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Les distributeurs spécialisés dans les biens culturels voient diminuer leurs ventes de DVD et émerger de nouveaux acteurs sur Internet. Leur salut pourrait passer par une piste qui réconcilie réel et virtuel, adoptée par des enseignes anglo-saxonnes.

«A terme, le DVD viendra donc faire la nique aux VHS qui s'amoncellent sur vos rayonnages», prévoyait le quotidien Libération en novembre 1999. Treize ans plus tard, c'est déjà au tour du DVD d'être chassé des filmothèques personnelles. Il tend à être remplacé par les Blu Ray sur les étagères, elles-mêmes englouties dans les disques durs et l'informatique dans les nuages (cloud), tandis que les VHS ne sont pas encore revenues à la sauce «vintage». Du point de vue des distributeurs spécialisés dans les produits culturels, l'adaptation n'est pas chose facile, et la tentation est grande d'attendre qu'un nouveau modèle économique ne s'impose avant de réagir.

 

«En France, le marché de la vidéo souffre, mais moins que celui de la musique», souligne Jean-Yves Mirski, délégué général du syndicat de l'édition vidéo numérique (Sevn). Pour l'ensemble de l'année 2012, les prévisions de l'institut d'études GFK situent le chiffre d'affaires des DVD et des Blu Ray à environ 1,135 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent 275 millions d'euros pour la vidéo numérique (toutes formes de vidéo à la demande incluses). Cela correspondrait à une croissance de 25% du marché numérique. A la mi-novembre, une baisse de 8,7% du chiffre d'affaires des ventes de DVD et de Blu Ray avait été enregistrée par GFK par rapport à l'an dernier. Si les ventes de DVD ont chuté de 13,5% en 2011, celles de Blu Ray ont augmenté de 20,4%. «Le support physique n'est pas rejeté par les Français, contrairement à ce que l'on a pu dire, assure Jean-Yves Mirski. On observe certes une baisse, mais pas un écroulement du marché.»

 

Les nouveautés sont à chercher du côté de la distribution sur Internet. «En déclin depuis 7 ans, le marché de la vidéo français croit beaucoup au développement de la vidéo à la demande (VOD en anglais), surtout dans la vente de produits dématérialisés, résume Laurent Donzel, directeur du pôle des produits culturels chez GFK. Il s'agit de trouver le prix qui entraînera l'adhésion des consommateurs et d'accéder aux vidéos achetées sur tous les écrans.»

 

Un «New Deal» vidéo

 

Outre-Atlantique, l'idée de permettre aux consommateurs d'accéder aux vidéos acquises légalement sur l'ensemble de leurs appareils électroniques (console de jeux, lecteur DVD Blu Ray, ordinateur, téléphone, tablette, TV connectée) fait son chemin. Des studios hollywoodiens et des fabricants de produits high-tech se sont regroupés dans un consortium qui travaille en ce sens à la création d'une norme intitulée Ultraviolet. «A priori, celle-ci arrivera en France à la rentrée 2013», précise Jean-Yves Mirski. Dans cet ordre d'idée, le distributeur Wal-Mart a ainsi lancé aux Etats-Unis un service de numérisation qui se greffe à son service de VOD Vudu.

 

Contre une somme de deux dollars, un acheteur peut convertir son DVD ou son Blu Ray en un fichier numérique, le stocker dans le nuage vidéo (cloud en anglais) de Vudu et le regarder sur tous ses appareils numériques via ce même Vudu. «Il s'agit d'accompagner la transition vers le numérique, de marier les supports physiques et les promesses du streaming, relève Gilles Pezet, consultant spécialisé en médias numériques chez le cabinet NPA conseil. D'autres distributeurs ont lancé des services similaires, comme les britanniques Dixons avec Know How Movies et surtout Tesco avec Blink Box. Ce qui est intéressant, c'est que ce ne sont pas des services annexes réduits à un onglet sur les sites de vente en ligne des enseignes: Vudu est présent dans 30 pays par exemple. En France, E. Leclerc devait lancer une offre de VOD cet été.»

