crise
Un mois après le début de l'affaire de la viande de cheval, personne ne maîtrise encore la situation. Mais les premières stratégies de sortie de crise commencent à se dessiner.

Findus, Picard, Carrefour, Nestlé, Ikea, Panzani, Iglo, E.Leclerc... ces dernières semaines, de nouveaux maillons viennent chaque jour agrandir la chaîne du scandale né mi-janvier en Grande-Bretagne et apparu en France le 8 février avec le retrait en grandes surfaces de lots de lasagnes au boeuf Findus contenant de la viande de cheval. Le «Horse gate», estampillé à ses débuts «crise Findus», est international puisqu'il s'étend désormais du Danemark au Portugal et touche même l'Asie.
Une tromperie sanctionnée par les consommateurs qui se détournent depuis quelques semaines du rayon des plats cuisinés. Avec une chute des ventes de ces produits de 46% en seulement deux semaines, par rapport à 2012, le manque à gagner atteint 3,3 millions d'euros, indique une étude Nielsen menée entre le 1er et le 5 mars. Mais si pour Sébastien Monard, analyste consommation et distribution chez Nielsen, cette baisse «devrait se poursuivre et s'installer assez durablement», certains experts de la communication de crise ne sont pas de cet avis.

Pour Thomas Marko, fondateur et directeur associé de Thomas Marko & Associés, habitué des questions agroalimentaires, «le consommateur, dans le climat de crise qui est le nôtre, sera amené à reprendre le chemin des produits congelés en grandes surfaces, car si la pression économique fait que les moyens financiers s'amenuisent, il faut quand même manger.» Un constat que partage Serge Michels, vice-président de l'agence Protéines: «Pour toutes les crises fortement médiatisées, il y a une baisse de la consommation d'environ 40%. La seule grande inconnue, c'est le temps que l'on met à récupérer ces consommateurs, parce qu'au final on les récupère tous. Mais le retour à la normale ne se fera pas avant de longs mois.»

Un retour à la normale dont on est encore bien loin dans cette affaire plus psychologique que sanitaire et dont les conséquences économiques peuvent rappeler l'hécatombe provoquée par la bactérie Escherichia coli chez les producteurs de concombres en 2011. L'entreprise Castel Viandes a ainsi annoncé, lundi 11 mars, la mise au chômage technique de ses 330 employés, à la suite de la chute de son activité, un employé ayant affirmé que l'usine utilisait de la viande avariée, notamment à destination des restaurants Flunch.

 

Rétablir la confiance des consommateurs

Ce qui compte, aujourd'hui, dans cette «crise qui rejaillit sur toute la filière», selon Christophe Ginisty, spécialiste de la communication de crise (ex-Edelman), c'est de «commencer par être solidaire, ravaler son orgueil et arrêter de se dédouaner en pointant le doigt vers l'autre». Une stratégie du «ce n'est pas ma faute», entre autres menée par Findus qui, lorsque la crise a éclaté, a cru bon de rappeler que c'était grâce à ses tests que la fraude avait été dévoilée, sans jamais s'excuser auprès du consommateur. «La filière doit retrouver ses lettres de noblesse, il va donc falloir augmenter le niveau de transparence, communiquer sur les approvisionnements et sur la manière dont les choses se passent», ajoute Christophe Ginisty.

Une ambition que partage l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), comme le signale sa directrice de la communication et des relations institutionnelles, Elsa Chantereau: «Il faut répondre aux inquiétudes, et cela passe par la communication sur qui nous sommes, ce que l'on fait et comment on le fait. L'ambition est de renouer le dialogue avec les consommateurs et de reconstruire la confiance. Notre approche stratégique est désormais claire: transparence, proximité et valorisation de l'humain. Nous encourageons les entreprises agroalimentaires à ouvrir dès que possible leurs usines et ateliers, et à inviter les consommateurs à découvrir le parcours de fabrication des produits et la diversité des métiers.» La société Delpeyrat a ainsi ouvert les portes de son unité de fabrication de plats cuisinés, soulignant que tout était élaboré sur place à partir de produits locaux. Une transparence que les consommateurs apprécieraient, selon une étude Nomen menée en janvier, avant même la crise, sur la crédibilité des marques alimentaires, qui atteste que la traçabilité (42%) et la transparence (30%) sont deux des quatre critères principaux dans le choix d'une marque alimentaire. Si Danone, Nestlé et Carrefour arrivaient en tête du classement il y a deux mois, les résultats ne seraient aujourd'hui peut-être plus les mêmes.

