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Dans le luxe, mais aussi en communication corporate et grand public, le support papier n’a pas totalement cédé la place au digital. Il connaît même un regain d’intérêt de la part des nouvelles générations.
Dépassé, le papier ? Sûrement pas. De nombreux signes montrent au contraire qu’il est en plein regain. En décoration, dans les médias mais aussi en communication où le tout digital n’est plus de mise. « Quand j’ai démarré à l’agence il y a 14 ans, tout le monde disait que le papier était mort et polluant. Aujourd’hui, on réalise que le digital, avec ses énormes serveurs qu’il faut refroidir, a un impact environnemental. De son côté, la filière papier a fait de gros efforts pour travailler avec des forêts gérées, des encres recyclées… À la limite, heureusement qu’on utilise encore du papier pour avoir une gestion raisonnée des forêts », témoigne Xavier Tourrand, directeur général de Gutenberg, filiale production et édition de DDB.
« Le papier, c'est l'influence ».
Les neurosciences sont appelées à la rescousse pour démontrer que « le support papier stimule des zones cérébrales liées à l’attention, à la rétention d’information mais aussi à la désirabilité, souligne Sandrine Préfaut, présidente d’Adrexo, le spécialiste de l’imprimé publicitaire. Le taux de mémorisation des consommateurs exposés à un message est de 39 % pour l’imprimé contre 11 % pour internet et 18 % pour la télévision (études Cospirit MediaTrack Adrexo 2016). » Loin de trouver le papier « has been », les millennials s’enthousiasment au contraire pour sa modernité, eux qui ont grandi avec les écrans. Même le rituel de l’échange des cartes de visite a survécu aux smartphones. Bref, on est arrivé à « moins de papier mais mieux de papier, résume Olivier Sere, vice-président d’Havas Paris. Le papier donne du statut à la marque, il n’est qu’à voir les acteurs les plus iconiques du digital lancer leurs magazines, Google, Airbnb, Net-a-Porter… Si le digital, c’est l’audience, le papier, c’est l’influence. »
Logiquement, cette approche premium de l’édition est l’apanage du luxe, qui continue de publier de magnifiques livres de marque façon « coffee table books », dossiers de presse aux pliages élaborés, cartons d’invitation calligraphiés à la main et autres cartes de vœux gaufrées. Le mot qui revient le plus souvent dans la bouche des experts est « l’attention », le sentiment d’être considéré qu’apporte la réception d’un document de marque en édition limitée. Pour LVMH, Havas Paris a conçu un rapport annuel réalisé comme un beau livre avec un papier velouté, des visuels exclusifs, des informations que l’on ne trouve pas ailleurs. « C’est un objet envoyé aux meilleurs clients, qu’ils sont fiers de recevoir, explique Olivier Sere. Face au tout-venant qui circule sur les réseaux sociaux, ils ont le sentiment de faire partie d’un club de privilégiés. »
Dans le luxe, « il y a moins d’investissements, mais ils sont mieux ciblés, constate Stéphane Fournier, directeur associé de Mazarine. Depuis 2009, nous éditons des carnets de millésime pour Château Margaux, cartonnés, colorés, très attendus chaque année par les clients. Pour Bucherer, distributeur de montres de luxe, nous sommes passés d’un catalogue classique à un véritable magazine avec des photos de mode. Quand on investit dans une montre à 5000 euros, on a envie de repartir avec un bel objet. » Les marques tendent du même coup à fusionner leurs stratégies corporate et commerciale, liant les informations produits au storytelling sur la marque.
L'imprimé fait de la résistance.
