En lançant ses premiers véhicules 100% électriques, la marque au losange compte bien préempter ce nouveau segment... en espérant qu'il s'impose comme une référence du marché.

La bataille est lancée. Depuis le 28 octobre, Renault commercialise dans 400 points de ventes à travers la France la Kangoo ZE, son véhicule utilitaire électrique. Courant novembre, suivra la berline Fluence ZE puis, début 2012, la bi-places ultra compacte Twizy. Une gamme 100% électrique que le constructeur complétera encore en septembre 2012 avec le lancement d'une citadine, la Zoe. Une offensive dans laquelle Renault mise gros.

 

Avec son partenaire Nissan, la marque au losange a en effet investi quelque 4 milliards d'euros dans l'électrique. Elle espère d'ici 2015 écouler 1,5 million d'exemplaires et vise atteindre, d'ici 2020, 10 % de ses ventes totales de voitures sur ce nouveau marché.

 

Contrairement à ses concurrentes, la marque au losange a misé sur le tout électrique. «Un pari qui peut paraître aujourd'hui risqué après l'accident de Fukushima. Le public est plus sensible aux questions d'approvisionnement électrique via le nucléaire, notamment en France, et de protection de l'environnement. Or se pose la question des batteries au lithium, très polluantes et dont la durée de vie n'est que de trois ou quatre ans», estime Jean-Louis Gonçalves, responsable du pôle automobile au cabinet d'études GMV Conseil.

 

Le groupe PSA, lui, a préféré joué la carte du multimodal. «La voiture électrique ne sera pas la seule solution pour lutter contre les émissions de CO2, pense Ayoul Grouvel, responsable des stratégies de développement et de mobilité du groupe PSA. C'est pourquoi nous avons opté pour des produits adaptés à chaque usager avec des motorisations électriques [Peugeot Ion] mais aussi "stop & start", hybride diesel et bientôt hybride rechargeable.» 

 

De son côté, Volkswagen, qui a présenté l'an dernier un prototype de Golf électrique dont le modèle de série pour les particuliers sera lancé en 2014, est encore plus prudent. «Si le marché de l'électrique décolle, Volkswagen est prêt. Mais pour l'instant, le groupe estime que, pour les particuliers, le marché n'existe pas», explique Alban Callet, directeur général de l'agence V (DDB), chargée du budget Volkswagen. La marque allemande privilégie aujourd'hui les contrats de prêt de véhicule électrique, fidèle à sa stratégie: attendre qu'une innovation s'installe pour la généraliser auprès du grand public. 

 

Toutefois, le marché n'est plus celui de la fin des années 90 marquées par le retentissant échec des Peugeot 106 et Citroën Saxo électriques ou autre Renault Kangoo Elect'road. «Aujourd'hui, le concept est mûr, assure Jean-Louis Gonçalves, de GMV Conseil. Le contexte est porteur, surtout pour les entreprises qui sont engagées dans des démarches de développement durable. Sans compter que l'électrique est particulièrement adapté aux trajets connus et maîtrisés propres là encore aux flottes d'entreprise.»

 

Renault prévoit d'ailleurs des ratios de ventes «BtoB» de l'ordre de 70% pour la Fluence ZE jusqu'à 100% pour la Kangoo ZE. Fort opportunément, l'Etat vient de montrer l'exemple en annonçant, au terme d'un appel d'offres, la commande de 15 000 Kangoo ZE. Le gouvernement chinois fait encore plus fort en affichant sa volonté d'avoir la moitié de son parc automobile converti à l'électrique d'ici à 2020. Un juteux marché en perspective.

 

En attendant, Renault, qui vise en priorité le marché professionnel pour ses premiers lancements, n'a pas prévu de débauche de communication. La marque s'appuie sur un site dédié www.renault-ze.com/fr et sur son film TV (Publicis Conseil), lancé en juin dernier pour présenter sa gamme de voitures électriques. Avec un thème résolument écolo: le spot montre en effet des appareils de la vie quotidienne (rasoir, ordinateur, mobile...) fonctionnant à l'essence.

 

Une idée semble-t-il mutualisée au sein du groupe Renault-Nissan puisque dans la foulée la marque japonaise a utilisé le même concept créatif pour sa propre voiture électrique, la Leaf.

