En s'emparant de l'argument «fabriqué in France», les candidats à la présidentielle relancent l'intérêt pour ce positionnement marketing.

«Fabriqué en France»: la mention sera largement visible sur la manche des tee-shirts à l'effigie du parti, le Modem, juste au-dessous du logo Armor Lux. Une demande expresse de François Bayrou, qui a commandé 5 000 tee-shirts à la société bretonne, sise à Quimper (Finistère sud) et porte-drapeau du «Made in France». Ceux-ci seront vendus, dès le meeting de François Bayrou ce jeudi 19 janvier. Et Armor Lux aimerait bien que d'autres candidats lui passent commande. Soutien de Nicolas Sarkozy, Yves Jégo, président de l'association Pro France qui développe actuellement une certification «Origine France garantie» avec les entreprises, se plaint de contrefaçon idéologique: «Bayrou a joué le coucou en venant s'installer dans notre nid.»

Maintenant que le «made in France» est devenu un enjeu de la campagne présidentielle, est-ce que cela va donner l'idée aux marques de s'emparer de cet argument de campagne? Et les publicitaires vont-ils rebondir sur ce sujet tendance? Prudence car, avec le «made in France», on ne gagne pas à tous les coups. «C'est une problématique “casse-gueule” pour les marques françaises, surtout dans le contexte préélectoral actuel, qui est très violent; il faut se méfier du retour de flammes, dit Clarisse Lacarrau, directrice adjointe du planning stratégique chez BETC. Par exemple, quand Amora a fermé son usine de Dijon, il y a eu un vrai traumatisme.» Difficile de se revendiquer «la moutarde de Dijon» et de délocaliser ses sites de productions de Côte d'Or. «D'autant qu'il y a de plus en plus de porosité entre marque et entreprise, communication corporate et développement durable, confirme Luc Basier, directeur des stratégies de Young & Rubicam. Après le green washing, gare au France washing!»

Quand une marque s'empare de cet argument, il vaut mieux qu'elle soit sûre que ses usines tourneront encore dans l'Hexagone dans un an. Une visibilité que n'ont pas toujours les dirigeants. Cela a fonctionné pour Toyota dans l'automobile car cela s'inscrivait dans une stratégie long terme (lire sous-papier). Et aussi parce que, paradoxalement, les marques étrangères ont plus à gagner à revendiquer leur implantation dans notre pays. «McDonald's a engagé cette politique après le démontage du restaurant de Millau par José Bové en 1999, rappelle Luc Basier. En jouant sur le social (créations d'emplois en France) et la traçabilité de leurs produits. Une façon de tordre le cou à l'image de méchant Américain qui débarque.»

Le principal risque est politique: apparaître cocardier pour une grande entreprise française, à l'heure de la mondialisation, pourrait être du plus mauvais effet. «Leur frein est idéologique, poursuit le directeur des stratégies de Young & Rubicam. Elles ont peur d'être taxées de protectionnistes ou d'être assimilées au Front national.» Seul secteur qui n'a pas de complexe avec le chauvinisme: la distribution. Et ce n'est pas nouveau. Déjà, en 1993, en plein marasme, alors que les chambres de commerce lançaient le slogan «Nos emplettes sont nos emplois», Nicolas Bordas avait concocté pour Boulanger une campagne sur le thème «Fabriqué dans nos régions», avec un étiquetage indiquant l'usine et la région de provenance des machines à laver, téléviseurs... «Les résultats avaient été excellents», se souvient le président de TBWA France. Aujourd'hui, l'agence TBWA Paris a conçu la nouvelle campagne de Système U sur le thème «U, le commerce qui profite à tous». Toujours dans la grande distribution Intermarché, Leclerc ou Carrefour ont aussi développé des gammes de produits terroir («Reflets de France», «Pâturages de France») ou revendiquent en permanence leur lien avec les petites sociétés régionales.

