Année de la publicité 2012
Le succès du made in France incite les marques à mettre en avant leur côté bleu-blanc-rouge.

La même histoire s'est répétée plusieurs fois. Espérant surfer sur la vague du bio, du développement durable et des thèmes bobo à la mode, des entrepreneurs sont tombés par sérendipité sur le filon du moment: le made in France. «Quand nous avons lancé A Little Market en 2008, c'était pour valoriser le fait-main", raconte Nicolas Cohen, l'un des cofondateurs du site Internet de vente en ligne de petits produits artisanaux. Sensibles à la créativité d'artisans aux quatre coins de l'Hexagone, «mais qui ne savaient pas se vendre ou ne pouvaient pas se déplacer», ils décident de mettre à disposition leurs compétences marketing et web en créant une plateforme d'e-commerce.

Au tout début, A Little Market joue sur l'aspect «circuit court», dont le monde politique et médiatique parle beaucoup à l'époque pour contrer l'explosion du coût des matières premières et la pression de la grande distribution. «En août 2009, nous avons mené une enquête auprès de nos clients, poursuit Nicolas Cohen. Le critère prix n'était en fait pour eux que le troisième ou quatrième plus important: ce qui leur plaisait, c'était de consommer local.»

 

Invité dans la campagne présidentielle

En 2009, du côté de Niort (Deux-Sèvres), le PDG du groupe Matelsom Emery Jacquillat rachète la Camif, une ancienne coopérative d'instituteurs qui vend des meubles, positionnée sur le développement durable, pour continuer l'aventure en e-commerce surtout. Il décide d'interroger les clients sur ce que représente le développement durable pour eux: «Ils ont répondu consommer local, avant même de citer le respect de l'environnement », affirme Emery Jacquillat. Résultat: comme A Little Market, le site se repositionne. Il s'est doté cette année d'un outil de «consolocalisation», pour permettre aux visiteurs de trier les meubles selon leur lieu de fabrication, et communique «made in France». «Quand on réalise une campagne normale, on a aucun retour, s'amuse Emery Jacquillat, contrairement à celles sur le made in France...»

Bien sûr, ce concept "made in France" existait déjà, mais il n'était pas forcément visible. Ces derniers temps, une multitude de sites Internet (acheterfrancaisnestpasunluxe.fr, madine-france.com, hexaconso.fr, etc.) s'en sont emparés permettant d'identifier les objets, vêtements, chaussures, cadeaux, électroménagers fabriqués en France. L'année dernière déjà, chaque journal publiait sa «wishlist» de Noël made in France. Les sondages montrent en effet l'intérêt que portent les Français à cette question: ainsi, dans un sondage Ipsos publié début décembre, 78% d'entre eux estimaient «important» que leurs repas de fête soient composés de produits d'origine française, et 75% pensaient de même à propos des jouets offerts aux enfants.

Mais 2012 aura été un tournant pour ce thème très porteur en cette période de crise. Le made in France a été en effet au centre de la campagne présidentielle, avec les prises de position de François Bayrou et François Hollande, puis largement repris par le nouveau gouvernement avec l'activisme de son ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui, portant une marinière Armor-Lux en couverture du Parisien Magazine le 19 octobre, est devenu le meilleur ambassadeur de la marque quimpéroise. Du coup, de nombreux acteurs du made in France commercial, à commencer par A Little Market et le site madine-france.com, courtisent les hommes politiques pour proposer leur définition du made in France.

Pourtant, il existe déjà un label Origine France Garantie (OFG), qui a été développé par le délégué général du nouveau parti centriste UDI, l'ex-secrétaire d'Etat à l'Outre-Mer sous Nicolas Sarkozy, Yves Jégo, et son association Pro France. Le label a été lancé il y a un an, lors de la visite de l'ancien président de la République chez le fabricant de skis Rossignol à Sallanches (Haute-Savoie). Il est fondé sur deux critères essentiels: le produit doit être fabriqué entièrement en France, et plus de 50% de la valeur ajoutée du produit (design, recherche, communication...) doit être française. A cela, s'ajoute un critère pour l'agroalimentaire: la matière première doit être française. Les détracteurs du label OFG, décerné après audit, le jugent trop compliqué, pas assez répandu. Il concerne à ce jour 502 gammes de produits (recensés sur le site mesachatsfrancais.com).

