stratégie de marques
Lego vient de lancer une gamme exclusivement pour les petites filles. Une des dernières marques de jouets unisexes cède ainsi aux sirènes du marketing sexué. Le sujet fait débat.

Emma, l'esthéticienne, Mia et sa «clinique vétérinaire», Andrea, la pop star qui dirige un café, Stéphanie, fêtarde invétérée, et Olivia, la scientifique. Leur univers est «girly», rose, forcément très rose et aux couleurs pastel. Non, ce n'est pas la nouvelle ligne de poupées de Mattel, mais bien la nouvelle gamme de Lego, Lego Friends, dans les rayonnages des magasins de jouets et hypermarchés depuis le 11 janvier. Le constructeur danois, qui était un des derniers résistants à la vogue des jouets sexués, franchit ainsi le Rubicon.

 

Un changement de taille dans la stratégie de Lego qui, depuis sa création en 1934, privilégiait les jouets destinés indifféremment aux filles et aux garçons. «Les parents nous reprochaient d'être trop garçons, et les petites filles nous réclamaient de telles gammes. Si les Lego sont mixtes dans les usages jusqu'à 5 ans, c'est différent ensuite», argumente Stéphane Knapp, directeur marketing France de Lego. De fait, à gros renforts de tests auprès des enfants, le constructeur préparait depuis quatre ans ce lancement de grande ampleur doté d'un budget marketing de 40 millions de dollars dans le monde (budget non-dévoilé pour la France).


Les lois du marketing se sont donc finalement imposées. «20% des utilisateurs de Lego sont des filles», explique Stéphane Knapp. Comme dans d'autres secteurs, la marque de jouets a tout intérêt à segmenter ses marchés, pour élargir au maximum ses cibles.


Une stratégie toutefois risquée pour Lego, n°4 mondial de l'industrie du jouet, un secteur qui a en effet largement profité du développement d'offres mixtes, comme en témoigne Playmobil. Jusqu'ici Lego s'était contenté de lancer des gammes, à coups de rachats de licences, qui visaient plutôt les garçons (Star Wars, Lego City et ses camions de pompiers...). Lego a cependant une expérience en la matière : le groupe avait déjà lancé en 1994, sans succès, des gammes pour petites filles, comme les Lego Belville. «Nous en avons interrompu la commercialisation peu après en France. Les poupées-mannequins ne correspondaient pas trop à l'univers Lego», admet Stéphane Knapp.

 

Genre des jouets

 

L'initiative relance le débat sur le genre des jouets qui préoccupe professionnels de l'éducation et féministes. «C'est un faux argument d'affirmer que les Lego Friends répondent à une demande des petites filles: les enfants sont spontanément conformistes. L'éducation, ce n'est pas d'aller uniquement vers ce que demandent les enfants. Le lancement de cette gamme s'ajoute au débat sur la "sexualisation" de plus en plus précoce des petites filles, portée par les médias, les jouets, les vêtements, etc.», estime Marie Duru-Bellat, sociologue à Sciences Po et spécialiste des inégalités de sexe. De fait, une charte sur l'utilisation des enfants dans les médias et un rapport parlementaire sur l'hypersexualisation des enfants sont attendus cette année.

 

Depuis plusieurs semaines, le débat fait rage aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, où les Lego Friends ont été lancés en décembre dernier. Il commence à s'étendre aux rayonnages des grands magasins, caricaturalement scindé entre «Barbie dolls» hyper-féminisées et figurines très mâles. Le 29 décembre, le New York Timesse demandait ainsi: «Les jouets doivent-ils être non-genrés?». L'auteure de l'article, la féministe Peggy Orenstein, cite le vénérable magasin de jouets londonien Hamleys, qui vient d'opter pour l'effacement du genre dans ses rayons, désormais organisés par thèmes: peluches, jeux extérieurs, etc. JouéClub et autres Toys'R'Us s'en inspireront-ils?

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