Année de la publicité 2012
Couacs à répétition, atermoiements, ambivalence, déficit de pédagogie... Sept mois après son élection, le chef de l'Etat a perdu la confiance des Français. Un apprentissage du pouvoir qui questionne son mode de gouvernance et de communication, où le chemin le plus court n'est jamais la ligne droite.

Rien ne se passe comme prévu. Le livre de l'écrivain Laurent Binet, paru fin août chez Grasset, qui raconte les coulisses de la campagne présidentielle de François Hollande, emprunte son titre au commentaire fait par le candidat socialiste à la nouvelle de la chute de DSK en mai 2011. «Jamais comme prévu», avait-il ajouté. Sa propre situation, sept mois après sa victoire contre Nicolas Sarkozy, confirme son propos.

 

Qui aurait imaginé que le chef de l'Etat, élu le 6 mai, battrait aussi vite des records d'impopularité? Avec seulement 35% de Français qui lui font désormais confiance (baromètre mensuel TNS Sofres-Sopra Group-Figaro magazine de décembre), c'est, au septième mois suivant une élection présidentielle, le niveau le plus bas d'un président de la République depuis Jacques Chirac en 1995 (39% lui faisaient confiance). A la même période en 2007, Nicolas Sarkozy avait la confiance de 49% de l'opinion.

 

Au lendemain de l'élection présidentielle, un sondage BVA-l'Express le crédite de 61% de bonnes opinions, pointant toutefois l'absence d'état de grâce. L'inversion des courbes s'opère dès la rentrée. «François Hollande chute de 15 points pendant l'été et devient impopulaire pour la première fois, constate Gael Sliman, directeur général de BVA. Une majorité est mécontente de son action et estime que le gouvernement ne va pas assez loin dans le domaine des réformes.»

 

Pas assez vite! Une «inaction» pointée par les médias, qui inaugurent le «Hollande bashing», selon le mot de Franz-Olivier Giesbert, directeur du Point. Début septembre, le news magazine titre «On se réveille?». Pour FOG, «contre Hollande, c'est un procès en immobilisme qui est instruit aujourd'hui par la presse, y compris par les journaux de gauche», en référence aux unes de Marianne «Hollande, secoue-toi, il y a le feu!» et du Nouvel Observateur «Sont-ils si nuls?». Laurent Joffrin répond: «Ils sont trop lents, les réformes ne vont pas assez vite.»

 

Comme si le slogan de campagne «Le changement c'est maintenant» s'était perdu une fois le décor démonté. Comme si, également, après cinq ans de rythme effrené imposé par Nicolas Sarkozy qui dictait à l'excès l'agenda médiatique, les journalistes accros exprimaient leur manque et leur éditeur... leur manque à gagner. Le 17 mai, avec la couverture «Fini de rire» les ventes en kiosques du Point sont passées de 85 000 habituellement à 115 000 exemplaires (lire page xx).


«Il faut vraiment vous désintoxiquer», s'était emporté le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, interrogé sur l'immobilisme du gouvernement fin août. Une manière de rappeler que le temps médiatique n'est pas le temps politique. Mais si le bon sens y adhère, est-ce seulement possible après cinq ans de sarkozysme?


Conseiller amical et bénévole de François Hollande durant la campagne, Robert Zarader en doute. «Qu'on le veuille ou non, Nicolas Sarkzoy a marqué les mémoires par son rapport direct avec l'opinion, note le président de l'agence corporate Equancy & Co. Il en reste une attente chez les Français et les journalistes. On ne peut pas effacer ce souvenir. Le président a cru qu'il pourrait revenir à une répartition des rôles plus classiques au sein du couple executif, lui plus en retrait, le premier ministre en première ligne. Or on le voit avec sa chute dans les sondages, cela ne fonctionne pas. Il y a une attente de l'opinon d'une présence plus forte du président.»

