Alimentation
Le «n°1 de la viande» change d’agence et de cible. Leo Burnett fait place à Young & Rubicam Paris et la «ménagère» nourrissant homme et enfants est remplacée par des personnes âgées.

Les modes de consommation de la viande changent et, avec eux, la façon d'en parler en publicité. Charal n'y échappe pas. La marque trentenaire, filiale du groupe Bigard, a donné le coup d’envoi, le 9 juin, d'une nouvelle campagne de communication (TV et internet) conçue par Young & Rubicam Paris –l’agence est sortie victorieuse d’un appel d’offres face à Leo Burnett qui accompagnait Charal depuis dix ans, Fred & Farid et BETC. Le film principal, de 40 secondes, met en scène la directrice d’un internat en train de remonter les bretelles de ses internés. Ils ne sont pas fous, juste un chouïa dissipés: soutiens-gorge sur le toit, batailles de polochons, sorties nocturnes pourtant interdites… A l’origine de ces actes fripons: des personnes du troisième âge. «Mais que leur donnez-vous à manger?», questionne la directrice de ce qui est en fait une maison de retraite. La réponse surgit alors à l’écran avec une image en gros plan d’une entrecôte saignante. Le clip se ferme sur la nouvelle signature: «Vivons fort.» Et la célèbre griffe sonore: «Hummm Charal!»

Exit la FRDA

C’est un sacré changement culturel pour la marque. Rembobinons. En 2009, Charal s'amusait à transformer une mère en lionne agrippant sa progéniture par la peau du cou pour la placer devant son petit steak et clamait: «D’instinct, une mère sait ce qu’il y a de meilleur pour le plus grand des carnivores.» On se souvient aussi du «mari cannibale» de Charal qui mordait sa femme à pleines dents en pleine nuit, en 2001, spot qui se concluait sur cette question: «Depuis combien de temps n’avez-vous pas donné de viande à votre mari?» Ces deux exemples illustraient bien la cible de la marque: la «FRDA -50», soit la «femme responsable des achats de moins de 50 ans»,l’«ex-ménagère». Car historiquement, le cœur de cible est représenté par la famille avec deux enfants, avec pour produit phare (55% du chiffre d’affaires) le fameux steak haché. Les pièces de viande, elles, sont plutôt consommées par les seniors. Si la première catégorie de marché est en «légère croissance», dixit Charal, c’est «plus compliqué» pour la seconde. Autre élément de contexte: la montée du «flexitarisme» ou le fait de manger moins de viande et de façon plus responsable. Opinionway apprenait en 2015 que 27% des Français étaient prêts à le devenir. Arcane Research révélait en 2016 que 20% avaient adopté ce mode de consommation. Parmi eux, ceux qui, enfants, ont mangé des steaks hachés.

Hédonisme

En réaction, «on assume l’amour de la viande», revendique Stéphanie Bérard-Gest, la directrice marketing de Charal. Pas le choix. Les études convergent aussi dans ce sens côté proprotéines animales. «Plus de 50% des consommateurs citent le plaisir en premier lorsqu’ils mangent de la viande, puis les valeurs nutritionnelles, pour être fort comme un bœuf», assure-t-elle. Depuis 2008, continue-t-elle d’observer, «il y a une quête de moins, mais mieux». L’acte de manger de la viande devient donc plus que jamais «hédoniste», affirme Franck Saelens, directeur des stratégies de Young & Rubicam Paris. Il explique: «Ce n’est pas juste le plaisir des papilles, mais un état d’esprit. Les gens qui témoignent d’une force de vie incroyable, on se demande à quoi ils carburent. On aime à penser que c’est avec un bon morceau de viande Charal.» Avec le mot d’ordre «Vivons fort», l’agence a voulu mettre en avant «la vitalité» et «la force» qu'induirait la consommation de viande de bœuf. Quant au choix des personnes âgées? Franck Saelens réfute que cela reflète une volonté de cibler cette tranche de marché… «Ce n’est pas pour les seniors. Pour marquer les esprits, nous avons choisi la valeur de la démonstration, comme une fable de La Fontaine. Si je voulais ironiser, je dirais que Samsung utilise bien une autruche en publicité, pourtant, il ne vend pas d’autruches!»

Pas de quartier

L’enjeu est de taille pour l'agence qui doit accompagner Charal dans cette nouvelle ère. «Le contexte est plus que tendu, constate Ugo Jandrain, associé chez Dupont Lewis, agence spécialisée dans l'alimentaire. Il y a une défiance face à toute l’industrialisation de masse et des produits de grande consommation. Le consommateur doute de plus en plus que les bêtes soient nourries en milieu naturel et soient abattues dans des conditions décentes.»

Après avoir rassuré le consommateur sur l’origine française de la viande après le scandale de la vache folle à la fin des années 90, puis décrispé le sujet avec des campagnes plus fun et décalées, l’heure est venue de positionner la viande sur le champ d’expression qui est le sien en 2017: celui de l’épicurisme et du plaisir assumé. Sans omettre la qualité du produit. La nutrition? Pas la peine de s’échiner dessus, estime Ugo Jandrain, selon qui elle n’intéresse pas ce public. Charal, «c’est une marque de viandards». En tout cas, en communication.

Alors que Charal a, dans la première partie de sa vie, dû rassurer les consommateurs sur ce qu’il y avait derrière son emballage opaque (une première) en parlant de qualité, il ne le fera  pas sur ce qui se cache derrière les portes des abattoirs. «Ce n’est pas un sujet en publicité», confirme Stéphanie Bérard-Gest. Pour ces questions, qui préoccupaient déjà les trois quarts des Français selon l’Ifop pour CIWF en 2012, avant que l’association L214 multiplie les vidéos chocs d’abattoirs (y compris de Charal, même si pour celui-ci, la justice ne révélera aucun mauvais traitement ni de pratiques non-conformes aux règlements), la société flèche vers son site web où le thème est effectivement abordé. Un sujet manifestement aujourd'hui incontournable.

Chiffres clés:

17,6 millions d'euros. Dépenses publicitaires en 2016 (+45,7% sur un an), dont 61% en TV, 16,3% en radio, 10,5% en presse et 8,7% en affichage (Kantar Media)

1 milliard d'euros. Dernier chiffre d'affaires annuel communiqué (Charal)

3 000. Nombre de salariés, dont 500 bouchers (Charal)

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