La campagne du gouvernement a permis de faire passer l'idée d'une réforme, mais pas son acceptation par les Français, qui la jugent injuste. Retour sur un an de communication publique paradoxale.

Un passage en force assez rondement mené, mais qui, sur le fond, laisse le problème entier. Tel est le bilan d'une année de gestion par le gouvernement de l'explosif dossier de la réforme des retraites. En communication comme sur le plan politique, si le gouvernement a été habile sur la forme, les résultats sont plus mitigés concernant le fond. «Au final, le texte passera, mais pas vraiment le message auprès de l'opinion, qui juge cette réforme injuste», constate Pierre Siquier, président de l'agence Ligaris, expert en communication publique. 

Pourtant, suite à la volonté affichée par Nicolas Sarkozy en septembre 2009 de mener la réforme des retraites, le gouvernement avait plutôt bien préparé le terrain. «La stratégie adoptée est très proche de celle de 2003 ayant abouti à la réforme Fillon», juge Arnaud Dupui-Castérès, président de Vae Solis Corporate, qui conseilla à l'éqoque Matignon sur ce dossier.

Un long travail de sensibilisation a été mené, le gouvernement prenant soin de se retrancher derrière le Conseil d'orientation des retraite qui a posé en avril dernier un diagnostic alarmiste. L'impact sur l'opinion ne se fait pas attendre: les trois quarts des Français sont alors peu ou pas confiants dans le fait de toucher une retraite satisfaisante à l'avenir. Et depuis cette période, les sondages font apparaître une majorité de Français jugeant une réforme nécessaire. «Le gouvernement a gagné la bataille de l'objectivité d'une nécessaire réforme», observe Arnaud Mercier, professeur en information et communication à l'université de Metz.

Ce «cadrage» de l'opinion effectué, le gouvernement décide de poser ses premiers jalons et lance, via des fuites savamment distillées, autant de ballons d'essai notamment sur le recul de l'âge du départ à la retraite. «En présentant ses idées comme des pistes à l'étude, le gouvernement a judicieusement mité l'annonce de la réforme et du coup, a aboli la capacité de résistance des opposants tout en préparant les esprits», analyse Arnaud Mercier.

Dans la foulée sont lancés le 15 avril sur Internet le site Retraites2010, parodié par l'association Attac (Retraites-2010), et le 21 avril dans les médias une vaste campagne de près de 4 millions d'euros signée «Réusissons une réforme juste» (agence CLM BBDO). Suit en mai une seconde phase (1 million d'euros) pour expliquer le périmètre de la réforme et les premières concessions (prise en compte de la pénibilité, contribution des hauts revenus…).Une démarche explicative qui «reste une figure imposée, mais à l'impact marginal», estime Arnaud Dupui-Catérès.

Le clivage renforcé par un imprévu

Selon les experts en communication interrogés par Stratégies, c'est là où la machine à communiquer du gouvernement commence à se gripper. «Il s'agit d'une communication descendante et non participative, regrette Pierre Siquier. Le site du gouvernement, très bien fait et complet, n'instaure aucun véritable échange avec les Français et les parties prenantes du dossier.» Pour Pierre Zarader, président d'Equancy & Co, «le travail de pédagogie a été bien fait, mais il manque la séquence qui permet d'impliquer le public et de simplifier le débat, très technique».

Un parti-pris des pouvoirs publics, selon Pierre-Yves Frelaux, président de TBWA Corporate. «Le gouvernement n'a par recherché le consensus, mais au contraire le clivage. L'idée étant de faire passer cette réforme pour une grande réforme, une sorte de marqueur politique du quinquennat de Nicolas Sarkozy, l'intérêt était de provoquer une forte opposition, du moins dans une certaine limite. Et l'image de grandes manifestations comme celle du 24 juin et surtout du 7 septembre ne font qu'accréditer cette idée.»

Dès la fin du mois de juin, la troisième phase de la campagne publicitaire (3,2 millions d'euros) vise en tout cas à clore le débat: «Pour sauver nos retraites, le gouvernement a choisi d'augmenter l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans.» Mais ce passage en force a dû faire face à un imprévu: l'affaire Woerth-Bettencourt. «Cet épisode, ajouté à l'annonce prématurée d'un prochain remaniement du gouvernement, a destabilisé le pouvoir, ouvert une brèche et accéléré la mobilisation contre la réforme», estime Marc Vanghelder, président du cabinet Leaders & Opinion. Pour Arnaud Dupui-Castérès, «il est certainque le gouvernement a très mal géré cette crise. Par ses seules déclarations, Eric Woerth n'a fait que réarmer le fusil du sniper pour le coup d'après».

Un public plus que sceptique

Cette fragilisation explique-t-elle les aménagements apportée par Sarkozy à la réforme, au lendemain de la manifestation du 7 septembre? Arnaud Mercier n'y croit guère: «Il s'agit plus probablement d'une stratégie de concessions délibérée.»

Reste à gérer la dernière étape de ce dossier. Non pas tant le vote du texte, qui ne fait guère de doute, mais plutôt son acceptation par le public. Une campagne post-vote est d'ailleurs prévue à cet effet (lire l'entretien ci-contre). Or, si 65% des Français (1) pensent que la journée de grève prévue le 23 septembre n'aura aucun impact sur les projets du gouvernement, ils sont 68% à estimer que la réforme ne résout pas le problème des retraites sur le long terme, qu'elle est injuste (63,5%) et inéquitable (79%).

«Le gouvernement a intérêt à rapidement détourner l'attention des Français sur d'autres sujets qui les préoccupent», conseille Arnaud Dupui-Castérès. L'affaire de l'enquête concernant les sources du Monde relatives au dossier Woerth-Bettencourt et le déclenchement par Bruxelles d'une procédure d'infraction contre la France pour sa politique envers les Roms ne sont pas vraiment des entrées en matière idéales. Cela ouvre au moins des perspectives aux spécialistes de la communication de crise.

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