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Internet est l'avenir du secteur caritatif, qui doit impérativement conquérir une nouvelle génération de donateurs, selon l'étude Limite/Ifop. Pas toujours évident…

Qui sont aujourd'hui les e-donateurs? Les jeunes? Non, les plus de... 65 ans. Ceux-ci représentent un tiers des 21% de Français déclarant donner de l'argent à une association caritative sur Internet, selon l'étude sur la générosité en ligne présentée cette semaine par Ifop et l'agence Limite (voir encadré). Seuls 15% ont moins de 35 ans. «Les 'silver surfers', dotés du pouvoir d'achat le plus important, forment le gros des troupes des donateurs traditionnels. Ils transfèrent aujourd'hui une partie de leur don sur Internet», résume Laurent Terrisse.

Le fondateur de Limite, par ailleurs vice-président de Max Havelaar, s'intéresse de près au monde associatif. Son agence travaille pour plusieurs ONG dont Sidaction, Asame-Sœur Emmanuelle, la Fondation de France, la Fédération française de cardiologie, Greenpeace et la Fondation Abbé-Pierre. Cofondateur du club NGAD (Non Governmental Advertising), il scrute depuis deux ans la générosité en ligne.

Avec cette étude, Limite entend combattre les idées reçues et pousser les associations caritatives à miser sur le Web. Une question de survie alors qu'on note, depuis 2007, un arrêt de la progression du nombre de donateurs. «Beaucoup d'associations sont aujourd'hui financées par les legs et les héritages, explique Laurent Terisse. Pour assurer leur avenir, il est urgent qu'elles conquièrent de nouveaux publics en investissant massivement sur la Toile.»

C'est loin d'être le cas. Sur les cent trois premières organisations françaises caritatives scrutées par l'étude, seules 20% ont mis en place un dispositif digital comparable à celui d'une entreprise ou d'une administration. Parmi elles, les Petits Frères des pauvres, la Croix-Rouge, l'Unicef, le Secours catholique, la Chaîne de l'espoir, Greenpeace ou Habitat et humanisme. Pour le reste, 40% sont totalement hors du coup et 40% peuvent mieux faire.

C'est que les freins à l'utilisation du Web sont nombreux. Laurent Terrisse évoque des conseils d'administrations peuplés de personnes aussi âgées que leurs donateurs, peu familières des nouvelles technologies. «Les bases de données, vieillottes, sont gérées par des prestataires venus du traitement de chèques, explique, pour sa part, Frédéric Bardeau, vice-président de Limite. Ils freinent des deux pieds pour préserver leur modèle économique et empêcher toute migration sur la Toile.»

Quant aux directeurs marketing, adeptes du bon vieux mailing papier et du bon à tirer, ils ont du mal. «Sur la Toile, on finalise la campagne une fois qu'elle est lancée. Tout le travail consiste à la tester et à l'ajuster en permanence en se trompant le plus tôt possible pour corriger le tir», ajoute Frédéric Bardeau. Surréaliste pour un professionnel du marketing direct.

Autre obstacle: des idées reçues encore largement partagées. Pour beaucoup, les séniors ne seraient pas connectés. Pour d'autres, Internet serait réservé au don d'urgence. «L'histoire de la collecte en ligne est liée aux grandes catastrophes, explique Laurent Terrisse. En France, elle a réellement décollé en 2005 avec le tsunami. D'où l'idée que l'e-donateur serait forcément peu fidèle.» Or, selon l'étude, la fréquence des dons sur le Web est stable, voire régulière quand elle émane d'un sénior inactif à hauts revenus vivant à Paris, profil-type du fidèle e-donateur.

Dernier préjugé: Internet n'est pas perçu comme un média efficace. Selon France générosités, le syndicat professionnel du secteur, la moyenne de la collecte en ligne de ses adhérents est de 3%. Mais elle englobe associations actives et non actives en ligne. En isolant, comme le fait l'étude, les plus dynamiques sur le Net, ce chiffre est porté à 7,7%.

