Régions
Enviée mais aussi décriée, la capitale azuréenne concentre désormais sa communication sur une image de ville verte et high-tech. Son maire, l’ancien ministre chargé de l’industrie Christian Estrosi, est omniprésent dans les prises de parole.

Ombres et lumières. Dans le centre de Nice, ce vendredi 12 avril, les dalles en pierre de la nouvelle esplanade de la Bourgada (un nom en nissart, la langue historique de la ville) réfléchissent l'intense luminosité du soleil. Inaugurée en juillet 2012, cette place constitue la première phase du projet de «coulée verte», qui s'étendra sur 12 hectares, de Christian Estrosi, député-maire de Nice depuis 2008. C'est aussi un élément important de la communication de la ville, qui s'appuie sur une politique de grands travaux et un net changement de style par rapport à la précédente municipalité. Nice retrouve une place sur l'échiquier national. En face de l'esplanade, devant l'église du Vœu, les oranges amères des bigaradiers percent le ciel azur. Leur goût acide fait penser à la mauvaise image d'une ville encore étiquetée «3e âge, extrême-droite et affairisme».

Le thème de «Nice, ville verte de la Méditerranée» est un des axes principaux de la communication externe. « Aujourd'hui, Nice marie respect de l'environnement et activité high-tech, promeut Dimitri Triadafillidis, directeur de cabinet adjoint et de la communication de la métropole Nice-Côte d'Azur. Ce n'est pas une simple destination balnéaire puisque l'on peut y vivre et travailler agréablement toute l'année.» La ville met en avant son Ecovallée, une opération d'intérêt national en cours d'implantation dans la plaine du Var, à l'ouest de Nice. On y retrouvera notamment le nouveau projet d'Ikea en 2016 qui mêlera commerces et habitations ainsi que le grand stade, dénommé Allianz Riviera d'après le nom de son sponsor allemand.

Les palissades qui marquent l'entrée du chantier de la coulée verte retracent, via photographies, l'histoire des aménagements du Paillon, le fleuve qui coule sous la cité. Les images font penser en creux à la longue période «médeciniste» de la ville, lorsque Jean Médecin (maire de 1947 à 1965) et son fils Jacques (maire de 1966 à 1990) présidaient la destinée de Nice. Doté d'une stature locale et nationale, Christian Estrosi a adopté une communication sur la ville qui tranche avec celle de son prédécesseur, Jacques Peyrat, maire de 1995 à 2008. « Jacques Médecin ne communiquait pas, il gouvernait, tandis que Jacques Peyrat se reposait sur un prestige un peu suranné, estime Patrick Mottard, professeur de droit public, conseiller général PRG des Alpes-Maritimes et ex-candidat socialiste à la mairie de Nice en 2001 (41,31% au deuxième tour). Avec Christian Estrosi, la vie politique locale s'est un peu nationalisée. Mais il aime trop la communication pour en faire de la bonne.» Les observateurs locaux s'accordent à dire que la communication de la ville s'est extrêmement professionnalisée et que ses rouages sont bien huilés. «Elle est efficace, précise et comporte des effets de surprise, comme les annonces de l'arrivée d'Ikea ou de la coulée verte», observe Olivier Biscaye, directeur des rédactions de Nice matin, Var matin et Corse matin.

Coïncidences

Si le bâtiment ocre de la mairie est d'envergure modeste pour la cinquième ville de France, il s'y est déroulé des changements d'importance depuis l'arrivée de Christian Estrosi. Egalement président de la métropole Nice-Côte d'Azur, le maire a fusionné les services de communication de la mairie et de la métropole. «Ce n'était pas le cas auparavant sous Jacques Peyrat, note Jean-Christophe Magnenet, cofondateur de l'agence Nice presse, qui réalise les pages locales de 20 Minutes.Cette concentration d'efforts engendre plus d'efficacité avec les grands médias nationaux et internationaux.»

