Année de la publicité 2012
Joe Rospars, l'un des quatre fondateurs de l'agence Blue State Digital, a passé dix-huit mois à Chicago au QG de Barack Obama, où il était directeur nouveaux médias. Il revient sur les ressorts de la réélection du président américain.

A trente et un ans, Joe Rospars connaît parfaitement son sujet. Dès 2003-2004, il faisait partie de la bande des quatre qui ont défriché le potentiel d'Internet pour Howard Dean, à l'époque candidat démocrate à l'élection présidentielle. Ils ont ainsi appris à lever des millions de petites sommes sur la Toile et à mobiliser en grand la base. Howard Dean, ex-gouverneur du Vermont, a perdu les primaires, mais le travail effectué par les gamins sur la Toile a marqué. L'ancien étudiant en sciences politiques de l'université George Washington a vite mis à profit ses connaissances virtuelles. Joe Rospars et ses amis ont planché dans les coulisses du parti Démocrate. Puis ils ont créé leur propre agence, Blue State Digital, à Washington, absorbée ensuite par le groupe WPP. Joe Rospars, directeur de la création de Blue State Digital, s'est taillé une solide réputation de génie de la mobilisation des troupes sur téléphone portable et réseaux sociaux. Ce qui lui a valu de monter la première équipe digitale du candidat Barack Obama en 2008... et il a récidivé en 2012. Le trentenaire, qui dit avoir de lointaines origines bretonnes, du côté de Saint-Goazec, fait partie de la "A List" du magazine Advertising Age. Il est aussi, si l'on en croit la revue Rolling Stone, l'une des 100 personnalités qui sont en train de changer l'Amérique. Pour Stratégies, il revient sur la campagne victorieuse de Barack Obama en 2012.

 

 

Vous êtes un pionnier de la campagne digitale. Vous êtiez aux côtés du candidat démocrate Howard Dean en 2004. Huit ans plus tard, qu'est ce qui a changé?

 

Joe Rospars. Beaucoup de choses ont changé, la technologie et la façon dont les gens y répondent. Le public d'aujourd'hui a pris possession du système pour influencer ses voisins et ses collègues.

 

En 2008, vous êtiez l'expert en nouveaux médias de l'équipe Obama. Après la victoire, vous aviez dit avoir récolté 500 millions de dollars en ligne et créé 2000 vidéos pour You Tube. Avez vous fait mieux en 2012?

 

J.R. Je ne sais pas combien de vidéos nous avons réalisé, mais sans doute plus qu'en 2008. Sur le front de l'argent, nous avons levé sur Internet en 2012 690 millions de dollars auprès de 4,4 millions de donateurs. Quatre ans plus tôt, ils étaient seulement 3,9 millions.

 

Vos adversaires Républicains ont eux-mêmes avoué leur surprise face aux nombre d'électeurs que vous avez réussi à mobiliser. Qu'avez-vous fait?

 

J.R. Nous savions qui était notre cible, nous savions à qui nous parlions. Nous nous sommes reposés sur des volontaires et leurs réseaux locaux. Si par exemple, nous voulions obtenir le vote d'un électeur hispanique, un volontaire parlant espagnol frappait à sa porte. Si l'électeur était motivé par les difficultés rencontrées par les femmes, et la question de l'égalité de salaire, notre représentant venait lui expliquer ce qu'a fait le président Barack Obama pour faire avancer la cause.

 

On a dit que vos militants, avant de frapper aux portes, avaient à disposition des fiches sur leurs smartphones expliquant qui étaient les électeurs...

 

J.R. (Rires) La moitié des Américains n'ont pas de smartphone. On a aussi travaillé avec des papiers. L'important, ce n'est pas l'outil utilisé, mais le savoir que vous possédez avant de frapper à la porte. Il faut avoir le juste message pour la bonne personne. Ainsi, si vous n'êtes pas enregistré pour voter, nous vous apportons les documents necessaires et nous allons poster votre lettre avec vous. Autre exemple, vous êtes un supporter d'Obama, nous vous expliquons alors que vous avez le droit de voter en avance et nous mettons une note sur votre réfrigérateur pour vous le rappeler.

 

Que faisait l'équipe de Mitt Romney pendant ce temps-là?