Car si la faute a été rejetée sur des acteurs comme Spanghero et que les soupçons se portent sur des négociants peu scrupuleux, le consommateur ne retiendra de cette crise que les noms des marques avec lesquelles il est en contact. Et plus la crise durera, plus ils s'imprimeront dans l'esprit du consommateur, comme l'indique Serge Michels: «Personne ne retient une crise violente mais courte, en revanche tout le monde se souvient de la crise de la vache folle.» Cependant, le cas présent diffère de la crise de la vache folle, puisqu'il s'agit «d'une magouille suscitée par l'appât du gain, et non d'un cheptel malade. Même si l'on ne craint rien en termes de santé, on risque plus pour notre ego, car nous avons été dupés en tant que consommateurs», indique Christophe Ginisty. «Aujourd'hui, la France entière a compris ce qu'était du minerai, on nous livre les coulisses de l'alimentaire et ça c'est terrible. Il faudra montrer que l'on est vertueux, par l'approvisionnement, le sourcing (traçabilité) et les accords passés avec les filières», souligne Thomas Marko.

 

Le made in France à tout prix

«L'exemple que vont devoir suivre la grande distribution pour leurs marques propres et l'industrie agroalimentaire pour les marques nationales, c'est celui de McDonald's. Sous le feu des critiques il y a quelques années, la chaîne de restauration a dû passer des accords avec des filières d'approvisionnement françaises pour le pain, les légumes, la salade et la viande», ajoute Thomas Marko. Et en effet, dans cette crise, «McDonald's n'a pas été inquiété», note Serge Michels, «pourtant c'est le premier vendeur de steaks hachés en France. Mais ils ont tellement sécurisé leurs filières et effectué un tel travail de communication sur l'origine de leur viande que personne ne se pose de question. C'est là que l'on perçoit l'intérêt d'une bonne communication».

Une communication au compte-gouttes, qui est surveillée de près par les cabinets spécialisés en communication de crise auxquels les différents acteurs incriminés ont fait appel. Pour limiter les dégâts, Findus s'est adjoint les services de l'agence Reputation Squad pour redorer son e-réputation. Si l'agence ne fait aucun commentaire, elle aurait tout de même mené campagne pour que le nom de l'industriel ne figure plus dans les titres des articles relatifs à la crise.

Mais la reconquête du consommateur ne pourra se faire que lorsque les différents acteurs apporteront la preuve que ce qu'ils ont annoncé a été mis en place, à savoir des tests ADN systématiques, des filières d'approvisionnement 100% françaises et une traçabilité exemplaire. «Le packaging aura un rôle à jouer, il faudra qu'il soit plus clair sur ce que le produit contient, sur sa recette», indique Serge Michels. Mais ce processus au long court ne répond pas à l'urgence du questionnement des consommateurs.

C'est pourquoi l'Ania travaille actuellement sur deux axes à court terme, en lien avec les pouvoirs publics, comme l'indique Elsa Chantereau: «Il faut prendre nos responsabilités et mettre en place les bons mécanismes pour que cela ne se reproduise plus. Une charte antifraude que nous avons proposée est en cours de rédaction. Ensuite, il faut donner des réponses concrètes et précises aux consommateurs.» Pour Thomas Marko, la crise pourrait cependant être salutaire, car elle permettrait au consommateur de redécouvrir des viandes oubliées. «A la place d'Hippopotamus, je mettrai le steak de cheval sur ma carte», lâche-t-il.

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