 

Une approche environnementale à laquelle Alban Callet, de l'agence V, apporte un bémol: «Attention au greenwashing! La publicité d'un constructeur sur l'électrique doit rester un discours de marque. C'est en ne faisant pas de l'électrique un sujet à part entière que l'on reste crédible aux yeux du consommateur.»

 

Pourtant, nombre d'acteurs du marché estiment que compte tenu de la nouveauté du produit, un discours de réassurance s'impose au moins dans un premier temps. «75% des clients qui ont un usage de leur véhicule compatible avec l'électrique déclarent être prêts à l'adopter. Mais dans les faits, bien peu encore passent à l'acte», constate Ayoul Grouvel, de PSA.

 

De fait, le bilan est à ce jour mitigé: Peugeot et Citroën n'ont livré pour l'instant en Europe que 2 900 unités de la Mitsubishi i-MiEV (un tiers en France). En septembre dernier, le marché français de la voiture électrique a enregistré un record de ventes depuis début 2011 avec... 301 véhicules immatriculés. Sur les neuf premiers mois de l'année, ce sont quelque 1 428 voitures électriques qui ont trouvé preneur. En Europe, 5 222 voitures électriques ont été vendues au premier semestre, soit une part de marché de 0,07 %, selon le cabinet Jato Dynamics.

 

Il est vrai que les interrogations sur le coût, l'autonomie et la charge d'un véhicule électrique sont autant de freins au passage à l'acte d'achat. Sans compter que la location de la batterie, et ses grilles tarifaires souvent complexes, l'achat du câble de charge et de la «Wall Box», le système mural à installer chez soi, ne vont pas simpliffier la tâche des marketeurs.

 

«Les marques vont devoir passer par des prises de paroles pédagogiques basées sur l'expérience réelle ou virtuel le. Comment ça marche? Combien de temps dure l'autonomie? Quel bruit cela fait? Et tout cela au travers de toutes les nouvelles formes de communication. Exemple à suivre: l'application eco-drive de Fiat, sortie en Grande-Bretagne, qui transforme le fait de réduire sa consommation de CO2 en jeu», avance Clarisse Lacarrau, directrice adjointe du planning de BETC Euro RSCG, qui gère le budget Peugeot.

 

A l'occasion de la commercialisation l'an prochain de la Twizzy, Renault devrait quant à elle renouveler l'expérience menée l'an dernier sur l'iAd d'Apple, nouveau service optimisé de publicité sur mobile d'Apple, pour mieux faire connaitre ce véhicule, son premier produit électrique grand public.

 

Ce travail de réassurance passe aussi par de nouveaux services liés aux spécificités du produit. Ainsi, Renault s'apprête à déployer des centres de ventes ZE, dédiés à son offre électrique. Pour sa part, le groupe PSA est sur le point de signer un partenariat avec un prestataire pour proposer à ses clients un «diagnostic voiture électrique» en fonction de leur besoin, en relation avec les concessions.

 

Le groupe a également mis au point un boîtier télématique intégré au véhicule afin d'offrir des informations, sur l'état de charge de la batterie par exemple, mais aussi des services d'assistance immédiate et de dépannage (la peur de la panne est en effet une des principales craintes du consommateur), voire à terme une aide au pilotage afin d'optimiser sa conduite.

 

PSA propose également des essais de véhicules de plus longue durée (plusieurs jours, voire une semaine) afin de se familisariser avec l'électrique (dédramatisation de la recharge du véhicule) et d'en apprécier les atouts (moteur silencieux, bonne reprise...).

 

Pour l'heure, Renault et Nissan occupent le terrain afin de démontrer aux consommateurs qu'ils sont les premiers sur le marché. La prime au leader est en effet souvent payante lorsque le marché arrive à maturité. Mais si les premiers véhicules sont aujourd'hui commercialisés, l'offre est encore trop réduite pour satisfaire l'attente des consommateurs qui est réelle.

 

Un décalage qu'il va falloir habilement gérer en terme de communication. Pour Olivier Altmann, coprésident de Publicis Conseil, agence de Renault, tout est question de timing: «Le premier temps du discours des marques automobiles portera sur un enjeu d'image, via essentiellement la TV et l'affichage. Internet sert davantage à expliquer et à rassurer. Par la suite, l'objectif sera de faire rêver le consommateur avec l'électrique en jouant sur l'émotion et le plaisir afin de susciter l'achat.» Les plus optimistes n'envisagent pas un développement «mass market» de la voiture électrique avant 2014. 

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