 

J.R. Nous n'avions pas la même stratégie. Nous nous sommes appuyés sur la base, les voisins, les communautés locales, les vraies gens. Les Républicains ont privilégié la télévision, les publicités négatives. Cela s'est vu pendant les dernières semaines de campagne, dans l'Ohio. Ils ont affirmé que Chrysler voulait délocaliser la production en Chine. C'était faux. Mais les Républicains s'en moquaient. Ils ont eu une atitude cynique. ils croyaient les électeurs assez stupides pour se mettre en colère et voter Romney.

 

Comment votre agence Blue State Digital a-t-elle travaillé sur la campagne présidentielle?


J.R. Pendant dix-huit mois, une petite douzaine d'entre-nous sont partis à Chicago, au siège de la campagne. Nous y avons construit une grosse agence digitale qui a travaillé comme Blue State Digital. Nous avons fait venir les talents nécessaires, nous avons développé une stratégie, créé des vidéos, un système de réponses rapides. A la fin, nous étions deux cents.

 

Vous aviez dit après la victoire de 2008 que vous ne pensiez pas participer à la campagne de 2012. Pourquoi avez-vous changé d'avis?


J.R. Le président était dans une position difficile. En 2010, il avait connu pas mal de revers, il devait faire face à de nombreux challenges. Il fallait remobiliser la base, expliquer le programme du futur gouvernement. Nous savions que nous pouvions le faire, et mieux qu'en 2008.

 

Quelles innovations de 2012 sont, à votre avis, les plus intéressantes?

 

J.R. La clé de la réussite, c'est donner le pouvoir aux volontaires. Vous êtes par exemple sur Facebook et vous vous connectez à Barackobama.com. Nous dialoguons, nous voyons que vous avez un ami dans l'Ohio. Nous vous demandons de le contacter pour qu'il vote en avance. Et comme cet ami vous connaît, vous avez un impact beaucoup plus fort. Autre exemple, les jeunes. Nous n'avions pas la moitié de leurs téléphones dans nos archives. Mais nous savions que 85% de cette moitié était joignable grâce à Facebook. Nous avons donc demandé à leurs amis de téléphoner et d'envoyer des emails pour les inciter à voter.

 

Comment avez-vous utilisé Twitter?

 

J.R. La décision la plus importante a été d'ouvrir le compte Barack Obama aux autres membres de la campagne. Quand le président voulait donner une touche personnelle à son message, il signait "BO". Cette ouverture du compte a donné plus de résonance à la campagne. Les interventions ont été plus fréquentes, il y a eu un contenu plus fort. Et il n' y a jamais eu autant de reprises de nos tweets que le soir de l'élection. Pareil pour Facebook. Nous avons atteint plus de monde, plus souvent, et les informations étaient plus fraîches.

 

Parlez-nous de la personnalisation de vos contacts...


J.R. Vous signez une pétition en faveur d'Obamacare, le système d'assurance santé universelle mis en place par le président. Nous vous envoyons des e-mails avec des informations détaillées sur le sujet, et nous vous demandons de vous impliquer, de prendre le leadership. Vous le faites comme vous voulez, vous versez de l'argent, vous appelez vos amis, vous organisez des rencontres chez vous, vous allez frapper aux portes, et vous devenez un membre plus important dans l'équipe de campagne. Nous avons constaté que les informations collectées sur la Toile sont très souvent sous-utilisées. Nous, nous écoutons avec attention, nous répondons. Et cela change la communication, cela crée de nouvelles opportunités. Les gens s'impliquent beaucoup plus.

 

Le savoir accumulé durant ces campagnes électorales est-il transposable ailleurs?

 

J.R. Nous ne travaillerons pas pour les Républicains. Mais nous pouvons travailler avec des médias, des marques de grande consommation, des musées, des équipes sportives... Il y a des tas de clients différents, désireux de créer de meilleures connections avec leurs interlocuteurs ou d'en savoir plus sur les supporters, les consommateurs, les militants...

 

Pourriez-vous travailler pour des hommes politiques à l'étranger?

 

J.R. Nous nous sommes impliqués dans la campagne de votre président, François Hollande. J'ai passé deux jours à Paris. Bien sûr, j'étais très pris par la campagne de Barack Obama, mais nos équipes de Londres, New York et Washington ont planché sur le dossier François Hollande. Il avait une équipe agile et intelligente.

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