Dossier Les nouveaux pouvoirs: influencer
Après avoir vu leur aura pâlir et leur image se noyer dans le digital, les marques cherchent à être de nouveau audibles grâce aux réseaux sociaux.

«Avec la fragmentation des audiences des médias, les marques ont perdu leur influence, c’est-à-dire le pouvoir de façonner le désir. Les seules exceptions sont les marques qui changent notre façon de vivre par leurs innovations.» Le constat dressé par la directrice générale France d’Ipsos, Dominique Lévy-Saragossi, est conforté par l’étude «Most Influential Brands» réalisée chaque année par sa société. «Google est la marque qui se détache le plus. Les Gafa trustent le haut d’un classement où figurent les marques ayant une influence sur les consommateurs et les autres marques, détaille-t-elle. A l’instar du Bon Coin ou d'E.Leclerc en France.» Celles qui s’en sortent le mieux sont généralement issues d’internet ou ont su mener leur transformation digitale.

«Comprendre la grammaire sociale»

Mais «les entreprises sont maintenant à l’heure de la transformation sociale, car elles n’ont d’autre choix que d’aller sur les réseaux sociaux, là où le public est massivement présent», observe Sandrine Plasseraud, directrice générale de We are Social France. Sauf que sur ces réseaux, les cartes ont été redistribuées. «Il faut y être pour exister, mais encore faut-il savoir émerger dans un univers où tout le monde est producteur de contenus. Et où ceux qui ont le pouvoir sont les influenceurs, car ils ont compris la grammaire sociale», poursuit la dirigeante de l’agence digitale. Il est vrai qu’avec plus de 51 millions d’abonnés et des vidéos visionnées de 4 à 10 millions de fois, un youtubeur comme Pew Die Pie y jouit d’une aura supérieure à celle d’illustres marques. Idem pour les stars d’Instagram, Pinterest et consorts…

Défiance avec les historiques sources d'influence

En outre, dans un contexte de défiance, le discours des marques n’est plus forcément audible. «Les marques perdent le pouvoir au profit de passionnés, qui ont montré une grande liberté d’expression sur les blogs et maintenant sur les plateformes vidéos», explique Thomas Owadencko, fondateur et président d’Octoly. Cette société détecte ces influenceurs, qui vont servir d’intermédiaires entre les consommateurs et les marques. Autrement dit, ces dernières rémunèrent Octoly pour mettre leurs produits à disposition des quelque 4 000 youtubeuses beauté avec lesquelles elle travaille. La beauté représente le secteur type où les youtubeuses affolent les marques. «On y retrouve une défiance à l’égard des sources d’influence qu’étaient auparavant les vendeuses et les magazines féminins. Les premières sont soupçonnées d’être soumises aux instructions de leur direction, les seconds d’être payés par les marques», explique Dominique Lévy-Saragossi. Certaines youtubeuses sont même devenues directrices artistiques dans la cosmétique. Et «cela devient courant pour la mode, la cuisine, la décoration…, toutes les thématiques des magazines féminins», note la responsable d’Ipsos France. Pour qui «les marques n’ont plus les moyens de… mentir» pour renouer avec l’influence.

D’autant que les réseaux sociaux permettent d’établir un contact direct avec le consommateur. Si leur usage risque d’exposer aux yeux de tous d’éventuels dysfonctionnements, ils servent les marques «en termes d’image et à prévenir tout signe de crise», pointe Frédéric Micheau, directeur des études d’Opinion Way. «Elles ont maintenant des opportunités de répondre en live et d'éviter que la polémique enfle, là où, avant, elles ne pouvaient que faire profil bas ou attendre de pouvoir réagir sur des médias traditionnels», estime Pascal Grégoire, président et directeur de création de l’agence La Chose. La Redoute reste ainsi un cas d’école avec son Naked Man en 2012. La découverte par les internautes sur la boutique en ligne d'une photo avec des enfants comportant un homme nu en fond était devenu en quatre heures un des sujets les plus discutés sur Twitter. «Pour y répondre, la marque a créé quatorze autres fails sur son site et a invité les internautes à les trouver à travers leurs 33 600 photos pour redorer son image. Résultat: en 48heures, La Redoute a augmenté le trafic sur son site de 70%», signale Pascal Grégoire.

Régulateurs de flux

Les échanges perçus sur les réseaux sociaux peuvent même servir de source d’inspiration. «Les marques essaient de réagir aux conversations en ligne, comme L’Oréal qui va jusqu’à positionner un produit à partir d’une analyse des contenus, ou Intel qui montre la place des femmes ingénieurs dans son groupe quand les conversations perçues sur le web dénoncent les problèmes de parité», illustre David Dubois, professeur de marketing à l’Insead. Surtout, les marques peuvent maintenant payer les réseaux pour rendre visible les contenus qui les valorisent. «Depuis que le web s’est structuré autour de carrefours d’audiences privées, qui appartiennent aux réseaux sociaux, ceux-ci ont un vrai pouvoir de réguler les flux, d’en faire émerger certains, de réduire les commentaires négatifs», indique Arthur Kannas, cofondateur et président de l’agence Heaven. Facebook a par exemple développé des outils qui permettent aux marques de parler sans renvoyer sur leur page. Et «on peut avoir un spot de publicité avant ou après une vidéo d’influenceur, faute d’avoir un placement de produit. Les marques ont donc maintenant des outils pour refaire une communication “top-down” sous un aspect conversationnel», conclut le dirigeant.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.