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La cartographie est-elle la «killer app» de demain? C’est en tout cas le nouveau champ de bataille des Apple, Google, Microsoft, Amazon, Facebook… Quelques challengers français tentent d'exister ou de résister.

La guerre des «maps» (cartes géographiques) serait-elle déclarée? Depuis quelques semaines, c'est l'escalade avec l'acquisition très médiatisée de la start-up Waze par Google au nez et à la barbe de Facebook… Assurément, les services de cartographie et de navigation sont devenus incontournables pour les entreprises high-tech, portés par l'essor des smartphones (44% des Français en possèdent, d'après la Mobile Marketing Association France) et par le fait que se géolocaliser est entré dans les mœurs.

«L'information géographique, la nécessité de s'orienter est un des besoins fondamentaux des individus pour leur sécurité. Avec l'apparition des GPS sur les téléphones mobiles, on a vu exploser les offres et la consommation des services basés sur la localisation», décrypte Jean-Philippe Grelot, directeur général adjoint de l'Institut géographique national (IGN).

Mardi 11 juin, Google annonçait l'acquisition de Waze pour 1,2 milliard de dollars. Depuis quelques semaines, la start-up israélienne était courtisée par Apple et Facebook. Pourquoi un tel intérêt pour Waze? Elle a une pépite: sa technologie. Elle utilise les signaux satellites des smartphones de ses abonnés pour générer des cartes et des données relatives au trafic routier, qu'elle partage ensuite avec d'autres utilisateurs en leur offrant des information sur le trafic en temps réel. Un service de GPS «crowdsourcé» (alimenté par les internautes), qui compte plus de 36 millions d'utilisateurs dans 110 pays.

Or, «la nouveauté consiste à ajouter des couches d'information sur les données de base de la carte: le trafic routier, les tornades… Ce que permet Waze avec son système participatif», précise Virginie Lazès, directrice associée de la banque d'affaires Bryan Garnier & Co.

D'autres géants du secteur avaient déjà avancé leurs pions dans le développement de systèmes cartographiques, à coups d'acquisition ou de lancement de services. Dès 2007, Nokia, visionnaire, acquérait Navtech pour 8,1 milliards de dollars. Et mettait ainsi la main sur son trésor de guerre: ses bases de données cartographiques.

Dans sa dernière gamme de smartphones, les Lumia, le constructeur finlandais propose ainsi quatre applications mobiles autour de son service Here (ex-Nokia Drive): Drive, Maps, Transit et City Lens. Avec des innovations technologiques, comme la possibilité de télécharger la cartographie d'Here Drive et de l'utiliser hors ligne à l'étranger. Ou encore, sur Here City Lens, une technologie maison qui permet d'afficher en réalité augmentée des informations complémentaires.

Pour rentabiliser cela, «on propose sous licences le contenu [les bases de données] d'Here, l'accès à la plate-forme ou les applications mobiles», précise Eric Fumat, vice-président des ventes pour la zone EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique). Il compte ainsi des clients dans les télécoms, l'industrie automobile et des constructeurs tiers: «HTC et d'autres constructeurs utilisant Windows Phone 8 vendront cet été l'appli mobile Here Drive», annonce-t-il.

La différence par le local

Le pionnier Google, avec son Maps lancé en 2005 avec Google Earth et Street View, a annoncé mi-mai son nouveau design, le plus important à ce jour: le prochain Google Maps (encore en version bêta) proposera des services plus ciblés, avec par exemple des recommandations de lieux basés sur les préférences des mobinautes visitant une nouvelle ville. Microsoft, de son côté, dispose de Bing Maps depuis 2009. Et Facebook, depuis août 2010, propose Facebook Places, permettant à ses utilisateurs d'indiquer en temps réel à leurs amis où ils se trouvaient.

