Année de la pub 2012
Red Bull a marqué l’année avec le record du monde de saut en chute libre de l’Autrichien Felix Baumgartner. La marque de boisson énergisante cultive son image autour d’événements sportifs transgressifs, hors des sentiers traditionnels de la communication.

Engoncé dans son scaphandre de cosmonaute, Felix Baumgartner s'extrait lentement du fauteuil dans lequel il est sanglé. Il ouvre la porte de la capsule spatiale. L'espace s'ouvre devant lui. La Terre, dont il discerne la rondeur, est à 39 000 mètres sous ses pieds. L'Autrichien bascule dans le vide pour un saut historique. Il est le premier homme à sauter d'aussi haut et à franchir le mur du son. «Je sais que le monde entier est en train de regarder et j'aimerais que vous voyiez ce que je vois...», a lâché l'aventurier avant de s'élancer ce dimanche 14 octobre.

Les images de son exploit ont fait le tour du monde. Le logo de son commanditaire, Red Bull, aussi. Une nouvelle fois, la marque de boisson énergisante a frappé fort. Pour un investissement estimé entre 40 et 50 millions d'euros, elle aurait bénéficié de retombées médias trois fois supérieures.

 

Donner des ailes aux athlètes

L'événementiel sportif est sa marque de fabrique. Red Bull consacrerait un milliard d'euros à sa communication, soit 30% de son chiffre d'affaires. Celui-ci atteignait 4,253 milliards d'euros en 2011, en hausse de 12,4%. Mais si le sport est son territoire, Red Bull a choisi des domaines inattendus: le BMX («Skyline»), le plongeon («Cliff Diving»), la descente en patin à glace («Crashed Ice»).

«Les sports décalés et les événements transgressifs sont dans ses gènes, estime Virgile Caillet, directeur de Kantar Sport. La marque s'associe à des disciplines quasi inconnues et fait son affaire du déficit de notoriété grâce à la puissance de feu développée pour chaque opération.»

Red Bull est devenu un label de qualité portant les événements. «La marque est actrice et non sponsor, analyse Gilles Dumas, codirecteur de l'agence de conseil Sportlab. Elle va plus loin qu'une stratégie d'équipementier. En maîtrisant toute la chaîne, de la conception à la médiatisation des événements, elle s'affranchit de tous les aléas liés aux détenteurs de droits.»

En sport automobile aussi, la société autrichienne ne fait pas comme les autres. Elle est depuis 2005 propriétaire de son écurie de Formule 1. Ces trois dernière années, le Red Bull Racing a remporté les titres mondiaux constructeur et pilote, avec Sebastian Vettel. «On ne peut pas parler de véritable sponsoring sportif, relève Frédéric Bolotny, économiste du sport. Red Bull est plus sur l'événementiel, car le sport classique n'apporte pas à la marque l'aspect transgressif dont elle a besoin.»

 

Producteur de programmes clés en main

En 2013, Red Bull gérera le Championnat du monde des rallyes. La marque, partenaire du pilote français Sébastien Loeb, a séduit la Fédération internationale de l'automobile (FIA) par son savoir-faire en matière d'événementialisation. Elle produira les images des courses via sa filiale Red Bull Media House.

La société de production audiovisuelle est un rouage essentiel dans la stratégie de Red Bull. La marque produit des contenus pour toutes ses plateformes et les vend aussi. Son catalogue est riche de centaines d'heures de programmes, tous en haute définition, parfois en 3D: événements sportifs bien sûr, mais aussi reportages touristiques ou culinaires, et documentaires animaliers ou sociétaux. Leur point commun: une éditorialisation spectaculaire et une production soignée.

Depuis deux ans, Red Bull Media House installe son stand aux MipCom et MipTV à Cannes, et au Sportel à Monaco. Les responsables de chaînes y dénichent de quoi remplir leur fond de grille. Les accords se limitent souvent à des contrats de diffusion de contenus de marque («brand content»).

