CMO World Tour

Stratégies est partenaire du CMO World Tour de Frédéric Colas, vice-président de Fullsix, réalisé avec le soutien de la World Federation of Advertisers et de Facebook. Tous les mois, nous publions l'entretien d'un directeur marketing d'une marque mondiale interrogé sur l'impact du numérique dans son activité. Au tour de Keith Weed, Chief Marketing and Communications Officer d'Unilever Monde (écouter aussi l'entretien video en anglais)

 

 

Pour commencer, pouvez-nous dire, à titre personnel, quel est votre usage du digital?

Keith Weed. Je ne suis pas «addict». Ceci dit, à la maison, j'ai un ordinateur portable dans chaque pièce et, sur moi, un Blackberry, un Iphone, un Ipad et un ordinateur portable. Je préfère le Blackberry pour téléphoner et écrire des e-mails, et l'Iphone pour lire les e-mails et surfer sur l'Internet mobile. Mon Ipad a remplacé l'ordinateur portable quand je voyage. J'ai réalisé qu'un Ipad, une carte 3G et une clé USB pour mes documents importants me suffisent et c'est beaucoup plus léger et simple d'utilisation. Ainsi équipé, comme je voyage beaucoup, je peux rester en contact avec ma famille. Par ailleurs comme tout consommateur, je me renseigne sur Internet avant d'acheter.

 

Quel enseignement en tirez-vous sur le plan marketing?

K.W. Il y a peu, je voulais acheter un aspirateur à feuilles pour mon jardin. J'ai choisi un modèle sur Amazon qui me convenait dans sa description et son prix. Mais avant de commander, j'ai tout de même lu les opinions des internautes sur le produit publiées en-dessous de sa description. Quatre personnes disaient que la dragonne se casse facilement: j'ai opté pour un autre modèle. Conclusion: vous avez beau avoir les plus belles publicités, si votre produit n'est pas optimal et que les gens en parlent sur Internet, cela ne sert pas à grand-chose. La supériorité produit est donc plus que jamais importante dans le mix-marketing.

 

Comment le digital change-t-il votre vision du marketing?

K.W. Deux mots résument ce changement: «connectivité» et «always on». Le digital nous permet d'être connectés et d'interagir directement avec les consommateurs sans être dépendants de chaînes de télévision ou de distribution. Le «always on», c'est la possibilité pour nos marques de communiquer et d'interagir en continu avec les consommateurs, 24 heures sur 24 et 365 jours par an. Cela crée des opportunités, mais cela représente aussi un énorme défi pour une entreprise comme la nôtre. Nous savons parfaitement créer des publicités de trente secondes de qualité en dépensant des centaines de milliers de dollars. Mais ceci n'est pas financièrement compatible avec le fait d'être «always on». Notre défi est de combiner trois éléments: la production de contenu de marque de qualité à un coût réaliste adapté au «always on». Actuellement, nous savons en combiner deux. Pour le reste nous avons encore du travail.

 

Comment faire?

K.W. Nous sommes en contact direct et étroit avec de nombreux producteurs de contenu comme Viacom, Newscorp, MTV, les grands studios et les médias car la révolution digitale est encore plus profonde pour eux que pour nous. Ils savent produire du contenu de qualité, mais la façon de le distribuer est totalement remise en cause. C'est là qu'il est possible de conclure des partenariats intéressants car nous pouvons jouer un rôle dans ce nouveau modèle de distribution, à travers notre «brand content».

 

Quel rôle les partenariats avec les géants mondiaux du digital comme Apple, Facebook ont-ils dans ce nouveau marketing?

K.W. Je cherche à utiliser ces partenariats pour faire des économies d'échelle dans les dépenses publicitaires en utilisant la dimension globale d'Unilever. Mais surtout, je veux profiter de leur expertise. Si je peux créer un partenariat global avec Facebook ou Apple, puisque vous citez ceux-là, je veux qu'ils nous aident aussi à rester à la pointe du marketing. Grâce à notre partenariat avec Apple, nous avons été les premiers à lancer une Iad [publicité mobile sur Iphone] en Angleterre pour Lynx [Axe en France] et nous apprenons plus vite que beaucoup d'autres sur les applications mobiles.

 

Quelle est justement la place du mobile dans la stratégie marketing d'Unilever?

