crise
Le scandale des plats préparés contenant du cheval révèle un problème qui dépasse la seule traçabilité de la viande, celui de la responsabilité sociale de l'ensemble des acteurs de la filière.

Sur l'échelle de l'UBM (unité de bruit médiatique), le scandale de la viande de cheval devrait galoper en tête des scores de ce début d'année. Lancée mi-janvier outre-Manche par la Food Safety Authority qui a décelé de la viande de cheval dans les steaks de boeuf du distributeur Tesco, la polémique s'est rapidement transformée en «affaire Findus». Le groupe de plats surgelés qui a en effet trouvé à son tour de la viande de cheval dans certains de ses produits à base de boeuf (lasagnes bolognaises, hachis parmentier et moussaka) a dû stopper la commercialisation des lots incriminés en Grande-Bretagne, en France et en Suède. 

L'affaire révèle un incroyable circuit d'approvisionnement démarrant dans un abattoir roumain dont la matière première transite, via un trader chypriote puis néerlandais, par le fournisseur français Spanghero à Castelnaudary pour être ensuite redirigée vers le préparateur Comigel basé à Metz et livrant 16 pays via sa filiale Tavola, installée au Luxembourg, pour finir dans des plats préparés pour Findus et différents distributeurs.

 

Adopter un positionnement clair

Dans cet enchevêtrement d'acteurs, la parole de chacun est loin d'être audible. D'autant que les premiers concernés, l'abattoir roumain, Spanghero et Comigel se sont contentés pour l'heure de se renvoyer la balle.«Dans ce genre de crise, il ne faut pas seulement réagir aux événements, mais aussi adopter un positionnement clair. Findus a su assumer la situation tout en se déclarant victime, via le dépôt d'une plainte contre X», estime Caroline Marchetti, cofondatrice de l'agence Maarc, qui a conseillé Findus France aux premières heures de l'affaire avant que le groupe ne centralise sa communication au niveau européen chez Burson Marsteller.

Comme souvent dans ce genre d'affaire, les distributeurs concernés (Auchan, Casino, Carrefour, Système U, Cora, Monoprix et Picard) ont joué l'esquive. «Ils ont profité du rideau de fumée Findus puis du problème des pratiques de la filière pour éviter le débat de fond sur la guerre des prix», analyse Serge Michels, vice-président de l'agence Protéines. Responsables des produits des grandes marques qu'ils commercialisent, «les distributeurs ont été encore plus discrets sur les retraits de leurs propres marques venant du même fournisseur, Comigel. Mais Leclerc et Intermarché, dont les marques en propre (MDD) n'étaient pas concernées, ne se sont pas privés pour communiquer sur le sujet», renchérit Caroline Marchetti qui note au passage la stratégie «Je lave plus blanc que blanc»des politiques:«des sanctions devront être prononcées», a déclaré François Hollande au terme de la réunion des professionnels convoquée à Bercy le 11 février autour des ministres concernés. 

 

En finir avec les circuits opaques

Dans cette affaire, Serge Michels s'étonne de la faible prise en compte du consommateur: «Il y a eu un manque flagrant d'empathie. Le réflexe sanitaire a primé: pas de risque, donc pas de sujet consommateur.» Or «le problème dans cette histoire est que l'on ne sait pas vraiment ce qu'il y a dans les produits que l'on consomme», rappelle le vice-président de Protéines. L'UFC-Que Choisir et l'association de consommateurs CLCV envisagent d'ailleurs de porter plainte pour tromperie. 

Mais pour Thomas Marko, président de l'agence Thomas Marko & Associés qui travaille entre autres pour le ministère de l'Agriculture et l'Interbev (association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes), le problème de fond pour tous les acteurs de la filière n'est pas seulement la lutte contre d'éventuelles escroqueries qui «n'est qu'un leurre pour détourner l'attention du vrai problème. Il s'agit plutôt d'en finir avec le "greenwashing" autour de ces circuits opaques. La filière, retranchée derrière les mesures de traçabilité instaurées depuis la crise de la vache folle, ne prend pas en compte des sujets de responsabilité sociale des entreprises essentiels, comme la proximité et la délocalisation».

Une remise en cause en profondeur que Patrick Lagadec, directeur de recherche à l'Ecole Polytechnique et spécialiste de la gestion de crise, résume ainsi: «Dans un contexte de fragmentation et de recombinaison à grande vitesse sur une géographie totalement ouverte, le problème est systémique. Il faut repenser nos systèmes de gestion de crise afin d'avoir la capacité à déceler les signaux aberrants qui ne rentrent pas dans les radars habituels.» 

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