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Troisième volet de notre série sur la distribution spécialisée : les livres. A l’inverse du disque, les enseignes culturelles ne voient pas leurs ventes de livres s’effondrer. Et s’essaient au marché naissant mais concentré de l'e-book.

«Je n'ai jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé», écrivait Montesquieu. Il semble que nos contemporains éprouvent toujours le même réconfort, si l'on en croit la situation du marché du livre à une époque où les sources de loisirs sont infinies. «Le livre demeure la première industrie culturelle de France, avec un chiffre d'affaires d'environ 4,3 milliards d'euros», souligne Jean-François Colosimo, président du Centre national du livre. Si les ventes de musique se sont sensiblement réduites ces dix dernières années (cf. Stratégies n°1692 du 27/9/2012), celles du livre n'ont pas suivi le même affaissement. Au contraire, elles se maintiennent à un niveau relativement stable d'année en année (cf. graphique ci-après). «Le marché du livre est mature, il progresse et recule peu à la fois», souligne Alexandre Boulègue, directeur d'études au cabinet Xerfi France et coréalisateur de l'analyse «La distribution de livres face au numérique à l'horizon 2015». C'est une performance par rapport aux autres biens culturels qui subissent des baisses de prix ou pâtissent du téléchargement illégal.

La dématérialisation du livre est longtemps restée anecdotique par rapport à la musique et aux films. En 2011, un million environ de livres électroniques (appelés e-books) ont été vendus en France, ce qui n'a représenté qu'un infime pourcentage des ventes totales (0,3%). «Le livre se sert de ce qui s'est passé dans la musique comme d'un exemple à ne pas suivre», observe Alexandre Boulègue. Mais l'année 2012 marque peut-être un tournant, selon les observateurs. «Depuis Noël 2011, les ventes de liseuses et de tablettes rencontrent un certain succès, constate Alexandre Boulègue. Contrairement aux années précédentes, la rentrée 2012 s'est accompagnée de beaucoup de sorties en version numérique. Auparavant, les maisons d'édition s'y aventuraient timidement, car leurs revenus sont assurés par les livres imprimés.» D'après les dernières prévisions de Xerfi, les livres électroniques passeront de 0,3% à 6% des ventes en 2015.

Une perspective qui intéresse au premier chef les trois enseignes phares des e-books, Amazon, la Fnac et Itunes (Apple), qui incarnent les trois différents types d'enseigne qui coexistent dans le commerce de biens culturels dématérialisés. A savoir, un spécialiste de la vente en ligne, un distributeur traditionnel et une plate-forme de téléchargement d'un fabricant de produits high-tech. Ces acteurs dominent sans partage grâce à leur maîtrise de l'ensemble de la chaîne. Ils proposent à la fois des liseuses (respectivement le Kindle, le Kobo et l'Ipad) et des plates-formes de téléchargement. «Ils ont compris qu'il ne fallait pas se limiter à être un vendeur en ligne, mais un fournisseur de services de lecture clés en main », explique Alexandre Boulègue. Amazon et Apple vont même jusqu'à fonctionner en circuit de distribution fermé... Cet été, Google Play, la boutique de biens culturels du célèbre moteur de recherche, a ouvert son «rayon» e-books dans l'Hexagone et pourrait rejoindre ce trio de tête. «Je m'attends à une superposition des supports, mais pas à un basculement complet vers le livre électronique, prévoit Jean-François Colosimo. Les formats numérique, papier ou poche correspondent à des moments, des modes d'achat et de partage distincts. »

 

Culture de l'imprimé

Un point cardinal distingue les marchés du livre et de la musique. Le prix unique du livre, institué en 1981 par la loi Lang, structure ses ventes d'une manière quasiment unique en Europe, sinon dans le monde. «Ailleurs, l'enseigne Amazon impose ses prix, indique Alexandre Boulègue. Ce dispositif protège d'une diminution des prix destructrice de valeur.» Les opérations de discompte sont de fait limitées et l'éditeur reste maître du prix. Seule une marge de 5% est autorisée, celle utilisée par exemple par la Fnac pour ses «prix verts». «Cela permet d'éviter l'uniformisation du marché du livre et sa transformation en pur objet de consommation, se réjouit Jean-François Colosimo. La concentration des ventes autour de quelques best-sellers a été évitée et le règne de la nouveauté permanente n'est pas devenu sans partage.» C'est-à-dire deux caractéristiques du marché du disque... «A l'inverse des disquaires indépendants, les petites librairies sont maintenues en vie par le prix unique du livre, même si elles sont sur le déclin», constate Alexandre Boulègue.

Paradoxalement, 83% des Français ignorent l'existence d'un prix unique du livre dans l'Hexagone, d'après une étude du cabinet GFK publiée en 2010 par le magazine Livres hebdo. Ils estiment aussi qu'Internet est le circuit de distribution le moins cher, alors que les librairies leur apparaissent comme les plus chères. Une perception qui se heurte aussi au livre électronique, car la loi Lang a été étendue aux formats numériques en 2011.

Dans ce contexte, les grandes surfaces spécialisées atteignent presque le quart des parts de marché de la distribution de livres (22,6% en 2011, selon les estimations de Xerfi). Quatre enseignes se détachent. Premier libraire de France, la Fnac, dont la part de marché (par rapport au total des ventes) est estimée par Xerfi à 12% en 2011, devance les Espaces culturels E.Leclerc (de 6% à 7%), Virgin Megastore (inférieure à 3%) et Cultura (inférieure à 3%). «Ce sont les Espaces E.Leclerc qui ont le plus progressé en raison de leur stratégie d'implantation, note Alexandre Boulègue. Ils ont choisi des villes de 50 000 à 100 000 habitants où la concurrence était absente.» En 2011, la Fnac comptait environ 90 points de vente, les Espaces E.Leclerc 209, Cultura 48 et Virgin une quarantaine, selon Xerfi. «On observe qu'après une période de fort développement dans les années 1990-2000, un effritement s'est produit, relate Jean-François Colosimo. C'est pourquoi les enseignes spécialisées recherchent de nouveaux modèles: des surfaces plus petites, des franchises ou encore des magasins concept.» La Fnac a ainsi ouvert le 23 octobre son premier magasin en franchise, situé à la Roche-sur-Yon en Vendée. Dans l'univers des librairies (17,4% de part de marché en 2011, selon Xerfi), il y a un mouvement à deux vitesses. «Les grands réseaux (Decitre, Gibert Joseph ou le Furet du Nord parmi les principaux) résistent aux évolutions du marché, alors que les petites librairies reculent significativement», indique Alexandre Boulègue.

Sur Internet, la vente de livres imprimés est trustée par Amazon et la Fnac. Pour ces deux enseignes, on évoque des parts de marché situées dans une fourchette très élevée, de 60% à 80%. Selon certains observateurs, la livraison gratuite, qui lui attire les foudres du ministère de la Culture et des libraires, et l'exhaustivité de l'offre seraient les deux facteurs du succès d'Amazon. En dehors de ce duo, les sites marchands des grandes librairies (Decitre, Gibert Joseph, etc.), de quelques libraires indépendants et les places de marché (Ebay, Le Bon coin, Priceminister etc.) se partagent les autres ventes en ligne.

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