Le 1er mai, l'exposition universelle de Shanghai ouvrira ses portes. Pendant six mois, cette manifestation hors normes sera l'occasion pour de nombreuses entreprises françaises de soigner leur image. Un enjeu coûteux que toutes n'ont pas souhaité relever. Au risque de froisser les autorités chinoises.

A compter du 1er mai et jusqu'à la mi-juillet, les milliers de passants qui empruntent chaque jour la rue de Nankin, la principale et plus ancienne artère commerciale, et piétonne, de Shanghai, auront la surprise de voir planer au-dessus de leurs têtes une nuée de petites bulles de savon emplis de parfum Jean-Paul Gaultier.

Cette nébuleuse odorante mènera les plus curieux jusqu'au temple Hong Miao. Ce charmant petit sanctuaire taoïste du XVIIe siècle, situé à deux pas du Bund, le quartier historique des anciennes concessions occidentales de la ville, sera en fait le pied à terre de Lille Métropole pendant l'Exposition universelle de Shanghai, qui se tiendra du 1er mai au 10 octobre.

La collectivité française y a installé une galerie d'art, un centre d'affaires et un restaurant tenu par la célèbre maison lilloise Meert. «Cette opération au cœur de la ville nous revient à 400 000 euros, ce qui est bien plus abordable qu'une participation équivalente au sein même de l'Exposition», lance Pierre de Saintignon, premier adjoint au maire de Lille et vice-président de la région Nord-Pas-de-Calais, en charge des affaires économiques.

La communauté urbaine de Lille n'est pas la seule à avoir fait ce calcul. Les initiatives de  marketing d'embuscade («ambush marketing») devraient se multiplier pendant les six mois que dure l'Exposition universelle. Entre autres exemples : la marque de montres IWC du groupe Richemont, qui compte mener une grande campagne d'affichage événementiel, ou les Pays-Bas qui, en plus de leur pavillon officiel, ont ouvert un centre culturel dans le district huppé de Jing An.

De fait, Shanghai Expo s'annonce comme un événement hors normes offrant une vitrine inespérée pour les marques. Tous les records devraient être battus. En termes de fréquentation, avec plus de 70 millions de visiteurs attendus, contre 64,2 millions à Osaka (Japon) en 1970. En termes de superficie, avec une surface de 5,2 km², soit 25 fois celle de Saragosse (Espagne) en 2008. En termes de participation, avec 192 nations présentes, contre 155 à Hanovre (Allemagne) en 2000.

Des entreprises françaises plutôt frileuses

La communication n'échappe pas à cette inflation. Dans la grande métropole du sud-est de la Chine, le moindre espace est utilisé pour faire la promotion de l'exposition. Les ambassadeurs de Shanghai Expo, l'acteur Jackie Chan et le basketteur Yao Ming, comme la mascotte Haibao, sont omniprésents. «L'enjeu pour la Chine est considérable, avec en ligne de mire l'objectif de faire de Shanghai une plate-forme financière et aéroportuaire incontournable au niveau mondial», assure Antoine Bourdeix, responsable du dossier chez Publicis Consultants, l'agence chargée de la communication de l'exposition en dehors de la Chine qui a créé un blog sur le sujet

Mais, de là à débourser des fortunes pour bénéficier des retombées de cet événement… Manifestement, de nombreuses entreprises françaises ont préféré jouer l'économie. Une réserve que n'a guère appréciée José Frèches, directeur du Codes, la Compagnie française pour l'exposition de Shanghai chargée de financer le Pavillon France.

En janvier dernier, dans un entretien au quotidien Midi libre, il déclarait : «Carrefour, Alstom, Airbus, Areva, Air Liquide, Danone, Veolia Environnement, Accor, BNP-Paribas… Ces grosses entreprises n'ont pas mis la main au pot malgré de multiples sollicitations de ma part (…). Je considère comme incompréhensible le fait que de grandes entreprises françaises ayant d'énormes intérêts en Chine refusent de contribuer au financement du Pavillon France.»

Aujourd'hui encore, ce très bon connaisseur de la Chine ne décolère pas : «La méconnaissance de l'intérêt que porte les autorités chinoises à l'exposition est hallucinante, déclare-t-il à Stratégies. Il ne faut pas oublier qu'en Chine, la dernière corde de rappel est toujours politique.» Les sociétés visées ne souhaitent pas polémiquer. «Il n'est tout simplement pas dans les habitudes de Danone de parrainer ce genre d'événement institutionnel. Notre priorité est d'aller chercher le consommateur», déclare Laurent Sacchi, directeur de la communication du groupe, qui précise toutefois que les marques Evian et Badoit seront présentes dans le Pavillon Rhône-Alpes.

Une démarche proche de celle de Pernod-Ricard. «Notre présence dans six pavillons est assurée d'abord par nos marques, comme Absolut pour la pavillon suédois, Perrier-Jouët et Mumm pour le site monégasque, ou Havana Club pour Cuba», note Con Contandis, PDG de Pernod-Ricard China. Antoine Sire, directeur de la communication de BNP-Paribas, précise quant à lui : «En Chine, notre cible n'est pas le grand public puisque nous n'avons pas de banque de détail. Nous avons donc privilégié des opérations de relations publiques visant nos clients d'affaires, avec par exemple l'organisation d'un concert de musique baroque le 21 juin, journée consacrée à la France lors de l'expo.» 

Résultat : l'Etat, qui prévoyait de faire financer la moitié du budget du Pavillon français par le priv n'a finalement récolté qu'une dizaine de millions d'euros sur un budget final ramené à une quarantaine de millions, au lieu des cinquante initialement prévus.