 

Cela ne s'est pas fait et, pour l'heure, le seul distributeur français à s'être lancé sur ce créneau est Virgin Méga, mais son offre n'est disponible que sur PC. Dans l'Hexagone, en effet, ce sont les fournisseurs d'accès Internet (FAI) qui tiennent les rennes de la vidéo à la demande. «Près de 90% de la consommation de VOD (paiement à l'acte de location ou bien achat en téléchargement définitif) s'effectue par une box d'opérateur depuis une TV», constate Gilles Pezet. Un chiffre un peu trop élevé, mais qui traduit une réalité: en 2011, Itunes ne détenait que 14,8% des achats payants en VOD, loin derrière le podium de tête (36,8% pour la VOD d'Orange, 27,9% pour Canalplay et 20,1% pour Club Vidéo SFR).

 

L'autre modèle actuel de la vidéo numérique est celui de l'abonnement mensuel à un service (SVOD en anglais). «En 2011, il représentait moins de 10% du chiffre d'affaires total de la vidéo à la demande, note Igor Primault, directeur de l'innovation, de la vidéo et des industries techniques au Centre national du cinéma. Parmi les acteurs présents dans l'Hexagone, on compte Canalplay Infinity de Canal+ et Filmo TV de la société de production Wild Bunch, ainsi que des offres jeunesse comme Bangoo.» Le groupe AB lancera son service Jook Video en 2013, alors que l'arrivée des services des géants américains du Net, Lovefilm d'Amazon et Netflix, a été pour l'heure repoussée. «D'après les dernières déclarations de Canal+, futur concurrent des acteurs américains, la dernière date qui circule pour Amazon est celle de mars 2013», observe Igor Primault. Pour l'instant, Netflix a essuyé des pertes à l'étranger et traverse un conflit capitalistique avec l'homme d'affaires Carl Icahn. «La France et le Royaume-Uni sont dans une position similaire par rapport à la TV connectée et cela n'a pas empêché Netflix de se lancer Outre-Manche et d'engranger un million d'abonnés en six mois», remarque Gilles Pezet.

 

Deux barrières subsistent cependant pour les géants américains. Entre 40% et 50% de la consommation de films en VOD sont des œuvres françaises, ce qui suppose de disposer d'un catalogue suffisant en la matière avant de lancer une offre. D'autre part, la SVOD doit respecter une chronologie des médias en France, contrairement aux Etats-Unis. «En clair, cela signifie qu'il n'y a pas de produits frais en film, car la fenêtre de la SVOD s'ouvre 36 mois après la sortie en salles», indique Laurent Donzel. L'enjeu est de taille, car aux Etats-Unis la SVOD de Netflix est passée devant la VOD d'Itunes en 2011, avec 44% de parts de marché contre 32,3%.

 

A côté des nombreux mouvements de la vidéo numérique, la distribution de DVD et de Blu Ray semble bien moins agitée. Les enseignes spécialisées (Espaces culturels E.Leclerc, Fnac, Virgin Mégastore etc.) tiennent le choc, voire progressent. Leurs parts de marché cumulées avec celles de la vente à distance sont d'environ 62,9%, contre 37,1% pour les grandes surfaces alimentaires (cf. graphique). «En volume, les ventes en ligne de DVD et de Blu Ray représenteraient entre 12% et 13% de parts de marché», considère Jean-Yves Mirski. Pour remettre en perspective cette situation, les distributeurs alimentaires détenaient 47,1% de parts de marché en 2007. Il est très difficile d'en savoir plus, car personne ne divulgue de parts de marché par enseigne.

 

Particularité, les ventes en kiosque atteindraient une fourchette comprise entre 10% et 12% du marché total de la vidéo. «Même si leur assortiment est limité et que leurs chiffres sont en baisse, la proximité joue en leur faveur», constate Jean-Yves Mirski.

Enfin, les enseignes étrangères n'ont jamais percé en France, jusqu'à la généralisation du commerce électronique. «Les distributeurs HMV, qui avaient ouvert un magasin dans la rue la plus commerçante de Bordeaux, et Saturn ont connu des difficultés, au point de renoncer, rappelle Jean-Yves Mirski. Sur Internet, l'adaptation au marché français de la vidéo est plus facile, si l'on en croit l'exemple d'Amazon.»

 

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