lobbying
Nouveau gouvernement, examen du budget 2013… Les actions de lobbying se multiplient, utilisant de plus en plus les codes de la communication grand public. A tort ou à raison. Les avis sont partagés.

Un nouveau gouvernement, des caisses vides et des entreprises mises à contribution qui cherchent à défendre leur intérêt et leur image… L'heure est plus que jamais à la communication d'influence. Pas un jour ne passe sans qu'elle soit à l'œuvre dans les médias ou sur Internet, qu'elle concerne Nutella, McDonald's ou les Pigeons, ce groupe de défense des entrepreneurs né spontanément sur la Toile. Aucune entreprise n'est à l'abri. Face à elles, de jeunes parlementaires cherchent à se faire un nom. «Ils souhaitent également acquérir de la notoriété pour mieux peser sur l'exécutif, rappelle Olivier Le Picard, PDG du cabinet de lobbying indépendant Communication & Institutions. Ils peuvent surfer sur l'air du temps en s'intéressant à ce qui a le plus de chance de passer auprès du grand public. C'est cela la démocratie d'opinion…»

Comment répondre? Faut-il utiliser les codes et les supports de la communication grand public et prendre à partie l'opinion? Si les avis divergent, ils sont unanimes à condamner McDonald's et son attaque de la hausse de la TVA sur la restauration. Surfant sur la mode du «fact-cheking», l'entreprise s'est offert le 30 octobre une pleine plage de publicité au ton ironique pour interpeller le député socialiste Thomas Thévenoud, présenté comme incompétent. Un faux pas très mal perçu des politiques qui n'a pas tourné à l'avantage de l'entreprise.

Pour les professionnels, il est important de respecter les parlementaires, d'éviter de stigmatiser un individu. «Le lobbying, c'est un travail au long court effectué très en amont et basé sur le dialogue, l'information. Si une société prend en catastrophe une page de publicité, c'est que ce travail n'a pas été fait au préalable», commente Olivier Le Picard. Porter un débat sur la place publique obéit aussi à des règles. «L'annonce était très technique, peu compréhensible. Utiliser un média grand public n'a de sens que pour répondre aux préoccupations des consommateurs et des citoyens. D'autant que, forcément, cela donne de l'ampleur au sujet», commente, pour sa part, Philippe Paillart, PDG de Burson-Marsteller I&E.

Attaquée, Nutella a également misé pour sa défense sur la publicité. L'huile de palme dont est composé ce produit culte a fait l'objet d'une proposition visant à tripler le montant de sa taxe dans l'examen du budget 2013 de la Sécurité sociale. La marque du groupe Ferrero sait, depuis longtemps, que sa pâte à tartiner est jugée nocive pour la santé et l'environnement, notamment par les associations. Elle ne s'attendait cependant ni à cette taxe, rejetée depuis, ni à ce que la proposition prenne le nom très accrocheur «d'amendement Nutella».

«Nous avons choisi de ne répondre qu'à quelques-unes des nombreuses sollicitations des médias. C'est au secteur de porter le combat, pas à Nutella tout seul. Il nous a paru cependant important de répondre aux attaques en faisant œuvre de pédagogie. Le meilleur allié de Nutella, c'est le consommateur», explique Benoît Viala, directeur général d'Havas Paris, en charge du pôle influence de l'agence et du budget Ferrero. L'annonce presse prévue de longue date avait cette fois tout son sens. Ne serait-ce que pour contrer Casino, misant au même moment sur la publicité comparative pour lancer Noisette, sa pâte à tartiner sans huile de palme.

Une pression mal acceptée par les politiques

D'autres vont plus loin que la page de publicité. L'Association des brasseurs de France a lancé, avec son agence VFC Relations publics, une panoplie d'actions pour empêcher le relèvement de la taxe sur la bière: mobilisations des artistes et grands chefs signataires d'une pétition, publiée dans Le Monde sous forme de tribune; publication d'un sondage Ifop expliquant que plus de 85% des Français jugent inefficace pour la santé publique la hausse de la taxation sur la bière; envoi aux journalistes et aux parlementaires de packs de bouteilles étiquetées «la dernière gorgée de bière»; appel au soutien de l'Amicale des députés brassicoles… Peine perdue. Les députés ont tranché, la bière sera taxée plus fortement.