Pour des PME ayant une identité forte comme Laguiole (coutellerie), Bernardaud (porcelaine) ou Armor Lux (textile), cet ancrage est devenu une planche de salut. Et aussi un argument de vente à l'international. Même logique pour Rossignol (équipements de ski), qui vient de relocaliser une partie de sa production à Sallanches. «C'est le savoir-faire français, sa fabrication dans les Alpes qui justifie les performances du produit», décrypte Clarisse Lacarrau.

Pour l'opticien Atol, qui a relocalisé sa production en France en 2005, le «made in France» aussi est devenu un slogan récurrent. Là encore, si ça marche c'est parce que cela s'inscrit dans une stratégie cohérente de l'entreprise: «Nous sommes une coopérative, notre développement économique se veut responsable et durable, souligne Philippe Peyrard, directeur général délégué d'Atol. Notre service clientèle est basé à Beaune. Pour mettre en place notre progiciel de gestion, nous avons privilégié une entreprise française.» Et ça se voit quand on achète ses lunettes: depuis 2008, le logo «Fabriqué en France » était visible dans ses spots. Il est désormais remplacé par la certification «Origine France garantie». Atol ne s'arrête pas là: sur les verres des lunettes figure une pastille autocollante avec la mention «Entreprise citoyenne». Et bientôt, le logo «Origine France garantie». Difficile de faire plus patriote...

Selon Nicolas Bordas, ce n'est qu'un début: «On n'échappera pas au fait que les produits aient des fiches d'identité multimédias. Il faudra scanner le QR code pour les lire. On y trouvera une multitude d'informations: l'endroit où il a été fabriqué, son impact environnemental, sa contribution à l'économie française.» Pas de quoi apaiser les courses en famille au supermarché : «Chéri, t'as vérifié le QR code, avant de prendre ce rouleau de papier toilettes...»


Encadré

 

«Origine France garantie», comment ça marche?

 

Créée en avril 2011 par l'association Pro France, présidée par le député radical Yves Jégo, le dispositif est aujourd'hui opérationnel à 90% après six mois d'expérimentation, nécessaires pour affiner les tarifs et les critères d'obtention. La certification est accordée par Bureau Veritas, au terme d'un audit. Elle coûte entre 100 et 4 000 euros selon le nombre de gammes de produits labellisés, la taille de l'entreprise et le nombre de sites de productions en France. Un dernier critère étonnant, car les sociétés ayant le plus d'usines dans l'Hexagone vont se retrouver à payer plus que les autres... Pour obtenir la certification, il faut que la totalité du process de fabrication se soit déroulé en France et qu'au moins 50% des composants soient nationaux. La procédure dure en moyenne trois mois.


Sous papier

 

Toyota, une décennie de «Made in France»

 

Quand le japonais Toyota décide d'ouvrir une usine en France, en 1999, en recrutant plus de 2 000 salariés, il cherche très vite à transformer cet investissement de grande ampleur en argument commercial. «Nous avons voulu montrer que nous étions un acteur-citoyen, que notre activité créait des emplois en France, et pas seulement à Valenciennes, mais aussi à Sophia Antipolis, où nous avons un centre design. L'idée était de mettre en avant l'ampleur de notre pénétration dans le tissu industriel, explique Gilles Quétel, directeur de la publicité et des événements de Toyota. Il y a eu un tel engouement des médias que cela nous a conféré très vite un point de sympathie, en sus, par rapport aux autres petites voitures étrangères.»
Dix ans après, le «Made in France» reste un angle intéressant, selon lui. Depuis septembre dernier, le constructeur commercialise sa troisième génération de Yaris, et son slogan, à base de «Made in France», reprend du service. Cette fois c'est «Nouvelle Toyota Yaris, la Toyota Made in France». Une vague de publicités a été lancée depuis le 15 janvier. Par ailleurs, Toyota tente actuellement d'obtenir la certification «Origine France garantie» pour sa nouvelle Yaris. «Si demain des administrations ou entreprises qui achètent des flottes de voitures décident de fixer comme critère qu'elles soient produites en France, la certification pourra peut-être nous faire remporter le marché», espère Gilles Quétel.

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