 

La méthode du «sorcier» Jacques Pilhan, conseiller de François Mitterrand puis de Jacques Chirac, qui prônait la rareté de la parole présidentielle comme outil de désirabilité, serait donc à remiser sur les étagères du siècle passé. «On est passé au quinquennat, et sous ce régime, où les législatives procèdent de l'élection présidentielle, le mâle dominant, c'est le chef de l'Etat, affirme Arnaud Dupui-Casteres, président de l'agence Vae Solis, conseiller de Jean-Pierre Raffarin à Matignon. L'Elysée doit inventer sa narration, imaginer un nouveau storytelling sans tomber dans les excès et les stigmatisations de Nicolas Sarkozy.»

 

Depuis le début de son mandat, ce n'est pas le chemin emprunté par François Hollande. Cela tient à la fois à ses convictions et à son tempérament, dont découlent une méthode et un mode de communication qui ne le conduisent pas à s'impliquer dans la construction d'un récit. Au risque de perdre en route la compréhension et la confiance des Français.


François Hollande a construit sa campagne en prenant le contrepied de Nicolas Sarkozy, notamment sur ce rejet de l'hyperprésident, omniprésent dans les médias, prenant les Français en otage dans un mouvement perpétuel dont il était le centre et réléguant son Premier ministre au rôle de «collaborateur». Sa revendication de «président normal» n'avait pas que des visées tactiques, entrant en résonance avec une opinion en quête d'apaisement: elle correspond à sa nature.

 

«Il pense que Sarkozy a épuisé la France, raconte Jean-Christophe Alquier, cofondateur de l'agence corporate Ella Factory. Il est convaincu que politiquement, il ne faut plus faire de mise en scène à finalité médiatique et a donc une pratique frugale du pouvoir veillant à ne pas en déployer les signes alors que la fonction présidentielle suppose de la solennité et une part d'emotionnel.» Pas d'images symboliques à son investiture (ni Panthéon, ni lettre de Guy Mocquet) ni de mise en exergue de moments, de lieux ou de centres d'intérêt.

 

«Ecouter les communicants est aussi, selon lui, une prise de risque politique», poursuit Jean-Christophe Alquier. François Hollande se méfie des spins doctor à l'instar d'un Stéphane Fouks (Havas Paris) qu'il a vu à la manœuvre pour Jospin et Dominique Strauss-Kahn. Il consulte, écoute mais ne s'est pas entouré comme son prédecesseur d'un «gourou» comme Jean-Michel Goudard, d'un idéologue comme Patrick Buisson ou d'un sondeur comme Pierre Giacometti.

 

A l'Elysée aujourd'hui, deux conseillers communication, Christian Gravel et Claudine Ripert-Landler, et une cellule Web sont rattachés à Aquilino Morelle, conseiller politique du Président. La ligne «conseils en communication et enquêtes d'opinion» a été supprimée du budget 2013 de l'Elysée.


Son tempérament, on pourrait même dire son intelligence, et sa formation à HEC et à l'ENA, ont fait de lui un homme pragmatique jusqu'à l'hésitation (comment interpréter son propos tenu puis retiré sur la loi sur le mariage des homosexuels que les maires pourraient ne pas appliquer au nom de la liberté de conscience?). Patron du Parti socialiste pendant dix ans, il n'était pas l'homme d'une ligne mais celui de la synthèse et du consensus (celui qui ne décide rien, disaient ses détracteurs comme Martine Aubry qui le taxa de «gauche molle» pendant la primaire).

 

A l'Elysée, son secretaire général adjoint, Emmanuel Macron, est un ancien associé de la banque Rothschild et son conseiller politique, Aquilino Morelle est l'ancien directeur de campagne d'Arnaud Montebourg, le chantre de la démondialisation!

 

Avec Jean-Marc Ayrault, son double à Matignon, le Président a naturellement installé une méthode de décision qui passe par la concertation. «La méthode n'est jamais un vecteur de communication. On ne vibre pas pour une méthode, souligne Jean-Christophe Alquier. La normalité et le consensus, ça ne nourrit pas une histoire.»

