Les 18 et 19 décembre 2009, près de 2 000 voyageurs de l'Eurostar se retrouvent piégés dans le tunnel sous la Manche. Retour sur une crise dont les lacunes de communication ont déchaîné d'abondantes critiques.

«Qu'il faille être “fan” d'Eurostar pour livrer ses commentaires sur cette page, j'adore !… Je me demande combien de gens apprécient… Pas beaucoup, je pense» (Patrick Robert Daykin). «Comment peut-on espérer changer ses tickets quand il est impossible de vous joindre par téléphone ? Un service client lamentable. Ce premier voyage avec Eurostar sera le dernier» (Kathie). «C'est fou ce que vous n'êtes pas clair et vous ne savez pas gérer une crise ! Quel professionnalisme !» (Marie Gonon-Bertagna). Tout petit florilège des messages adressés sur la page Facebook d'Eurostar au plus fort de la crise qui a frappé le transporteur ferroviaire suite à la panne, pour cause de neige, de cinq de ses trains dans le tunnel sous la Manche, les 18 et 19 décembre derniers (lire aussi le témoignage d'Emmanuel Bachellerie, de Bach & Partenaires)

Des commentaires acerbes également très présents sur Twitter et qui illustrent l'un des premiers enseignements de cette crise, selon Alexis Volanov : «Il ne faut jamais sous-estimer l'effet boomerang des réseaux sociaux». Le directeur de la communication de crise d'Edelman Paris rappelle qu'«en situation de crise, Internet étant devenu le canal d'échange le plus accessible, les entreprises ne doivent pas oublier que l'interactivité nécessite une forte réactivité».

Or, si Eurostar a rapidement demandé à son agence anglaise We Are Social, qui gère son blog Little Break, sa page Facebook et son compte Twitter, de transmettre aux clients, via ces différents canaux, les dernières informations sur les incidents aussi rapidement que possible, le transporteur a manifestement été pris de cours. Robin Grant, directeur général de We Are Social, raconte que «quelques jours avant les incidents (...) nous avions discuté de la nécessité d'un programme de veille, de réponse et de gestion de crise en temps réel. Nous avions reçu le feu vert pour inclure cette activité dans notre proposition pour l'année prochaine.»

Une lacune qui n'est qu'une des explications de la principale défaillance de cette gestion de crise : l'insuffisante information délivrée aux clients d'Eurostar, soit quelque 75 000 personnes concernées par plus de trois jours d'interruption du trafic transmanche, dont près de 2 000 piégées dans le tunnel.

«On a le sentiment d'une totale impréparation. Là où le bât blesse, c'est au niveau de la formation des personnels de bord, insuffisamment préparés à la gestion de ces situations de crise», estime Nina Mitz, présidente de l'agence Financial Dynamics France, qui souligne également les piètres prestations médiatiques du directeur général d'Eurostar, Richard Brown, «jamais présenté en situation de totale maîtrise de la situation».

Négligence des points importants

Pour Cyril Delattre, planneur stratégique à La Première Heure (W & Cie), qui a notamment été consulté lors de la vague de suicides chez France Télécom, «rien ne sert d'avoir des cellules de crise et des “war rooms” si, sur place, le personnel ne peut pas transmettre l'information».

«Ce manque dans la chaîne de l'information a été amplifié du fait de la complexité des interfaces entre Eurostar et Eurotunnel», note Laurence Baillif, directrice du cabinet-conseil en gestion de crises Arcans. Un euphémisme pour parler de la polémique entre les deux entreprises qui a suivi, celles-ci se renvoyant la responsabilité de la mauvaise gestion des incidents. Alors qu'Eurostar déclarait que le gérant du tunnel, responsable de l'évacuation des passagers lorsqu'un train est coincé sous la Manche, doit également assurer la communication auprès de ces derniers, Eurotunnel maintenait que «l'équipage Eurostar conserve la responsabilité de l'accompagnement de ses clients».

