Agences médias
Pour les 10es Rencontres de l'Udecam, Stratégies a donné la parole à toutes les dirigeantes d'agences médias, bien plus nombreuses qu'on ne pourrait le penser. Martin Sorrell, le fondateur et CEO de WPP, en exclusivité, nous donne aussi sa vision de la question.

Inégalités salariales, harcèlement de rue, manspreading, charge mentale… Autant de sujets médiatisés cette année qui montrent que le sexisme continue à faire rage en ce début de XXIe siècle. Les combats féministes restent (malheureusement) d'actualité. Prendre conscience des inégalités, détruire des mythes, cela demande du temps, de l’énergie et surtout d’en parler. Si l’Udecam a choisi ce thème pour ses 10es Rencontres, c’est peut-être parce que l’association représentative des agences médias a un exemple à donner.

En France, sur la totalité des agences médias, on ne compte pas moins de onze dirigeantes. Soit plus de la moitié des postes! Même si pour la présidence des groupes, il faudra repasser… Stratégies a choisi de les montrer et de leur donner la parole. Qu’apprend-on à travers ces témoignages? Qu’il faut bien souvent des femmes pour faire monter les femmes. Et qu’à ce titre, la parité n’est pas un objectif mais un moyen. Que l’avènement du numérique est l’occasion de rabattre les cartes. De se faire entendre sur la toile, mais aussi de tuer dans l’œuf toute velléité de supériorité masculine, en remettant à zéro les compteurs d’expérience et d’expertise. Reste un obstacle de taille : celui du manque de confiance en soi, parfois un frein pour accéder au top management. Mais là aussi les choses changent. 

 

Dorothée Caulier, directrice générale adjointe d'UM France

«La place de la femme devrait être un non-sujet. Des études mondiales font régulièrement le parallèle entre accession au pouvoir des femmes et performance de l'entreprise. Il faudrait commencer à les croire! Mais pour moi, le sujet n’est pas le féminisme, ni la parité, c’est la mixité. Le combat devrait porter sur les minorités de manière générale et dans ces minorités, il y a les femmes. L’important, c’est l’équilibre : homme, femme, senior, junior, diversité, etc. Pour ce qui est de la place de la femme dans la publicité, je pense que ça commence à changer. Mais on suit des millénaires d’histoire où l'on nous raconte que l’homme tue le mammouth pendant que la femme attend dans la grotte, forcément, c’est lent ! Le souci, c’est que beaucoup de femmes manquent de confiance en elles. Je ne sais pas si c’est une question d’éducation, mais plus on aidera à restaurer cette confiance, plus on leur donnera la force d’y arriver.»

 

Pascale Miguet, présidente de Zenith

 «Honnêtement, je suis plutôt interloquée par ce thème de “L'influence au féminin”. Ce n'est pas une vision à laquelle j'adhère. C'est important de parler de diversité, de mixité, mais cette formulation, dans laquelle l'influence “au féminin” est rattachée à la notion d'expertise, me heurte. Si je suis à mon poste actuel chez Zenith, c’est grâce à mon parcours digital, mes expériences en management... Mais en aucun cas parce que je suis une femme ! Mon mode de management est le reflet de ce que je suis, de mes rencontres, de mon éducation... Comme n'importe qui, homme ou femme ! Aujourd'hui, grâce au digital et à l'expertise data, on s'intéresse davantage au parcours de l'internaute qu'à son genre. Et dans les jeunes générations, la question du genre est de moins en moins marquée. Pourtant, il suffit de voir comment se comportent des boîtes de la Silicon Valley, comme Uber, censées être jeunes, anticonformistes et accusées de harcèlement sexuel, pour savoir que le sujet reste important…»

 

