lobbying
Le Parisien a dévoilé le fichage des eurodéputés par le leader mondial du tabac. Transgression des règles d'un milieu très feutré ou méthodes au contraire très répandues?

Quelques jours avant l'examen par le Parlement européen d'une directive antitabac, Le Parisien a publié dans son édition du 21 septembre une enquête sur les pratiques de lobbying de Philip Morris. Le quotidien révèle ainsi des documents confidentiels du leader mondial de l'industrie du tabac datant de 2012 et 2013 et fichant les députés européens, dont les 74 représentants français, selon leur proximité supposée avec l'industrie cigarettière.

Trois catégories ont été répertoriées: en rouge les ennemis supposés du tabac, en bleu ceux qui n'auraient rien contre et en vert ceux «à voir d'urgence», donc perçus comme des alliés potentiels. Une technique méthodique et efficace selon Le Parisien, qui assure que «le report de septembre à octobre de l'examen du texte combattu par l'industrie constitue (...) une victoire pour elle (...), la discussion parlementaire pourrait traîner en longueur et la directive ne pas être votée avant les élections de 2014».

Le doute sur un trafic d'influence

Si le quotidien ne souligne aucune malversation, il note toutefois l'existence de budgets d'un montant total de 548 927 euros alloués à ses 161 lobbyistes «pour l'organisation d'événementiels». Une somme dont la destination finale reste inconnue, selon Le Parisien, laissant planer le doute sur un trafic d'influence. La suspicion est d'autant plus forte qu'en octobre 2012, le commissaire européen à la Santé, John Dalli, avait dû démissionner après avoir été justement soupçonné de liens avec un cigarettier.

L'article du Parisien a déclenché une vague de protestations largement relayée par les médias français et étrangers. Stéphane Le Foll, le ministre de l'Agriculture et dont le nom (il était alors député européen) apparaît dans le fichier comme «à voir d'urgence», s'en est aussitôt indigné: «L'existence de ce fichier est une atteinte aux libertés publiques. Il faut que Philip Morris donne des explications.» Le système d'influence du cigarettier serait-il en train de partir en fumée?

 

Avis d'experts

 

L'industriel

Amancio Sampaio, président de  Philip Morris France

Non. Dans le cadre de ses activités, Philip Morris place l'intégrité et le respect de la vie privée au premier rang de ses priorités. Les dossiers dont il est fait mention reflètent simplement une perception des opinions exprimées par les élus amenés à discuter et adopter des textes de lois. Ceci est en adéquation avec les usages et conforme à ce que font d'autres entreprises, ONG ou autres groupes d'intérêt dans le cadre d'un processus législatif normal afin de porter à la connaissance des élus les problématiques et enjeux. Ainsi, nous entendons continuer à exprimer nos opinions de façon proactive et en toute transparence.

 

Une association

Emmanuelle Beguinot, directrice du Comité national contre le tabagisme.

Oui. Le tabac n'est pas un produit de consommation comme les autres. C'est pourquoi des règles existent pour interdire ce genre de pratiques. Il s'agit de la Convention cadre pour la lutte antitabac instituée en février 2005 sous l'égide de l'OMS [Organisation mondiale de la santé], à ce jour ratifiée par 180 pays, dont les 27 membres de l'Union européenne. Ce texte exige des pouvoirs publics qu'ils se prémunissent des pressions de l'industrie du tabac via une obligation de transparence et une limitation au strict nécessaire de leurs relations avec les industriels. Or, sur les 161 lobbyistes connus de Philip Morris, seuls deux sont officiellement enregistrés au Parlement européen.

 

Une consultante

Capucine Fandre, fondatrice de Séance publique

Non. Le fichier d'un représentant d'intérêt est composé de la reprise des déclarations publiques des parlementaires. C'est une compilation de verbatim classés un peu à la façon de Google. En l'occurrence, je ne vois pas où est le problème, tout le monde fait cela et dans tous les secteurs, c'est la base de notre métier. Et quant à demander l'autorisation à chaque parlementaire d'être mentionné sur une liste, ce serait totalement ingérable. Concernant les invitations à des soirées ou autres, cela n'influe absolument pas sur le vote des élus, c'est même contre productif tant ils craignent que cela soit repris dans les médias. 

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