Dans la ruelle pavée de la cour Damoye à Bastille (Paris), les portes de l'antre de l'innovation du groupe Pernod Ricard se fondent dans le décor. Seule indication que le lieu est bien celui que l'on cherche, la sonnette qui affiche un timide BIG (Breakthrough Innovation Group). Cette entité, sortie en 2012 de l'imagination de trois experts du groupe, Alain Dufossé, Vlastimil Spelda et Daphnée Hor, est consacrée à l'innovation de rupture et a pour mission d'inventer le «futur de la convivialité».
C'est elle qui est à l'origine du projet Gutenberg, une bibliothèque de spiritueux connectée qui a fait grand bruit lors de sa présentation fin janvier. Avec pareille mission, rien d'étonnant à ce que les 200 m² du bureau tiennent plus de l'appartement cosy et du cabinet de tendances que de l'impersonnel espace de travail. A l'entrée, ni bureau ni secrétaire mais un chaleureux salon aux murs tapissés de bouteilles de spiritueux baignant dans une lumière tamisée. Sur le bar, les exhausteurs de goût trônent aux côtés d'essences de fleurs de Bach, «nous travaillons à de nouveaux arômes», souffle Alain Dufossé, le maître des lieux, lunettes noires et chemise blanche, qui dirige une petite équipe de sept personnes à la fibre entrepreneuriale.
Bar à cocktail digital
Chez BIG, on scrute à la loupe ce qui se passe dans des «trend-driving cities» comme Tokyo, New York ou Singapour. «A partir de ces observations, l'équipe scénarise de nouvelles expériences qui pourraient se matérialiser dans le futur», développe Alain Dufossé. Dernière «expérience» imaginée par BIG, le projet Gutenberg donc, une bibliothèque de spiritueux qui regroupe les bouteilles de la marque sous forme de livres connectés, via la technologie sans fil NFC, à tout appareil de type smartphone, tablette et autres. Gutenberg offre de nombreuses possibilités pour optimiser son expérience de dégustation. Une bouteille est vide? L'utilisateur est averti et peut même être livré à domicile selon l'option qu'il a paramétrée. En manque d'inspiration pour les cocktails de la soirée? Les bouteilles interconnectées et pilotées par n'importe quel appareil délivrent la juste dose d'alcool pour réaliser des cocktails sur mesure.
Simple prototype, cette innovation pourrait arriver dans les salons d'ici à deux ou trois ans. Un projet qui n'aurait pas eu ses chances, selon Alain Dufossé, s'il n'avait pas été proposé par cette structure non soumise aux process du groupe. «Le fait d'être en dehors du groupe permet d'être extrêmement libre et de mener des projets qui n’aboutiraient pas si on les évoquait à l'intérieur, car il n'y aurait pas de ressources allouées à ces propositions.» BIG n'aurait pas vu le jour si Pernod Ricard n'avait pas décidé de regarder ce qu'il se passe en dehors de son univers concurrentiel et de faire de l'innovation l'un de ses piliers stratégiques, avec le programme «Agility» initié en 2009.
Né après une longue période d'acquisitions dans les années 2000, ce projet d'entreprise a pris forme après le rachat d'Absolut, une marque qui «apporte au groupe une expertise et un savoir-faire en innovation qui est essentiel», juge Thierry Billot, directeur général adjoint de Pernod Ricard. Le groupe investit alors dans un écosystème consacré à l'innovation composé de BIG, mais aussi du Kangaroo Fund, un concours interne destiné à faire émerger et développer les idées qui le méritent. Et pour que les équipes soient encore plus agiles, le groupe a investi dans un réseau social d'entreprise: Chatter, qui permet aux employés du monde entier de rester connectés et de partager leurs expériences. Première entreprise française du classement Forbes 2013 des sociétés les plus innovantes, Pernod Ricard prouve que l'innovation a le sang jaune, avec plus de 350 projets en cours de développement. Des innovations qui, à ce jour, ont contribué à 25% de la croissance organique, assure-t-on au sein du groupe.
