crise
En suspendant trois de ses cadres pour espionnage sans apporter publiquement de preuves, Renault se retrouve face à une crise qui semble lui échapper.

Une affaire d'espionnage industriel? L'habile manipulation d'un concurrent? Un coup de pub risqué? Depuis que Renault a décidé, début janvier, de suspendre trois de ses cadres suite à une lettre anonyme les accusant d'avoir vendu à l'étranger des informations confidentielles sur son programme de véhicules électriques, les zones d'ombre qui planent sur cette affaire ont peu à peu placé le constructeur en mauvaise posture.

D'abord perçu comme une victime, le groupe automobile a dû faire face à la réaction des trois cadres incriminés, qui n'ont pas tardé à vivement réfuter dans la presse les accusations de leur employeur. Ils l'ont depuis attaqué pour diffamation et dénonciation calomnieuse. Dans la foulée, Renault a ouvert un autre front – et non des moindres – en accusant frontalement le contre-espionnage français de livrer aux médias des informations le discréditant. «Renault ne sera pas un nouveau Bettencourt», a ainsi lancé l'avocat du constructeur.

Fantasmes médiatiques

Un certain malaise commence à entourer ce dossier bien mystérieux. Les entretiens du PDG du groupe, Carlos Ghosn, accordés au Journal du dimanche et au JT de 20 heures de TF1 le 23 janvier, n'ont guère apporté d'éclaircissements, encore moins de preuves. Certains observateurs estiment même que le groupe a grillé ses cartouches en faisant intervenir son PDG au milieu du gué, sans véritables éléments nouveaux en main. En matière de communication de crise, on a en effet coutume de réserver la parole du dirigeant à l'annonce de «l'affaire», puis à sa résolution.

Pendant ce temps, logiquement, la police mène son enquête sans tenir compte du dossier constitué par Renault, mettant ce dernier en porte-à-faux. Du coup, les médias commencent à échafauder les scénarios les plus fous: le groupe, tel un apprenti sorcier, aurait monté cet incroyable coup de pub pour promouvoir son programme de voitures électriques mais sans en mesurer les actuelles conséquences. Difficile à envisager… Mais, quelle qu'en soit l'origine, cette affaire risque fort de laisser des traces. Seront-elles irréversibles pour l'image de Renault?

 

Parole d'experts

 

Gaëtan Toulemonde, analyste chez Deutsche Bank, spécialiste du secteur automobile

 

NON. «Ce n'est pas un sujet pour la communauté financière. Ce que l'on observe, c'est que le cours de Bourse a monté sur la période concernée. Et, par ailleurs, le secteur se porte plutôt bien. En tout cas les chiffres parlent d'eux-mêmes: le groupe affiche un milliard d'euros de résultat d'exploitation. Quant à l'affaire en cours, il n'y a pas de questions des investisseurs sur le sujet. L'affaire n'est pas perçue comme un problème par les milieux financiers. Ils attendent avant tout la conférence de Carlos Ghosn le 10 février sur la vision stratégique du groupe pour les trois prochaines années.»

 

Pierre-Antoine Lorenzi, président du cabinet-conseil en gestion de crise Serenus Conseil et ex-chef de cabinet de la DGSE

 

OUI. «Renault a rendu cette affaire publique sans avoir assuré sa position sur le sujet. De nombreuses zones d'ombre subsistent. Si les cadres incriminés sont coupables, Renault (qui n'a pas de pouvoir d'investigation) leur a laissé le temps de dissimuler ou de détruire des preuves, et s'ils sont innocents, le groupe fragilise l'ensemble du personnel. Et en recourant à un détective privé, ils ont manifesté leur défiance envers les services de l'État, qui est leur actionnaire. On a l'impression, dans cette affaire, qu'ils sont soit des manipulateurs, soit des incapables. L'image de Renault en est et en sera affectée.»  

 

Pierre Giacometti, cofondateur de Giacometti Péron & Associés

 

NON. «À ce stade, l'image de Renault n'est pas affectée. La marque est suffisamment forte pour ne pas subir de préjudice d'image décisif. Mais cette affaire est un nouvel exemple de ce que l'on peut appeler la "société paranoïaque", très révélatrice des crises "modernes". Dans l'ère de la défiance permanente, tout acte est supposé dissimuler une intention cachée et il est extrêmement difficile de communiquer face à cette société paranoïaque. Bien que destinée à protéger l'intérêt supérieur de l'entreprise, la prise de parole de la direction a alimenté le soupçon médiatique autour de son intérêt supposé à faire parler d'elle au moment opportun.»

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