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La marque au swoosh s’appuie sur les proses du héros d’Edmond Rostand pour rentabiliser un couteux contrat avec la Fédération française de football. La campagne signée Leg se veut arrogante et élégante… comme les Français.

Ce n'est pas la tirade du nez, mais celle du duel que l'agence Leg a choisie dans Cyrano de Bergerac pour illustrer la nouvelle campagne de communication de son client Nike. Et pourtant, c'est un cap, un pic auquel s'attaque l'équipementier américain. Devenue le partenaire de la Fédération française de football (FFF) et des Bleus depuis le 1er janvier, la marque doit maintenant rentabiliser ce contrat de huit ans et 320 millions d'euros. Une péninsule financière pour Nike.

«Avec ce partenariat, nous bénéficions d'un gros potentiel de croissance», affirmait avec insistance le président de Nike, Mike Parker, lundi 17 janvier à Paris devant 400 journalistes français et étrangers venus découvrir la nouvelle tunique de l'équipe de France. Mais l'entreprise préfère aussi mettre tous les atouts de son coté en sortant les gros moyens. «La puissance marketing de Nike est une réalité», commente un cadre de la FFF. Pour caler cette stratégie d'attaque, vingt mois de travail ont été nécessaire. Le tout dans une ambiance de secret d'Etat.

Sur ce projet, toutes les personnes extérieures à Nike étaient invitées à signer une charte de confidentialité. Mardi 16 novembre 2010, lors de la première prise de vue avec l'équipe de France, en Angleterre, la veille de la rencontre Angleterre/France, tous les joueurs, mais aussi les techniciens, et aussi les journalistes de TF1 présents ont dû laisser leurs téléphones portables au vestiaire. Idem début janvier, à Paris, au Pavillon Gabriel, quand le maillot a été présenté aux partenaires de la FFF.

Leg a été soumise au même traitement pour réaliser le film de la campagne. Un opus de 45 secondes à la gloire du «génie» et du jeu français. Sur une musique de Karl Jenkins, le rappeur Oxmo Puccino déclame donc du Cyrano (lire encadré). Les images s'enchaînent entre des jeunes filmés à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) et à Paris, des espoirs nationaux au centre national de Clairefontaine, et les internationaux Abou Diaby, Yann M'Vila et Florent Malouda, dans le stade londonien de Millwall. Leg s'appuie sur les ressorts de l'émotion liée au jeu, quel que soit l'enjeu.

«C'est une histoire avec toute la République du football français, affirme Gabriel Gaultier, président de Leg et directeur de création pour cette campagne. On s'adresse à tous, de celui qui ne vibre qu'une fois tous les quatre ans, pour la Coupe du monde, au vieil entraîneur qui, écharpe autour du cou, se lève le dimanche matin. Nike a la volonté d'être au milieu du peuple du football, pas au-dessus.» Le ton employé est quelque peu arrogant. «Je préfère parler de panache ou d'élégance, qui sont des caractères français», reprend Cyril Du Cluzeau, directeur marketing de Nike France.

Cette prétention pourrait jouer des tours si, jamais, les résultats des Bleus n'étaient pas au niveau des espérances. «Non, nous allons au-delà de la victoire ou de la défaite, répond Manuel Douchez, directeur de la publicité de Nike France, qui a installé depuis un an une annexe de son bureau dans les locaux parisiens de Leg. C'est le foot de la France. Il y a longtemps que Nike ne joue plus sur les répertoires du football champagne ou samba.»

Pour le concepteur-rédacteur Olivier Camensuli, «ce film est l'esprit français dans ce qu'il a de plus typique, incarné par Cyrano de Bergerac, cette pièce où il déclame ses vers avec une certaine forme d'arrogance et de noblesse, et en même temps une liberté et une habilité incroyable. C'est un parallèle entre cette tirade du duel où Cyrano affronte un prince qui a osé le défier et le football français dans tout ce qu'il a de plus noble.» 

Cet opus de 45 secondes sera visible à télévision le 30 janvier et au cinéma à partir du 2 février. Le concept est décliné en affichage depuis le 12 janvier avec un cri pour signature, «Vive le football libre», et la virgule de la marque comme point d'exclamation. Cette orchestration médias est réalisée par Mindshare.

Le plan d'attaque de Nike se complète sur Internet avec un dispositif viral dont la page Facebook est l'élément central. Duke, qui organise toute la tactique en ligne de la marque, espère atteindre rapidement les 800 000 fans. Les premiers «abonnés» ont pu découvrir le film en avant-première. En parallèle, Nike a développé un partenariat avec MK2. Le groupe de cinémas diffuse dans ses salles un court-métrage, signé Kim Chapiron, dans lequel le spectateur retrouve des éléments de la campagne classique.

Le leadership en France

Pour attaquer ce match dont les enjeux sont surtout commerciaux, l'équipementier sort la grosse artillerie: l'équipe A, celle des stars de l'équipe de France. «Nike est le leader mondial du football», clame son président, Mike Parker. En fait, c'est le groupe Nike associé à Umbro qui est sur la plus haute marche du podium. En France, les deux marques sont distancées par Adidas. «Nous visons le leadership en France», confirme Cyril Du Cluzeau, de Nike France.

Pour rentabiliser son investissement, la marque ne pourra pas compter uniquement sur la vente des maillots. Au mieux, Adidas écoulait 700 000 tuniques en un an. «Notre volonté est d'aller plus loin, précise Cyril Du Cluzeau. Nous allons faire de la FFF une marque internationale.» Nike a ainsi commencé à développer une gamme sportwear siglée FFF et rêve d'en vendre autant que les produits dérivés de l'équipe des Yankees de New-York. En attendant, c'est auprès des quelque 17 000 clubs français que la marque va faire des propositions commerciales.

Partenaire des équipes de France de rugby, de basket et maintenant de foot, l'entreprise américaine cherche aussi sans doute à se payer une identité nationale. Edmond Rostand rejoint donc le team Nike qui, comme Cyrano, aimerait bien aussi «toucher» à la fin.

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