Dossier Portrait
De toutes les générations, celle des 20-30 ans est sans doute la plus complexe à décrypter. Bouleversant les usages, elle cultive les paradoxes, mais il ne s’agit là que d’apparence.

Le marketing aime faire entrer les consommateurs dans des cases, mais la génération des 20-30 ans offre en l’espèce quelques résistances. Millennials pour les uns, génération Y ou digital natives pour les autres, Yolo («you only live once», on ne vit qu'une fois), génération Peter Pan…, il est déjà difficile de la nommer. De fait, elle excelle à brouiller les cartes.Les profils en sont hétérogènes: d’un côté des étudiants souvent dépendants de leurs parents, de l’autre de jeunes actifs plus indépendants, parmi lesquels des célibataires et d’autres commençant à construire une famille. Et des besoins et moyens différents pour subvenir à leur vie. Une majorité de ses individus fait partie des digital natives et a passé la majeure partie de sa vie dans un monde en crise : économique, sociale, politique et climatique.

Malgré cette diversité, ces millennials ne manquent pas de points communs, indique Kantar Millward Brown. Ainsi, tous recherchent le plaisir et apprécient le beau: «Ils aiment se mettre en scène et attendent des marques qu’elles les aident à se démarquer, détaille la société d'études. Ils veulent aussi qu’elles apportent de la praticité dans leurs usages – courses en ligne, cuisine, etc.» Le tout sans être intrusives, bien entendu.

Les 20-30 ans, hyperconnectés et accros aux réseaux sociaux, sont adeptes du multitasking et se considèrent eux-mêmes comme des médias. «Ils privilégient la communication live. Seul le type de réseau utilisé – Snapchat, Facebook, You Tube, Instagram, Spion, Minute Buzz… – varie en fonction de l’âge, explique l’équipe social media de TBWA Corporate. Les plus jeunes sont sur Snapchat, les plus âgés sur Twitter.» 

Engagement et prise de conscience

Engagés sans être militants, ils attendent des marques transparence et authenticité, et qu’elles les séduisent, sans trop en faire. «Il faut entrer dans une histoire d’amour avec eux, résume Éric Briones, directeur du planning stratégique de Publicis et Nous. Les marques doivent donc repenser le temps long pour construire une relation, en veillant à maintenir un fil rouge pour permettre aux millennials d’aller et revenir…» Ils retweetent comme ils respirent les bons (et mauvais) coups des marques, s’enflamment pour ce qu’ils aiment et ce qui les révolte: une façon d’être acteur de leur monde, de manifester leur engagement et de prendre un peu la lumière à moindre frais.Plus surprenant, ils se différencient des autres classes d’âge par leur rejet de l’approche par genre: «Une des tendances émergentes est leur vision d’une identité plurielle, observe Emma Fric, directrice recherche & prospective du cabinet de style Peclers Paris. Un tiers de cette génération ne se reconnaît pas dans la classification binaire masculin/féminin. Ils envisagent leur identité non pas comme transgenre, mais comme transférable et évolutive, guidée par leurs émotions plus que par l’appartenance à un genre.»Pour les générations précédentes, les 20-30 ans renvoient l’image d’une génération «star», égocentrique, capricieuse, impatiente et paradoxale, capable d’exiger une consommation plus éthique et raisonnée tout en s’adonnant à la «fast fashion». La réalité est beaucoup plus nuancée. Loin d’être égocentrique, «le millennial parle au nom du collectif. Il est grégaire et privilégie autant la starification des autres que la sienne, souligne Éric Briones. Avant d’acheter en magasin, il veut pouvoir choisir son vendeur en parcourant son compte Instagram, il veut qu’il soit parfait pour lui, il le starifie.»Son impatience et son côté zappeur? Elles traduiraient davantage une prise de conscience: «Ils ont assimilé l’idée que les choses ne durent pas, qu’il s’agisse de travail, de propriété ou de sentiment. Ils font de l’éternel éphémère, explique Jocelyn Jarnier, fondateur et président de l’agence So Bang. D’où le développement des Tindr et autre Airbnb. Ils se projettent toujours dans l’avenir, mais plus en termes d’attitude et de mode de vie que de possession, de patrimoine ou de plan de carrière.»

Aspiration et éthique

Un paradigme qui oblige les marques à sortir de leur zone de confort. D’abord par une communication «mobile first»: 39% des millennials interagissent plus avec leur smartphone qu’avec leurs proches (étude Bank of America, 2016). Ensuite en acceptant l’idée de perdre le contrôle de leurs messages pour que les millennials se l’approprient par la création de contenus «gamifiés» ou «gamifiables».

Car ils ont la culture du « hacking » et aiment coconstruire, entrer dans le système pour le reprogrammer. «C’est la première génération vraiment consciente que ses actes individuels ont une incidence sur l’environnement. L’éthique influence donc son mode de consommation et ses exigences à l’égard des marques, analyse Emma Fric. Le choix d’une marque n’est pas tant lié à son produit qu’à ses attitude et engagements qu’elle prend.» Vincent Garel, directeur des stratégies de TBWA Groupe confirme: «Tout ce que le millennial demande aux marques, c’est le partage de leur conscience des enjeux. Ils ne leur demandent pas d’être parfaites tout de suite, mais d’engager une démarche de progrès. Ils les regardent comme ils le font d'une marque employeur: de très haut, avec de grandes attentes en matière de respect et d’éthique. Les millennials représentent la première génération ayant formulé une aspiration à moins consommer.»

Loin d’être immatures, les 20-30 ans souhaitent simplement à adapter la société à leur mode de vie, comme leurs prédécesseurs. A ceci près que la révolution digitale leur donne des outils de reformatage en profondeur.

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