Corinne Abitbol, directrice générale en charge des études d’Omnicom Media Group

«Je dois préciser que si j’ai eu la chance d'accéder à ce poste, c’est surtout grâce à des hommes. En tout cas des rencontres masculines qui m’ont permis d'arriver à des fonctions à responsabilité. Ces hommes m’ont fait davantage confiance que je ne le faisais à moi-même. Ils m’ont poussée à prendre des risques, à bouger sur d’autres métiers, ce que je n’aurais pas fait naturellement. La confiance en soi, c’est primordial. Les agences médias ont permis à des femmes d'occuper ces jobs, car l’ouverture d’esprit y est plus grande. C’est un secteur qui a été obligé de se remettre en cause plus tôt avec le numérique. Mais c’est vrai que parfois, nous ne sommes pas très modernes dans notre organisation du temps de travail, surtout sur le télétravail, qui pourrait aider beaucoup de femmes. Il y a toujours cette culture du présentéisme qui fait que l’on a besoin de voir les gens pour les contrôler. Cela n'a pas de sens : quand le travail est fait, vous le savez, quand il n’est pas fait, vous le savez aussi…»

 

Laurence Milhau, directrice générale de Group M Connect

«Pour qu’il y ait une évolution, il faut changer la société par le haut. Chez Group M, beaucoup de femmes de 35 ans avec trois enfants ont des postes élevés parce qu’elles sont elles-mêmes dirigées par des femmes, certainement plus compréhensives. Soyons honnêtes, quand il y a un problème avec un enfant, l’école n’appelle jamais le père ! Si je suis mère et que je brigue un poste à responsabilité, il est clair que je ne pourrai pas partir à 18 heures. Je devrai travailler différemment, plus qu’un homme. Comme beaucoup, j’ai tous les jours des réflexions machistes passées sous couvert de la boutade, mais je n’ai jamais eu à subir le fait que je sois une femme dans mon job, alors même que j’ai toujours été dans des secteurs dits “masculins”. C’est peut-être aussi parce que j’ai du caractère ! Et puis, il y a des moments où la situation est différente, je me mets moi-même des barrières, alors je me dis: “Si j’avais été un homme, je me serais imposée.”»

 

Séverine Six, directrice générale d’Arena Media

«On trouve beaucoup de femmes en agences médias, alors que l’on en a très peu en créa et dans le luxe à des fonctions de direction. La différence ? Cela fait 25 ans que les agences médias sont féminisées. Des pionnières ont ouvert la voie, ont été reconnues par leurs pairs comme de très grandes professionnelles; et aujourd’hui, les hommes sont plus ouverts. La question, c’est comment on s’explique ce plafond de verre! Car dans les grands médias, on a très peu de femmes. Et à la présidence des groupes, aucune. Pour moi, c’est une vue de l’esprit, un problème global de société, qui concerne à la fois les hommes, mais aussi les femmes, qui n’ont pas confiance en elles. Se focaliser sur la conciliation de la vie professionnelle et personnelle est une fausse question. C’est une excuse qui permet aux entreprises, par quelques mesures, de dire que les choses changent. Mais les femmes qui réussissent savent gérer les deux, tout comme les hommes devraient avoir à le faire.»

 

Sabina Gros, directrice générale de Carat

«Au cours de ma carrière, je n'ai jamais ressenti ni frein ni aide liés à mon sexe. Mais la particularité de mon cas, c’est d’être étrangère. Je suis d’origine russe et donc intrinsèquement issue de la diversité. Je vis avec ma différence. Du coup, le fait d’être une femme n'est pas le sujet principal. J’ai dû faire mes preuves en début de carrière, comme tout le monde, mais sur d’autres points. En France, c’est parfois dur de s’intégrer quand votre parcours n’est pas linéaire. Personnellement, j'aime, au contraire, m'entourer de profils atypiques. Les personnalités avec qui je travaille ne sortent pas tous d’une école de commerce.»

 

Alexandra Chabanne, CEO de Mediacom France  

«Ce sont le travail et la motivation qui décident surtout de l’ascension. À titre personnel, je n’ai pas ressenti de plafond de verre. Là où la femme a peut-être plus de difficultés dans sa carrière, c’est dans le networking, à une certaine période de sa vie. Il faut pouvoir arbitrer entre sa vie de famille et les instances de networking, qui se déroulent plutôt en soirée et le week-end. Sur ce point, il y a sans doute des zones de progression et une autre organisation à trouver. Personnellement, j’ai deux enfants et pendant un certain nombre d’années, j’ai peu été présente sur la partie networking pour préserver mes moments familiaux. Maintenant que mes enfants sont plus grands, j’ai plus de temps pour rencontrer les clients et les partenaires.»