K.W. Chaque jour, 2 milliards de personnes - un tiers de la planète - utilisent nos produits. Cela se fait à travers une somme de millions de décisions d'achat individuelles. Ce qui m'intéresse dans le mobile, c'est que le téléphone est un objet éminemment individuel et toujours à portée de main. Par exemple, nous savons que les jeunes utilisent leur portable comme réveil. Donc, en Inde, Axe a créé un service où vous êtes réveillé par des voix de filles très sexy. Autre exemple, imaginez que nous sachions que vous êtes à Central Park et qu'il fait soleil, nous pouvons vous suggérer d'essayer la nouvelle glace Magnum avec une offre valable dans les trois points de vente les plus proches. Ce type d'actions marketing arrivera dans très peu de temps.

 

Quels sont les sujets sur lesquels vous pourriez apprendre des expériences d'autres directeurs marketing?

K.W. Il y a deux enjeux sur lesquels j'aimerais échanger. Le premier concerne, je vous l'ai dit, la capacité à produire du contenu de marque de qualité, adapté au «always on» et à un coût raisonnable. Le second challenge concerne le «community management» et son efficacité. Le problème actuel du «community management», c'est que vous pouvez dépenser facilement beaucoup de ressources (temps, argent, etc.) dans des discussions «one-to-one» avec chaque consommateur de façon totalement inefficace. Nous travaillons sur ces deux problématiques qui posent question, je suis sûr, à d'autres directeurs marketing.

 

On parle beaucoup de la nécessité «d'engager» les consommateurs dans le marketing. Pour les marques de grande consommation, ne pensez-vous pas que cela ne concerne qu'une petite minorité de gens, la grande majorité n'ayant juste pas le temps ni l'envie de «s'engager» avec ce type de marques dans le monde digital?

K.W. Oui, c'est vrai, il y a des consommateurs qui veulent simplement passer le moins de temps possible à faire leurs achats alimentaires, ceux qui par exemple utilisent les listes de courses automatiques des supermarchés en ligne: un bon marketeur cherchera à utiliser le digital pour leur faire gagner du temps. Mais d'autres recherchent plus d'informations sur nos produits, et ce n'est pas une petite minorité si l'on regarde les grandes tendances mondiales. Prenons un peu de recul: nos opportunités de croissance viennent des pays émergents qui auront bientôt des milliards de nouveaux consommateurs. Dans ces pays, le style de vie des gens évolue radicalement, en passant du rural à l'urbain. Avant, leurs parents passaient une grosse partie de la journée à préparer les repas et à s'occuper de la maison. Cette nouvelle génération active manque de temps et a besoin d'information pour savoir, par exemple, comment préparer de bons repas ou faire le ménage rapidement. Les Chinois passent neuf fois plus de temps en rayon à lire les informations sur les packagings que les Occidentaux car ils veulent comprendre les produits et leur utilisation. Les conseils qu'ils ne peuvent pas obtenir de leurs mères - car elles n'appartiennent pas à ce nouveau monde -, c'est à nos marques de les leur donner.

 

Comment l'organisation marketing d'Unilever évolue-t-elle du fait de la croissance du digital?

K.W. Notre structure marketing est composée, d'une part, du «Brand Development», responsable du «Brand Equity» et de l'innovation au niveau international. Ce sont ces équipes qui, de plus en plus, développent les contenus, outils et services digitaux de nos marques. Elles s'assurent aussi que nos infrastructures technologiques et bases de données sont robustes et en règle en termes de protection des données personnelles notamment. Elles ont les budgets pour cela. D'autre part, il y a ceux que nous appelons les «Brand Builders», qui supervisent les actions localement, sur chaque marché. Leur rôle dans le digital est d'être le plus proche possible de leurs consommateurs, d'interagir avec eux. Ils font le «community management», sur Facebook par exemple. Ils ont aussi la responsabilité du «search», payant et naturel. Et enfin, ils s'assurent que l'ensemble de la présence de la marque sur leur marché est cohérente.

 

Et les marketeurs, arrivent-ils à s'adapter à tous ces changements?

K.W. Cela dépend. Il y a des «digital natives» qui ne font pas la différence entre «online» et «offline», car pour eux, ça s'appelle «la vie»! Et il y a ceux, comme moi, qui ont des enfants assez grands et qui n'ont pas eu d'autres solutions que de s'y mettre. Si je n'utilisais pas les solutions d'«ichatting» avec mon fils de vingt ans qui est à l'université, il ne me parlerait même pas! Et, au milieu, il y a une «génération perdue» pour qui c'est un vrai challenge. Ce sont ceux qui ont fait leurs études avant l'explosion du digital et qui n'ont pas d'enfants encore assez âgés pour les pousser à s'y mettre vraiment. Ceux-là doivent se forcer à intégrer le digital dans leur vie car, sinon, c'est comme continuer à se déplacer à cheval quand tout le monde roule voiture. Ça peut tenir un temps mais pas très longtemps.

 

Ecouter également l'entretien vidéo 

 

 

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