Année de la publicité 2012
Alors que la pauvreté progresse en Europe, les entreprises sont amenées à revoir leurs offres pour s'adapter à la baisse du pouvoir d'achat. Etat des lieux.

Mardi 11 décembre 2012. Le gouvernement tient sa "conférence nationale de lutte contre la pauvreté" poussé par des associations inquiètes de la progression du nombre de pauvres depuis 2004. Tout au long de l'année, les "unes" des journaux et les statistiques ont mis en lumière cette hausse inexorable de la misère. Un constat qui interroge aussi les entreprises. Doivent-elles revoir leur offre? Modifier leurs approches?

 

Le 27 août, dans un entretien au Financial Times Deutschland, Jan Zijderveld, responsable d'Unilever pour l'Europe, mettait le sujet sur la place publique. "Si un Espagnol ne dépense plus en moyenne que 17 euros quand il fait ses courses, je ne vais pas lui proposer un paquet de lessive qui coûte la moitié de son budget", avançait-il. Sa solution: vendre des petits contenants ou mono-doses plus accessibles au consommateur.

 

Le groupe s'inspire d'une méthode marketing utilisée dans les pays émergents par plusieurs grands groupes. Baptisée BOP pour "Bottom of the pyramid", elle vise à conquérir non plus les consommateurs en haut de la pyramide des revenus, mais ceux d'en bas: un énorme marché évalué à 4 milliards de personnes qui offre aussi l'opportunité de mobiliser les salariés autour de projets humanitaires.

 

Ces techniques peuvent-elles s'appliquer dans les pays développés? En novembre 2012, le Centre d'analyse stratégique, instance de réflexion dépendant du Premier ministre, s'est penché sur ce sujet complexe dans une étude sur "le rôle des entreprises dans la lutte contre la pauvreté". Ethicity, cabinet conseil en marketing responsable, auteur d'une étude sur les Français à faibles revenus et la consommation durable, a également organisé en octobre une conférence sur les "clients pauvres" en partenariat avec Youphil.

 

Dans sa lettre professionnelle, ce média spécialisé dans l'innovation sociale et sociétale revient sur les pratiques actuelles des entreprises, notamment dans l'Hexagone où un Français sur sept vit avec moins de 964 euros par mois.«Leur première réponse "pour les pauvres" a été le low-cost, le hard-discount, explique Youphil. Un service réduit au minimum et des coûts compressés au maximum

 

Unilever et Auchan, présents à la conférence, sont revenus sur leurs pratiques. «Pour maintenir l'accès à la marque, nous faisons des promotions, mais nous avons aussi lancé des soupes liquides Knorr ou des sachets cuisson pour repas familiaux à moins d'1 euro», a indiqué Sophie Jayet, directrice de la communication d'Unilever France tout en rappelant que la situation en France n'est pas comparable à celle de l'Espagne.

 

Auchan a pour sa part lancé en 2004 un rayon «self discount». Ses produits vendus en vrac permettent d'acheter aux poids les quantités souhaitées. Depuis, le distributeur propose une offre à bas prix clairement positionnée sur le développement durable. Baptisée «discount responsable», elle comprend, entre autres, une cinquantaine de produits bio à moins d'1 euro. «Les premiers prix ne doivent pas être des sous-produits et le bio ne doit pas être réservé aux clients à fort pouvoir d'achat», commente Marie-Hélène Boidin-Drubule, directrice de la communication d'Auchan en charge du développement durable.


Une démarche plus responsable que celle d'Unilever, dont l'importation de la «mini portion en Europe» soulève de nombreuses critiques. Certes les formats réduits adaptés au mode de vie en solo sont un bon rempart contre le gaspillage. Mais dans l'ensemble, le produit à l'unité, plus coûteux en emballage et en transport, est toujours plus cher que son équivalent vendu au litre ou au kilo. Peu souhaitable, donc, pour l'environnement mais aussi pour les populations défavorisées qui font trop souvent l'objet d'une «double peine».

 

Une étude du Boston Consulting Group, parue en 2011, chiffre le coût annuel de cette "pénalité de pauvreté" à 1 000-1 100 euros pour les ménages pauvres, soit 9 à 10% de leur budget annuel. Qu'ils s'agissent de produits moins chers à l'achat qu'il faudra remplacer plus vite ou de cartes téléphoniques prépayées facturées plus chères.

 

La double peine, ce sont aussi ces produits de qualité inférieure, moches ou inadaptés, qui sont proposés aux clients défavorisés. Ainsi le yaourt low-cost lancé en 2010 par Danone n'a pas rencontré son public. Baptisé Eco-pack, ces six yaourts à 1 euro misaient sur un packaging ultradépouillé aux couleurs criardes, une spécialité laitière à base de gélatine et un grammage revu à la baisse. Une arme anti-crise qui a fait splash.

 

«Le prix bas ne suffit pas. Les notions de plaisir et de valorisation sont aussi importantes pour ces populations qui font l'objet d'approches condescendantes, caricaturales ou misérabilistes», explique Olivia Verger-Lisicki, responsable des projets business inclusif chez IMS-Entreprendre pour la Cité.

 

Tout l'enjeu pour les entreprises est donc d'identifier les besoins et comportements de clients, démunis certes, mais qui n'achètent pas forcément les produits les moins chers. «La connaissance de cette cible est partielle et limitée à une approche strictement monétaire. Elle doit être élargie à l'analyse des conditions de vie, aux diverses privations rencontrées, aux facteurs psychologiques», poursuit Olivia Verger-Lisicki.

 

Une chose est sûre: les clients pauvres apprécient les marques, signe valorisant, mais aussi gage de sécurité, de réassurance. Une étude sur les nouvelles habitudes de consommation des classes moyennes du laboratoire d'études Free Thinking de Publicis Consultants revient sur cet attachement du consommateur aux marques. Dans un univers où tout est instable et inquiétant, elles incarnent la stabilité et continuent de faire rêver.

 

Les approches des entreprises se font aujourd'hui plus nuancées. Dans les pays du sud, elles ont pris le nom de BOP 2.0 avec l'idée de ne plus chercher la fortune à la base de la pyramide, mais de la créer avec elle dans une logique de création de valeurs pour tous.

 

En France, les entreprises s'appuient sur des acteurs de terrain, des ONG ou des entrepreneurs sociaux pour co-construire les produits ou services les plus adaptés. Ainsi, SFR expérimente depuis 2010 une offre de téléphone solidaire avec Emmaüs Défi: des cartes prépayées trois fois moins chères que le prix du marché sont proposées en contrepartie d'un accompagnement social pour réduire durablement le montant des factures.

 

Blédina (groupe Danone) a également lancé en 2010 avec plusieurs partenaires dont La Croix Rouge un programme pour améliorer la nutrition infantile. Il associe accompagnement éducatif et bons de réduction pour l'achat de produits Bledina.

 

Enfin Renault a officialisé en juillet son programme de social business "Mobiliz" pour faciliter l'accès à la mobilité des personnes en situation de précarité. "Ces démarches commencent à intéresser les directions marketing qui voient aujourd'hui dans ces populations l'occasion d'innover", commente Olivia Verger-Lisicki. Dans les pays du Sud, cela porte le nom de "reverse innovation". Ou comment des innovations nées dans les pays pauvres sont ensuite introduites dans les pays riches. Aider les pauvres pour s'enrichir, telle pourrait être, en 2013, la nouveau Graal des entreprises.

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