«Il y a derrière ce label une volonté de donner une information claire au consommateur», explique Yves Jégo. «Aujourd'hui, nous sommes dans la confusion: il y a des marques fabriquées en France qui ne sont pas françaises et inversement. J'ai ainsi remis le label OFG à la marque américaine Häagen-Dazs, qui fabrique des glaces à Arras...» et emploie 250 personnes. Car si le consommateur demande des informations sur l'origine de ses biens de consommation, c'est, selon les spécialistes, parce qu'en achetant local, il a l'impression de préserver l'emploi.

 

Les dessous du made in France

Cette vision du "made in France" n'est pas appréciée par tous. «C'est un concept trop défensif dans un contexte de mondialisation, estime Denis Gancel, patron du groupe W&Cie (Havas). Il est trop difficile de tracer l'origine de tous les composants qui font un produit. Il faudrait davantage mettre en place une marque ombrelle «France», que toutes les entreprises françaises pourraient demander, et qui mettrait en avant la créativité et la "French touch" qui sont nos points forts». Selon lui, le consommateur étranger est plus sensible à ce qui relève du talent créatif français, comme l'a récemment montré l'étude Nation Goodwill Observer, réalisée pour l'Observatoire de la marque France, créé par Denis Gancel lui-même.

Le débat est lancé... «Une entreprise qui voulait faire des chaussures en France a constaté qu'il n'y avait plus de savoir-faire ici, et est allée les faire en Chine, poursuit Denis Gancel. Il ne faut pas être dogmatique non plus. Pour moi, l'avenir est beaucoup plus dans les services, comme dans tous les pays à forte valeur ajoutée, dont fait partie la France.»

Du savoir-faire, de l'audace créatrice et du flair, certains entrepreneurs en ont eu! Comme Guillaume Gibault, jeune homme tout juste sorti de HEC, qui a repris le nom de son grand-père pour lancer les bagages Léon Flam (fabriqués en France et au Portugal) et utilise l'appartement de sa grand-mère dans le 7e arrondissement de Paris pour créer son désormais célèbre «Slip français». Ses campagnes de communication ont fait le buzz: tout d'abord pendant la présidentielle, avec des slogans tels que «Le changement de slip, c'est maintenant», puis en cette fin d'année, avec le film rétro réalisé par l'agence BETC «Exigez le slip français». 

L'histoire du Slip français, c'est celle d'un pari, que Guillaume Gibault a relevé un soir dans un bar, anecdote qu'il a raconté dernièrement dans tous les médias, depuis la page portrait de Libération jusque sur les plateaux de Canal+. Les Slips français sont fabriqués dans une usine en Dordogne mais l'équipe cherche de nouveaux sites de production, et devrait s'installer du côté de Lille et de Troyes. Le Slip français est en contact avec d'autres entrepreneurs made in France, comme le gantier Olivier Fabre et les fabricants de prêt-à-porter installés dans le branché 10e arrondissement de Paris, La Comédie humaine et Balibaris.

Pour autant le concept de Guillaume Gibault marche-t-il? «On ne fabrique pas assez vite..., regrette-t-il avec une moue charmante. Nous sommes 50% au-dessus de mes prévisions qui, pourtant, étaient déjà assez ambitieuses.» L'entreprise, lancée en septembre 2011, réalise 300 000 euros de chiffre d'affaires.

La vague made in France ne ferait donc que commencer. A noter, cependant, qu'elle ne fait pas toujours recette. L'album Made in France, qui devait signer le retour de Stone et Charden au mois d'avril dernier, a fait un bide...

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