A la tête de la communication de la mairie, un tournant a eu lieu l'an dernier, sur fond de rivalité politique. En juillet 2012, la directrice de la communication de la métropole, Caroline Magne, a quitté son poste et a été remplacée par Dimitri Triadafillidis. Il se trouve qu'elle est l'épouse d'Eric Ciotti, député et président du conseil général des Alpes-Maritimes, mais aussi rival potentiel de Christian Estrosi selon certains. «La relation entre Eric Ciotti et Christian Estrosi est empreinte de fidélité, répond Dimitri Triadafillidis. Caroline Magne est jeune et souhaitait faire autre chose professionnellement.» D'autres remarquent la coïncidence de ce départ avec l'annonce du soutien d'Eric Ciotti à François Fillon dans la course à présidence de l'UMP, alors que Christian Estrosi réfléchissait à sa propre candidature.

Au début de l'année 2013, la ville de Nice a choisi, à l'issue d'un appel d'offres, l'agence parisienne Only Conseil afin de gérer son budget d'assistance en communication et à la préparation des interventions médiatiques, pour un montant de 61 800 euros. Il est à noter que le patron de cette enseigne est le «spin doctor» Jean-Luc Mano, ancien directeur de l'information de France 2, qui conseille Christian Estrosi sur sa communication politique. «Je suis son conseiller en stratégie globale de communication, mais je ne m'occupe pas de sa stratégie politique, explique Jean-Luc Mano. Nice sera l'une des métropoles les plus importantes de France et il faut provoquer une rupture d'image d'une ville qui vivait sur ses acquis: aisance, bien-être, soleil… Pendant des années, Nice s'est comparée à Marseille et cherchait à rivaliser avec Cannes sur le nombre de congrès. Aujourd'hui, elle a l'esprit tourné vers l'Europe et doit se mesurer à Barcelone, Gênes ou Turin.»

Communication à un rythme soutenu

Trois traits dominants caractérisent la communication de l'édile: une stratégie événementielle, un rythme effréné et une hyper-personnalisation. «La stratégie événementielle est un élément incontournable pour dynamiser la ville, c'est pourquoi nous recevrons le Tour de France cette année, se félicite Dimitri Triadafillidis. Outre le rayonnement de Nice, l'événementiel est aussi un moteur de développement économique.»

Les opposants ont un autre point de vue sur la question. «C'est une stratégie superficielle qui se réduit à du “buzz” et à des coups, déplore Patrick Allemand, conseiller municipal PS de Nice, candidat à la mairie en 2008 (33,17% au deuxième tour) et premier vice-président du conseil régional Paca. Il manque une cohérence d'ensemble, une politique d'attractivité du territoire – tourisme, plus grand aéroport français après ceux de Paris, Ecovallée –, ainsi que sur le plan culturel.»

La communication de proximité aborde tous les sujets à un rythme soutenu. Les Jeux de la francophonie, en septembre prochain, le projet de technopôle urbain Nice Méridia, l'inauguration du Spot mairie (une cabine de «mairie virtuelle») ou des fêtes traditionnelles niçoises en sont quelques exemples. «La communication municipale a pour objectif de montrer que Christian Estrosi est à la manœuvre», note Olivier Biscaye. Une cadence élevée adoptée par un maire omniprésent… ce qui fait dire à ses opposants qu'il est un clone de Nicolas Sarkozy dans ce domaine. «La personnalisation très forte est liée au caractère de Christian Estrosi, qui dit “J'ai décidé”, “Je veux” ou “J'ai demandé à”, sans évoquer le conseil municipal», constate Jean-Christophe Magnenet. La récente visite du maire au nouveau pape François 1er a suscité des réserves sur la séparation entre communication institutionnelle et personnelle. «Les limites sont parfois floues», relève Jean-Christophe Magnenet. Une frontière autour de laquelle oscille Fils de Nice, le livre de Christian Estrosi publié par les Editions du Rocher en février dernier .

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