Pour Capucine Fandre, présidente du cabinet de lobbying Séance publique, ce type de communication est contre-productive. «Quand on s'oppose à une taxe, il n'est pas judicieux de montrer sa richesse en dépensant de l'argent dans d'anciennes méthodes de relations publics. Le politique n'apprécie pas la pression des médias et de l'opinion. Il n'aime pas faire l'objet d'un lobbying trop puissant.» Les risques d'une opération de communication sont, selon elle, d'autant plus nombreux qu'elle se situe en début de législature et de quinquennat. «Une entreprise doit, au contraire, construire une relation responsable dans la durée avec les décideurs publics, en misant sur le dialogue et la négociation, poursuit-t-elle. Une campagne grand public peut cristalliser les oppositions ou faire naître des rancœurs qui ressortiront par effet boomerang dans une prochaine loi.»

Les parlementaires de gauche seraient-ils, par ailleurs, particulièrement allergiques aux pressions extérieures? Les mesures envisagées par le député PS Christophe Sirugue, président de la délégation chargée des représentants d'intérêt et des groupes d'étude à l'Assemblée, vont dans ce sens. Pour éviter la défense d'intérêts purement particuliers, il envisage de retirer le badge d'accréditation permanente aux lobbyistes des sociétés Monsanto, Bayer ou Syngenta. Raison invoquée: elles sont parties prenantes d'un sujet sensible, les OGM, sur lesquels les députés pourraient débattre prochainement…

L'affaire des Pigeons, elle aussi, a laissé des traces. Le gouvernement a cédé sous la pression de l'opinion publique avant même que le débat ne gagne l'Assemblée. Un court-circuit du temps parlementaire qui n'a pas ravi les députés. Pour Matthias Leridon, président de Tilder, les politiques vont pourtant devoir s'habituer à cette forme nouvelle de «liketivisme». Ce débat en ligne très puissant est, selon lui, un tournant historique et le premier d'une longue série. «Avec lui, le gouvernement a pris la dimension que, demain, le dialogue avec la société civile ne se fera plus uniquement par la rue ou via des structures organisées, analyse-t-il. De nouvelles communautés émergent sur le Net et se mobilisent. Les syndicats et organisations professionnelles devraient elles aussi en tenir compte, tout comme les agences qui doivent se doter d'outils de veille performant.»

L'avènement de l'opinion

Les professionnels qui n'ont pas fini de décrypter ce cas d'école expliquent cependant qu'il n'aurait pu être aussi puissant sans relais médiatique. «Les médias sont aujourd'hui plus que jamais à l'écoute du Web. Il y a un effet Twitter indéniable. Mais tant que la contestation reste cantonnée au digital, elle n'est pas dangereuse. La chambre d'écho reste encore aujourd'hui les médias traditionnels », commente Dimitri Granger, codirecteur de Publicis Consultants Net Intelligenz.

La mobilisation des Pigeons consacre quoiqu'il en soit l'avènement de l'opinion, essentielle à toute action de communication d'influence. « La mécanique de prise de décision publique se fonde aujourd'hui sur la perception du grand public. Elle s'appuie sur les sondages d'opinion. Plus aucune action de lobbying ne peut être menée sans en tenir compte », affirme, pour sa part, Arnaud Dupui-Castérès, président de Vae Solis corporate. Un professionnel qui, comme bien d'autres, ne souhaite pas opposer travail de lobbying classique dans les bureaux des ministères et opération de sensibilisation et de mobilisation du grand public, deux aspects complémentaires d'une approche globale de l'influence.

 

Sous-papier

Influence, mode d'emploi

Thomas Marko, président-fondateur de Thomas Marko & Associés, décrit les cinq stades de l'influence à l'œuvre dans la communication des entreprises.

1. La vertu. Il s'agit de parer aux critiques en mettant en avant ses bonnes actions: les activités d'une fondation, un don caritatif, le lancement d'une charte éthique d'engagements qui permettra d'éviter un décret…

2. La raison. L'objectif est de convaincre par des notes et des argumentaires en faisant appel au raisonnement, à la démonstration. Très utilisé auprès des parlementaires et des députés.

3. La connivence. C'est le royaume de l'émotion, de l'affect et de l'empathie travaillée en créant des liens. Cadeaux, invitations ou voyages, elle est notamment utilisée en relations presse.

4. La dénonciation. Elle consiste à montrer du doigt son adversaire, à dénoncer un concurrent qui a mal agi ou qui bénéficie d'un traitement de faveur.

5. La menace. C'est la dissuasion nucléaire, l'arme du dernier recours. Elle a, par exemple, été utilisé par Coca-Cola au moment de la taxe sur les sodas. L'entreprise avait alors menacé de suspendre ses investissements en France.

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