 

«François Hollande est un joueur de go, pas un joueur d'échecs, ajoute le politologue Stéphane Rozes, président du cabinet de conseil Cap. Face à la complexité des sujets et des contraintes, il pense que pour prendre les bonnes décisions, il ne doit pas se lier les mains dans un récit mais se placer au milieu d'un champ de tension, quitte à le créer s'il n'existe pas, observer et faire confiance à son intelligence.»

 

Au risque d'entretenir de fausses espérances se transformant en bombe à retardement. L'épisode Mittal-Florange est à cet égard la première crise de son mandat où sa méthode d'équilibriste apparaît au grand jour. Le Nouvel Observateur, qui titre «Le désaveu» le 13 décembre, ne lui pardonne pas ses «petites habiletés» et sa manière de «garder tous les fers au feu..., et [de] ne jamais revendiquer une ligne afin de préserver des équilibres instables». En l'espèce, préserver son aile gauche en laissant Montebourg brandir la nationalisation temporaire et exaspérer son Premier ministre et son aile social-démocrate... sur le dos des ouvriers de Florange.

 

«Le leadership s'incarne dans le management et dans la capacité, non pas à gérer du consensus, mais des talents, affirme Jean-Christophe Alquier. Cela suppose de savoir dire non à des individualités pour qu'ils intègrent le collectif. Quand on ne raconte pas une histoire collective, chaque ministre peut avoir sa propre stratégie de communication, d'où les couacs.» Perçus comme la rançon de l'apprentissage du pouvoir, ces «couacs» successifs depuis six mois révèlent aussi une absence de partition claire et les problèmes d'orchestration de communication qui en découlent.

 

Pourquoi François Hollande semble-t-il se dérober à toute pédagogie? Parce que sa vision n'est pas claire ou par précaution? Sa politique économique est plurielle. Elle prévoit à la fois des mesures d'austérité (hausse des impôts et réduction des déficits), le soutien à l'emploi (contrat de génération, contrat d'avenir), de la justice sociale et le fameux pacte de compétivité (crédit d'impôt pour les entreprises) perçu comme un tournant majeur pour la gauche mais réfuté comme tel par François Hollande.

 

«En période de crise et compte tenu des contraintes européennes, il y a une difficulté à clarifier un discours qui n'est pas immédiatement positif et qui pourrait être perçu comme un aveu d'impuissance et créer une rupture avec la gauche de Mélenchon», explique Emmanuel Rivière, directeur du département stratégies d'opinion de la Sofres.

 

N'empêche: pour Robert Zarader, «il faut assumer le diagnostic. C'est une politique de l'offre qui se dessine. Alors, osons parler rigueur. En communication politique il faut toujours faire le pari de l'intelligence et dire la vérité puis communiquer sur l'ambition et pas sur les moyens.»

 

Avec la conférence de presse du 13 novembre, la première du mandat - un exercice tardif mais réussi de l'avis de tous: 45% des Français qui en ont entendu parler et 55% des téléspectateurs qui l'ont regardé ont été convaincus selon BVA -, et avec l'arrivée prochaine du journaliste Claude Sérillon à L'Elysée, le président semble avoir décidé de se pencher sur sa communication et son image (sur ce point, le comportement de sa compagne Valérie Trieweiler instruit son procès en faiblesse).

 

«Il doit revenir au discours du Bourget - La France, ce n'est pas le problème c'est la solution, disait-il - et donner une perspective à son action pour sortir les Français de leur pessimisme et inquiétude», conseille Stéphane Rozes.

 

Sur CBS en juillet dernier, le président Barack Obama, candidat à sa réélection (et réélu!), ne disait pas autre chose, considérant que «[son] erreur lors des deux premières années de son mandat a été de penser qu'à ce poste, il fallait simplement faire de bons choix de politique (...) alors que la nature de cette fonction est aussi d'expliquer [où l'on va] aux Américains pour leur donner un sens de l'unité, des objectifs et de l'optimisme, particulièrement quand les temps sont durs.»

 

Du pur marketing? Robert Zarader ne le croit pas: «Les Français attendent qu'on leur raconte et explique l'histoire qui va se jouer car ils en sont les acteurs et nul autre que le Président peut en être le narrateur."

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.