En septembre dernier, Apple lui-même lançait son application Plans, implémentée sur son Iphone 5, et la nouvelle version de son système d'exploitation mobile, IOS 6. Avec pour objectif de bouter l'omniprésente Google Maps hors de son écosystème. Las! Truffée d'approximations, lancée trop vite, Plans suscite l'ire des internautes et contraint Tim Cook, le patron d'Apple, à présenter le 26 septembre ses excuses publiques. Apple ne devrait pas en rester là. Si Waze lui a échappé, il a racheté discrètement Wifi Slam fin mars, pour 20 millions de dollars, selon The Wall Street Journal. Cette société est un spécialiste de la cartographie intérieure (centres commerciaux, musées, aéroports, etc.), dont l'appli mobile permet aux mobinautes de se géolocaliser grâce aux signaux Wi-Fi déjà présents dans les bâtiments, selon le site pour les start-up Angel List. Amazon a lui aussi acquis il y a un an la start-up new-yorkaise Up Next, spécialisée dans la cartographie 3D. Pour lancer un service de cartographie sur ses tablettes Kindle?

Pendant ce temps, en France, des challengers avancent eux aussi leurs pions. Solocal Group (ex-Pages jaunes), avec Mappy et son application Mobile, est en première ligne. «Nous proposons les fonctions traditionnelles – trafic, transports en commun, etc. – mais aussi les points d'intérêt locaux – stations-service, hôtels…», précise Julien Billot, directeur du pôle médias de Solocal Group.

Tout en cherchant à faire la différence par des éléments locaux: «Nous avions des fiches d'information pour les magasins basées sur les informations de Pages jaunes. Nous y avons ajouté un service permettant d'“entrer” chez les commerçants qui ont fait photographier l'intérieur de leur magasin», poursuit Julien Billot. Neuf mille commerces parisiens (30 000 à terme) sont couverts.

Plus discrètement, l'Institut géographique national (IGN) lancera cet automne son application mobile de cartographie géolocalisée, à partir de son Géoportail ouvert sur Internet en 2006. En exploitant son trésor de guerre, ses propres fonds de cartes en France. «Toute la question sera quels services en accès payant y greffer», précise Jean-Philippe Grelot, directeur général adjoint.

Le mobinaute géolocalisé à l'insu de son plein gré

L'enjeu derrière cette bataille des «maps»? L'ajout de nouveaux services, si possible payants. Et de nouveaux modèles publicitaires. Les cartes sont la porte d'entrée vers le commerce, aussi bien en ligne que dans le monde réel: les publicités géolocalisées pourraient permettre de faire venir les mobinautes dans les boutiques depuis leur smartphone.

Le modèle publicitaire de base est de proposer aux commerçants locaux une meilleure visibilité sur leur carte ou d'y greffer des offres géolocalisées et ciblées, en fonction du lieu où se trouvent les prospects. C'est ce que tente Solocal sur Mappy. Avec le format payant Mappy Vitrine, qui sera lancé fin septembre, «le commerçant pourra créer sa bulle d'information dans Mappy. Comme avec l'affichage de JCDecaux, on vend à l'abonnement une présence, à l'année, pour quelques centaines d'euros par an», précise Julien Billot, de Solocal Group.

Ces nouveaux services s'appuyant sur la géolocalisation posent des questions inédites de protection de la vie privée des mobinautes. Bon nombre d'applications les géolocalisent en effet parfois à leur insu, comme le révélait récemment une étude de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

Tous devront faire la différence face à la toute-puissance de Google. Aux Etats-Unis, les deux-tiers des smartphones seraient dotés de Google Maps, et plus de 70% des internautes ayant visualisé une carte en ligne le font via Maps, d'après l'institut Com Score. «Google a compris très tôt l'intérêt de tout cartographier et a pensé le mobile comme l'avenir de l'Internet, comme l'a montré le lancement d'Android en 2008. D'où ses investissements énormes en interne pour avoir des cartes, utilisées par un maximum d'applications tierces», remarque Virginie Lazès, de la banque d'affaires Bryan Garnier & Co.

 

Encadré

Les principaux acteurs de la cartographie mobile

Fournisseurs de fonds de cartes: Navtech, Tom Tom (groupe Télé Atlas), Open Street Map (solution ouverte et gratuite, nourrie sur un mode collaboratif), Google.

Applications mobiles cartographiques: Google Maps, Nokia Here (Drive, Maps, Transit et City Lens), Mappy Mobile (Solocal Group), Bing Maps (Microsoft).

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