«Ce pourcentage est proche de ceux obtenus par les associations aux Etats-Unis, patrie du 'fundrising' et de l'e-marketing, où il évolue entre 8 et 10% », commente Laurent Terrisse. Affaire donc d'investissement. Selon l'étude, les meilleurs résultats sont en effet obtenus par ceux qui ont le plus augmenté leur budget Internet.

La moyenne générale de 3% pourrait donc être largement revue à la hausse si les associations s'en donnaient les moyens. Mais, dans l'ensemble, l'investissement du secteur sur la Toile reste encore le parent pauvre des budgets marketing: 3% en moyenne, contre 7,9% pour les plus actifs.

Mais au juste, que font-elles sur la Toile? A minima, toutes les organisations caritatives ont investi dans un site proposant du don en ligne. «On assiste à une explosion des services de monétisation: 30% proposent le prélèvement automatique en ligne, 20% des espaces donateurs», note Frédéric Bardeau.

Certains faux-pas ont toutefois refroidi les plus téméraires. Laurent Terrisse évoque des campagnes générant une salve de commentaires de jeunes internautes signés LOL quand il s'agissait de chercher des donateurs. Ou encore des associations peu équipées ou mal préparées pour faire face aux questions parfois sensibles d'adhérents ou d'opposants.

Selon l'étude, leur présence sur Facebook est en baisse par rapport à l'année dernière. Un tiers d'entre elles n'est pas sur le réseau, un autre tiers a une présence faible, voire nulle. Quant au dernier tiers, il ne respecte pas les conditions d'utilisation du réseau.

Certains se souviennent, à ce titre, de la boulette de la Fondation Abbé-Pierre, exclue de Facebook en 2009: elle avait ouvert un profil au nom du célèbre prêtre décédé et non une page comme il se doit. Aujourd'hui, elle fait cependant partie des acteurs caritatifs les plus performants sur le réseau social avec la Chaîne de l'espoir ou encore la Croix-Rouge.

Fin 2011, la Fondation Abbé Pierre a été couronnée du Grand prix Stratégies de la communication éditoriale pour son webdocumentaire «A l'abri de rien» signé Textuel-La mine. Un support de communication de plus en plus privilégié par les associations alors que 77% des plus actives en ligne utilisent le storytelling (vidéos, infographies…) pour communiquer avec les internautes.

«Plusieurs grands acteurs ont pris conscience du levier puissant que constitue Internet mais la plupart l'utilisent encore comme un média classique au service d'une communication verticale, non participative, sans déployer un plan d'action associé à leur stratégie globale de communication et de collecte de fonds», analyse Laurent Terrisse. Le Web pourrait ainsi mieux relayer et amplifier la diffusion des grandes campagnes créatives réalisées gracieusement par les agences de publicité. Des perles, souvent primées à Cannes, mais que personne ne voit…

Internet est également une aubaine sur un des enjeux-clés du monde associatif: la transparence financière. Le secteur, toujours fortement marqué par le scandale de l'Arc, doit gagner la confiance des nouvelles générations de donateurs sur un média synonyme de transparence. Sur les critères et les modalités de l'utilisation des fonds, le Web les pousse, selon l'étude, à mieux communiquer. Si 40% des organisations sondées sont jugées transparentes, 40% sont toujours qualifiées d'évasives et 20% d'opaques.

Enfin, le Web est aussi le royaume des «digital mums», ces femmes actives entre 25 et 50 ans qui constituent un public de choix pour tous les sujets liés à l'exclusion, la maladie, l'enfance. Près de neuf millions d'entre elles sont des e-shoppeuses confirmées. Ce sont aussi des donatrices qui montent en puissance : 19% déclarent aujourd'hui donner en ligne. Un nouveau terrain de conquête…

 

(encadré)

 

Méthodologie

 

Le baromètre sur la générosité en ligne comprend une étude signée Ifop sur les e-donateurs, complétée par l'interview de vingt responsables d'association sur la place d'Internet dans leur stratégie de collecte. Au menu, également, un benchmark de la présence sur Internet des 103 premières organisations caritatives françaises faisant appel aux donateurs, réalisé en partenariat avec les sociétés Ecedi et Ruban.

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