«Ce problème de coordination a permis à Eurotunnel, aguerri aux procédures d'évacuation et à la gestion de crise, notamment depuis l'incendie du tunnel en septembre 2008, d'adopter la posture du sauveur. De son côté, ayant trop tardé à adopter une posture de responsabilité en délivrant un discours constant sur ses actes par rapport à la situation, Eurostar s'est vu placé dans la position du coupable», analyse Antoine Calendrier, directeur associé en charge de la communication de crise chez Euro RSCG C & O.

La filiale de la SNCF a commis l'erreur de ne pas respecter, dès les premières heures, les trois phases d'une bonne communication de crise : communiquer sur le registre de l'émotion et de la compassion, rappeler les faits et enfin présenter les mesures mises en œuvre. «Eurostar a surtout privilégié un discours rationnel et technique. Si le “pourquoi” est important, c'est “ce que l'on fait” pour arranger les choses qui doit primer», remarque Caroline Marchetti, directrice du département crise et affaires publiques de Fleishman-Hillard.

Au final, le transporteur n'aura réussi sa communication que sur deux points : l'indemnisation, annoncée dès le 19 décembre, avec un remboursement de deux fois le prix du billet, des frais d'hôtel et de taxi, plus une prime de 170 euros; et l'explication de la panne avec, entre autres, une annonce pleine page dans la presse le 22 décembre signée par la SNCF.

Clarifier le territoire de communication

Bien maigre consolation pour le principal actionnaire d'Eurostar, qui concède que des améliorations devront rapidement être apportées. «Si le dispositif de crise conçu pour la SNCF a bien fonctionné, il nous faut désormais mieux le diffuser au sein de nos filiales, à commencer par Eurostar. Chaque mois, la SNCF organise un exercice de crise, ce sera fait dorénavant pour toutes les sociétés du groupe», déclare Patrick Ropert, directeur de la communication opérationnelle de la SNCF. Il souligne aussi la nécessité de revoir «l'interfaçage avec Eurotunnel pour la gestion de l'information auprès des clients».

Pour Pascal Sainson, directeur des opérations d'Eurotunnel, la réponse est claire : «La communication avec les clients d'Eurostar leur appartient, tout comme nous assurons celle avec nos clients des navettes de véhicules.» Une chose est sûre, selon Téa de Pesloüan, directrice générale adjointe de Burson-Marsteller, chargée de la communication de crise : «Il y a urgence à clarifier le partage du territoire de communication entre la SNCF, Eurostar et Eurotunnel. Air France et ADP sont un exemple à suivre en la matière.»

De son côté, Jérôme Laffon, directeur France d'Eurostar, qui a annoncé le 21 décembre la création d'une commission d'enquête indépendante, reconnaît que l'«on peut sans doute être plus réactif notamment en matière d'information au client dans le train». Cette question de la réactivité s'était déjà posée lors de la précédente crise (incendie dans le tunnel).

Au final, l'image de la SNCF a-t-elle été écornée par cette crise ? Nullement, si l'on en croit Patrick Ropert : «Seuls 17% des personnes interrogées pensent que cet épisode a beaucoup dégradé l'image de la SNCF.» Cette dernière s'est en effet employée à gérer cette affaire en privilégiant une approche multimarque. D'où la mise en avant des responsables d'Eurostar.

Mais l'intervention au JT de TF1, le 21 décembre au soir, du président de la SNCF, Guillaume Pépy, qui avait été convoqué le matin même à l'Elysée, a replacé l'entreprise publique en première ligne. «Quand le politique intervient dans une crise, c'est que cette dernière donne le sentiment qu'il n'y a pas de pilote dans l'avion, en l'occurrence de conducteur dans le train. Lors de la tempête Klaus en janvier 2009, plutôt bien gérées par EDF, le politique n'était pas intervenu», remarque Caroline Marchetti, de Fleishman-Hillard.

Face à ces critiques, la SNCF ne manque pas de rappeler que, selon une étude de Boston Consulting Group, son image de marque reste bonne en France (79%), de même pour la marque TGV (87%), au même niveau qu'Air France (85%). A titre d'exemple, en Allemagne, souligne-t-elle également, l'écart entre la Deutsche Bahn et la Lufthansa est défavorable (à hauteur de 25 points) au ferroviaire.

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