 

Aurélie Irurzun, directrice d'Affirperf

«Je n’ai jamais connu de difficultés liées à mon sexe. Au contraire, j’ai bénéficié d’évolutions de poste fréquentes et régulières. J’ai même obtenu une promotion tout en étant enceinte, alors même que mon entreprise avait reçu des candidatures masculines! Le numérique bouscule les schémas classiques. Ce secteur nouveau, avec ses compétences propres, a mis tout le monde au même niveau et a favorisé l’emploi et la responsabilisation des femmes. A l’époque, il n’y avait pas de formation et il y avait de la place pour tout le monde. Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’il y ait une forme de discrimination envers les mères, dans la loi même: le combat à mener me paraît se situer au niveau des congés parentaux qui devraient être de même durée pour les femmes et les hommes.»

 

Laure Debos, directrice analytics, research & insights chez Publicis Media

«Pourquoi les femmes sont-elles bien représentées en agences médias? Ce n'est pas une question de secteur mais d'individus: des personnes ont fait progresser cette “influence au féminin”. Celles qui tiennent les cordons de la bourse, qui négocient avec les régies sont souvent des femmes. Et en face, leurs interlocutrices sont souvent des patronnes de régie, un univers où les femmes bénéficient aussi d’une bonne représentation. Mais ne nous leurrons pas: le plafond de verre n'a pas encore explosé. En revanche, il va reculer mécaniquement. Les pôles stratégiques comme le consumer insight, les stratégies de marché, ou la data font émerger des profils de femme différents : ingénieurs, expertes du data mining et des data sciences... Des postes techniques et donc mieux rémunérés. C’est donc la data, de prime abord plus “masculine”, qui permettra de faire émerger les profils “féminins”.»

 

  Anne-Sophie Cruque, présidente de Starcom et de Spark Foundry

«Pour moi, le sujet devrait plutôt être l’égalité que le sexisme. Je ne suis pas féministe, je suis pour la représentation de toutes les spécificités; la progression au mérite, qu’importe qu’on soit un homme ou une femme, on doit capitaliser sur les qualités pas sur le genre… A priori, nous sommes égaux, c’est après que nous sommes conditionnés. D’ailleurs, nous devrions favoriser les actions pour les hommes en matière d’éducation. Qu’on leur demande comment eux aussi concilient vie de famille et vie professionnelle. Eux aussi ont des enfants et s’en occupent! Le schéma s’est créé à notre insu, mais je suis confiante quant aux changements insufflés aux nouvelles générations. Les choses ont évolué: beaucoup plus de femmes lancent leur entreprise aujourd’hui qu’il y a vingt ans… Et ces questions vont de moins en moins se poser. La preuve? Ma fille s’est inscrite au foot cette année!»

 

Magali Florens, CEO de Mindshare France

«Le thème se justifie car il est totalement dans l’air du temps et même au-delà de la communication. On est même en retard sur la grande tendance sociologique mondiale. Une “femme d’influence” est capable d’encourager, de provoquer des pensées, des habitudes, des comportements. Nous en avons eu par le passé, avec des écrivains comme Marguerite Yourcenar ou Françoise Sagan. Ce qui est nouveau, c’est qu’elles sont plus nombreuses et plus entendues. On en trouve même sur You Tube! C’est souvent une question de confiance. Pour obtenir un poste, une femme sera plus bosseuse, peut-être parce qu’elle sera moins sûre d’elle. Alors quand elle est nominée, elle sait qu’elle est capable de faire le job. Mais regardez, ma génération est face à un vrai plafond de verre. Nous sommes nombreuses à diriger des agences médias, mais pas une au niveau des groupes! Jusqu'à maintenant; après, Pierre Conte vient de partir [de son poste de country manager de WPP], peut-être que l’avenir me contredira!»

 

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