratégie de conquête. Notre but est d’engager encore plus nos 1,5 million de joueurs en France. Notre intérêt est de les pousser à jouer encore plus, plutôt que de trouver de nouveaux acheteurs qui, peut-être, ne joueront qu’une fois. L’objectif est de faire vivre cette communauté afin d’avoir une base importante de joueurs récurrents sur nos plateformes. Nous avons aussi observé que plus un joueur passe de temps sur son jeu, plus il est disposé à acheter des contenus supplémentaires: des cartes, des missions, des personnages, des armes…

 

Que représentent les produits dérivés dans les revenus d’Activision?

M.S. Ils deviennent des recettes non négligeables. Mais, là encore, nous restons précautionneux. Tous ces produits doivent répondre aux attentes des fans. Côté cinéma, il n’existe pas encore de films Call of Duty. Toutefois, Activision a créé une division studios dont le but est de prolonger les univers de nos jeux sous d’autres formes de médias. Ainsi, Skylanders sera bientôt déclinée en une série TV disponible sur Netflix. En revanche, nous ne faisons quasiment aucun placement produit, car nos jeux ne s’y prêtent pas.

 

L’e-sport peut-il être un levier de développement important?

M.S. Oui, mais nous préférons travailler avec des partenaires pour les organisations,  comme l’ESWC. Nous préférons être là pour les aider, leur donner des moyens comme la recherche de sponsors ou la diffusion des images. Il y a un réel engouement autour de l’e-sport, et la discipline va rapporter de l'argent. Mais aujourd’hui, nous sommes davantage dans une phase d’investissement. Aux Etats-Unis, Activision a acheté MLG TV, société organisatrice d’événements e-sport, mais surtout spécialisée dans la captation d’images et la diffusion grâce à sa plateforme. Selon nous, la diffusion est essentielle.

 

Espérez-vous voir l’e-sport aux Jeux olympiques ?

M.S. Pourquoi pas? Mais je dois dire, sans prétention, que nous sommes surtout très sollicités par les fédérations sportives, les organisateurs d’événements et les diffuseurs audiovisuels. Regardez comment cela bouge dans le football: en France, la Ligue de football professionnel vient de lancer le championnat de France e-Ligue 1. Quant aux JO, peut-être qu’un jour le Comité international olympique nous approchera. Disons clairement les choses: aujourd’hui, les 13-25 ans sont moins intéressés par regarder la finale du 100 mètres des Jeux olympiques que les championnats du monde de Call of Duty.

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