Le secteur du luxe n’est cependant pas le seul « consommateur » de papier. En corporate, les rapports annuels évoluent pour devenir des supports originaux de communication, à l’instar de celui du groupe bancaire BPCE conçu comme une nouvelle à suspense, titrée L’intrigant monsieur Langley (Grand Prix Stratégies 2017). Derrière la belle image, le format fait le récit des différents projets financés par le groupe. « Nous avons choisi un papier particulier, comme celui des romans Gallimard. Nous avons distribué 15 000 exemplaires dans les salons Air France de Roissy et Orly, ainsi qu’à l’attention des abonnés des Échos en Île-de-France, afin de favoriser la circulation et la prise en mains », précise Olivier Sere. Parfois, les contraintes visuelles deviennent un prétexte créatif. Pour les 70 ans du constructeur de moteurs MAN, du groupe Volkswagen, l’agence Because a créé un livre anniversaire à partir de photos d’archives. « Les images étaient anciennes et d’assez mauvaise qualité, les imprimer sur un papier verni aurait été contradictoire. Au contraire, nous avons accentué le côté vintage avec du grain », détaille Nicolas Cheyrouze, le directeur général.
Même dans des sujets plus grand public, l’imprimé fait de la résistance. Dans le tourisme, les voyagistes ont constaté que la baisse du nombre de catalogues se traduisait automatiquement par une baisse des réservations. Dans les mutuelles, les obligations d’information des adhérents donnent lieu à de véritables productions de contenus affinitaires. « Lors de la refonte de son magazine, Maif a créé la marque relationnelle Maif Social Club, qui regroupe un site internet, un tiers-lieu expérimental et un magazine papier consacré à l’économie collaborative. Les études de lectorat ont montré un bon taux de prise en main et un meilleur taux de pénétration qu’une newsletter digitale », explique Marie-Hélène Moudingo, directrice du pôle brand content d’Ici Barbès. Outre cette publication à 3 millions d’exemplaires trois fois par an, l’agence réalise notamment le mensuel diffusé dans les restaurants McDonald’s, Air le Mag (300 000 ex.), et l’hebdomadaire des magasins de proximité Carrefour (550 000 ex.).
Interactivité et encres connectées.
L’exemple de Maif permet de rappeler qu’une stratégie éditoriale va toujours de pair avec un volet digital. « Tous nos projets sont à 360° mais les problématiques digitales et d’édition sont traitées en parallèle, avec des équipes différentes, des visuels spécifiques, précise Stéphane Fournier de Mazarine. Van Cleef & Arpels, par exemple, a une approche légère, clin d’œil, sur Instagram, et réalise des magazines où l’on prend le temps de tourner les pages ». Emblématique de cette complémentarité entre le digital et le papier, le projet La Joie de l’agence MNSTR présenté en juin dernier combinait un carnet illustré par des artistes et une application qui révélait des animations en réalité augmentée. Ce type d’opération est amené à se développer avec l’apparition des encres connectées - la société britannique Novalia réalise des affiches ou des cartons d’invitation interactifs lorsque l’on touche leur surface -, les papiers équipés d’une puce NFC - comme le PowerCoat Alive d’Arjowiggins - ou l’intégration de la réalité augmentée dans le dernier iPhone. « Tout est digital à partir du moment où tout le monde a un smartphone dans la main, estime Louis Bonichon, directeur de création associé de MNSTR. Quand on visite une exposition, on peut à la fois télécharger une application pour avoir des informations supplémentaires et acheter le catalogue à la sortie pour garder un souvenir. On aime avoir un objet dans les mains, on le voit, aussi, avec le retour du disque vinyle. » Pas de doute, les vieux supports ont de l’avenir.
Les papetiers sortent du bois.
Partenaires des agences de communication, les fabricants de papier rivalisent d’innovation dans les touchers, les couleurs, l’intégration d’odeurs ou de puces connectées. Xavier Tourrand, directeur général de Gutenberg, s’enthousiasme pour les papiers japonais de Takeo, « aux textures surprenantes adaptées à de petites quantités comme des cartons d’invitation ». Mathieu Chévara, directeur de création d’Atelier Marge, collabore avec le Suédois Arctic Paper, « qui a une vraie démarche de création à l’écoute des designers ». Une des dernières références du fabricant est Munken Kristall, une nouvelle blancheur adaptée à la communication corporate. Chez Arjowiggins, la nouveauté est la création de papiers recyclés haute blancheur, comme le Cocoon utilisé par la RATP pour sa communication corporate et par Danone pour son rapport annuel.