Un investissement global qui place toutefois la France dans le haut du panier des 42 nations ayant construit leur propre pavillon, avec l'Australie (56 millions d'euros) et les Etats-Unis (45 millions, au financement exclusivement privé), si l'on exclut le Japon, l'Arabie saoudite ou la Finlande, dont les budgets avoisinent ou dépassent les 100 millions. «En France, il ne faut pas oublier que, jusqu'ici, les expositions universelles étaient financées quasi-exclusivement par l'Etat», précise José Frèches.

Un Pavillon France très attendu

Non sans mal, donc, le Pavillon France a tout de même convaincu une vingtaine d'entreprises de le soutenir. Parmi elles, quatre «partenaires privilégiés» (Lafarge, LVMH, Michelin et Sanofi-Aventis), moyennant un ticket d'entrée de 1,5 million d'euros, et cinq «grands partenaires» (Dassault Systèmes, EDF, GDF-Suez, L'Oréal China et PSA Peugeot-Citroën), pour une contribution oscillant entre 500 000 et 600 000 euros. Les simples «partenaires», essentiellement des PME, ont déboursé environ 10 000 euros chacun.

Tous misent sur l'aura du pavillon français. Au-delà de son esthétique, un immense quadilatère de 6 000m² habillé d'une résille de béton blanc, signé par l'architecte Jacques Ferrier, il serait, selon une étude menée par Millward Brown et Ogilvy Public Relations, le second pavillon étranger, après celui des Etats-Unis, dans les intentions de visites des Chinois, qui représenteront plus de 90% des visiteurs. Sans compter que la présence française sera renforcée par trois pavillons régionaux : Alsace, Paris-Île-de-France et Rhône-Alpes.

«Sans doute plus qu'ailleurs, l'image est importante en Chine. Il est dès lors difficile de faire l'impasse sur ce type d'événement», estime Paolo Gasparini, directeur général de L'Oréal Chine, qui investirait au total plus de 5 millions d'euros dans cette manifestation. En effet, au-delà de son engagement dans le pavillon français, le groupe de cosmétiques est la seule entreprise hexagonale à faire partie des fournisseurs officiels du Comité d'organisation de Shanghai Expo, tout comme son concurrent japonais Shiseido… Numéro deux du marché chinois de la cosmétique derrière Procter & Gamble, sponsor du pavillon américain, «L'Oréal vise le leadership d'ici trois à quatre ans», précise Paolo Gasparini, qui inaugurera durant l'exposition son nouveau centre de recherche et développement à Pudong (Shanghai).

Autre sponsor du Pavillon France, LVMH profitera aussi de l'exposition pour ouvrir, les 27 et 28 avril, deux boutiques Louis Vuitton à Shanghai, qui s'ajouteront aux trois existantes. Le géant du luxe sera sur tous les fronts, avec un budget de 3 à 5 millions d'euros. Dans le pavillon français, bien sûr, en s'emparant de la thématique de la vue, l'un des sept sens du parcours-découverte qui animera le bâtiment de Jacques Ferrier, avec le toucher, l'ouïe, l'odorat, le goût, le mouvement et l'équilibre. «LVMH, dont les vins et spiritueux seront à l'honneur sur la carte du 6 Sens, le restaurant des frères Pourcel sur le toit du Pavillon, présentera également dans son magasin Louis Vuitton du Plaza 66 une exposition thématique sur les expositions universelles auxquelles la marque a toujours été étroitement associée», rappelle Marc-Antoine Jamet, secrétaire général de LVMH.

Difficile d'émerger face au nombre de manifestations

Dans une approche plus B to B, le groupe Lafarge, représentant le thème du toucher au sein du pavillon français et qui a fourni en plâtre 60% des pavillons de l'exposition, compte pour sa part accueillir du 7 au 11 juin près de 700 personnes à Shanghai (médias, employés et, surtout, clients chinois et asiatiques). «Par son ampleur, cette opération est inhabituelle pour nous. Mais c'est l'occasion idéale de mettre en avant nos innovations en matière d'urbanisme durable, qui est au cœur de la problématique de l'exposition de Shanghai : “Better city, Better life”», déclare Marc Aouston, directeur de la communication chargé de la marque et de l'innovation du groupe français, qui emploie 18 000 personnes en Chine.

Michelin, pour sa part, joue résolument la carte grand public. «Notre cible est celle des millions de Chinois qui viendront visiter l'exposition. L'objectif est de mettre en avant notre présence en Chine, premier marché mondial de l'automobile, où nous possédons trois usines, de mieux faire connaître la qualité de nos produits et de présenter nos services autour de la mobilité», explique Claire Dorland-Clauzel, sa directrice de la communication et des marques.

Pour ce faire, le groupe, dont la campagne publicitaire mondiale est visible en Chine depuis avril, s'appuiera sur son partenariat avec le pavillon français, mais aussi sur Bibendum, son personnage emblématique, qui sera très présent à Shanghai. 

Autant dire qu'au milieu des quelque 20 000 manifestations corporate et officielles (cérémonies d'ouverture et de clôture, fêtes nationales, expositions…) qui se tiendront à Shanghai Expo, il ne sera pas aisé d'émerger. Les grandes marques internationales, qui ont investi des millions dans l'opération, n'ont plus qu'à espérer que ce maelström événementiel ne soit pas aussi évanescent que les bulles de savon qui s'échapperont prochainement du petit temple taoïste de la rue de Nankin.

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