Ainsi, BFM TV n'a pas sorti son carnet de chèques pour diffuser en direct l'opération Red Bull Stratos, en octobre dernier. Les images, également diffusées par CNN, étaient réalisées par la BBC et proposées gratuitement. Red Bull se contente de la visibilité. Elle s'est comptée en heures. Aujourd'hui, grâce à la qualité de ses productions, Red Bull Media House vend certains programmes et devient un poste de recettes.

La marque ne s'appuie pas que sur ses événements pour communiquer. En 2012, ses investissements publicitaires ont frôlé les 30 millions d'euros bruts, selon Yacast. La moitié à la télévision, le reste se partage entre le cinéma, qui touche les 15-24 ans - cœur de cible de la marque - et, plus surprenant, l'affichage. La boisson énergisante investit quatre fois moins que Coca-Cola, mais pour une seule marque. «Le niveau de Red Bull est quasi équivalent à celui de la marque Coca-Cola traditionnel ou Zéro», confie François Liénard, directeur délégué de Yacast.

Coca-Cola, qui joue sur une communication plus institutionnelle en étant partenaire historique des Jeux olympiques ou de la Coupe du monde de football, ne se laisse pas faire face à la montée de son concurrent: Monster, très implanté aux Etats-Unis, s'affiche sur les Grands Prix Moto et Burn a signé un accord avec l'écurie de Formule 1 Lotus. En France, les deux marques du groupe d'Atlanta (Géorgie) rassemblent moins d'un quart du marché des boissons énergisantes... contre 60% pour Red Bull.

Cinquième marché mondial pour Red Bull, la France devient un territoire majeur pour la marque qui y a développé une version locale de son magazine mensuel «The Red Bulletin» distribué avec L'Equipe. «La marque a également changé cette année sa stratégie de création, rapporte François Liénart, de Yacast. Le film animé "Red Bull donne des ailes" partage les investissements avec des actions liées aux événements de la marque». Un autre saut pour Red Bull, créatif cette fois.

 

(sous-papier)

 

Entretien

"Red Bull réinvente le sponsoring"


Directeur de Kantar Sport, Virgile Caillet estime que Red Bull dépasse la dimension du simple sponsor.

 

Comment définissez-vous l'opération Red Bull Stratos?

Virgile Caillet. C'est un événement exemplaire dans la stratégie de Red Bull parce qu'il traduit la façon dont la marque réinvente le sponsoring. Red Bull se réapproprie toutes les étapes, de l'idée à la définition du concept, en passant par l'organisation et la promotion, jusqu'à la médiatisation, puisque l'entreprise se charge aussi de la production des images et de la revente des droits. Il s'agit d'un schéma totalement original et nouveau.

Quelles ont été les retombées de l'événement?

V.C. Le nombre de retombées médias a dépassé les 3300 sujets, dont 80% autour de la date de la tentative, dimanche 14 octobre. A titre de comparaison, c'est quasiment autant que le titre olympique en natation de Yannick Agnel cet été aux JO de Londres, mais c'est deux fois moins que le lancement du dernier opus de James Bond et la célébration du 50e anniversaire du personnage.

La marque Red Bull en a-t-elle profité?

V.C. Elle a pleinement bénéficié de cette visibilité. Le nom de Red Bull était cité dans près de 40% des retombées. C'est bien mieux que pour n'importe quel événement sportif, cyclisme et voile mis à part. En termes de valorisation, le chiffre avancé au niveau international de 150 millions d'euros me semble réaliste.

Il y a aussi les retombées en termes d'image...

V.C. L'événement a apporté une image de marque positive pour Red Bull. Dans cette opération, Red Bull a dépassé la dimension de simple sponsor. La marque n'était plus perçue comme un partenaire mais clairement comme organisatrice de l'événement qui a même pris la tournure d'expérience scientifique. Cela a donné une nouvelle dimension et plus de responsabilité pour Red Bull. C'était très habile.

Stratos a-t-il été l'événement le plus important pour Red Bull?

V.C. En 2012, la marque aura bénéficié d'environ 47 000 sujets dans tous les médias. C'est quasiment autant que les Jeux olympiques. Une grande partie des retombées concernent l'équipe de Formule 1. En octobre, la F1 représentait 60% des sujets.

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