communication
Le leader mondial de l'assurance vient d'ouvrir son lab à San Francisco. Frédéric Tardy, directeur du marketing et de la distribution du groupe, détaille les enjeux et le rôle de cette structure dont la mission est d'accélérer la mutation digitale.

Axa Lab se situe à San Francisco. Pourquoi pas dans la Silicon valley ?

Frédéric Tardy. Les start-up préfèrent aujourd'hui s'installer à San Francisco plutôt qu'à Palo Alto, notamment pour faire face à la pénurie d'ingénieurs. Il est plus facile d'attirer les talents en centre-ville, où il y a une vie de quartier, des bars, des restaurants, que dans la Silicon Valley. Nous suivons ce mouvement. Nos bureaux se situent juste en face de ceux de Twitter.


Vos concurrents sont-ils présents ?

F.T. Non, nous sommes la première société d'assurance internationale au mon à avoir un lab dans la région. Et une des rares entreprises françaises du CAC 40 présente sur place dont le business n'est pas directement concerné par les activités numériques. À la différence d'Orange, Bouygues, EDF et Renault Nissan qui ont d'ores et déjà un lab dans la Silicon Valley.

 

En quoi est-ce important d'être sur place ?

F. T. Notre environnement bouge extrêmement vite et cela touche de plus en plus l'activité des entreprises traditionnelles. Dans la Silicon Valley, il faut compter une vingtaine d'année par nouveauté, dix ans de pure innovation, dix ans de monétisation. Pour les réseaux sociaux, nous sommes dans la phase de monétisation. Les introductions en bourse de Facebook et Twitter le prouvent. Aujourd'hui, ces sociétés attaquent les citadelles des entreprises traditionnelles pour perturber leur business model et récupérer une partie des revenus. En revanche, pour ce qui est du big data, nous sommes encore dans la phase exploratoire d'innovation.


Certains secteurs sont-ils particulièrement concernés ?

F. T. De toute évidence, l'automobile connaît une disruption majeure. Demain, la valeur d'une voiture ne sera plus sa carrosserie, mais l'information en mobilité. Avec sa voiture sans conducteur, Google ne cherche pas à commercialiser des véhicules. Un américain passe en moyenne une heure par jour en voiture. S'il ne conduit pas, il consomme des médias. C'est bingo pour Google qui augmente ainsi son marché publicitaire. Même chose pour la télévision. Si elle devient un support Internet, un device parmi d'autres, les acteurs de la Silicon Valley auront gagné. Certes, pour l'instant, la Google TV n'est pas encore très répandue, mais aujourd'hui, quand on achète un téléviseur Samsung ou Panasonic, il est équipé d'Android, le système d'exploitation de Google. Sur la voiture, Google est en train d'embarquer avec lui tous les constructeurs, pour accélérer le déploiement d'Android dans leurs véhicules. Ils font ce qu'ils ont fait dans la télévision. Les acteurs de la Silicon Valley vont ainsi digitaliser l'ensemble de l'économie. Actuellement, le numérique représente 3 à 4% du PIB des pays. Cette part sera un jour majoritaire. Dans ce contexte, l'ambition d'Axa est de devenir une société internet.


Votre métier d'assureur est-il touché ?

F.T. Pour le moment non, mais certaines innovations technologiques ou évolutions vont, à terme, avoir un impact sur notre activité. La Google Car par exemple nous concerne par ricochet puisqu'il ne s'agira plus d'assurer un conducteur. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aura plus d'assurance. Les Google Car peuvent se faire pirater, il s'agira davantage de cyber-sécurité que d'assurance individuelle. Le concept d'assurance va changer.


Quels autres changements vous concernent ?

F. T. Avec des sociétés comme ZipCar ou Uber, les gens ne sont plus propriétaires du véhicule qu'ils utilisent. Nos assurances devront donc couvrir la mobilité, moins les biens physiques. L'économie collaborative, dans son ensemble, avec ses offres de peer to peer, d'assurances entre amis, peut faire évoluer nos contrats.


On parle également beaucoup de transhumanisme et d'allongement de la durée de vie...

F. T. Tout à fait. On voit que l'homme est en train de robotiser ses sens. Le téléphone portable, c'est la robotisation de la main, les Google Glass, c'est la robotisation de la vue. On voit des implants de puce aujourd'hui à San Francisco. Or, nous sommes un acteur important du secteur de la santé. Tout ce que l'on appelle le quantified self nous concerne. De plus en plus de personnes monitorent leur santé qu'ils fassent du sport ou interrogent leur mobile pour un chek up rapide. Avec succès. 30 % des équipés de bracelets électroniques se prennent au jeu, deviennent plus actifs au bout de six mois, donc en meilleure santé. Or, cette demande de capteurs connectés va être démultipliée cette année aux États-Unis. Cela ne peut nous laisser indifférents.


Vous pourriez concevoir des objets connectés ?

F. T. Nous ne sommes pas une société de higth tech, mais les objets connectés nous intéressent. Il y a quinze jours, j'ai rencontré dans la Silicon Valley les membres de l'Institut pour le futur. L'un d'eux avait sur son portable vingt-six objets connectés pour suivre et nourrir son chien à distance ou ouvrir la porte aux enfants qui oublient leurs clés. Dans l'assurance, nous savons que si la température d'une maison baisse brutalement, c'est souvent une effraction, si elle monte, c'est un incendie. La domotique peut aussi concerner les assurances habitation. Ils jouent aussi un rôle important en matière de prévention, un sujet clé pour un assureur, qui a tout intérêt à aider tout un chacun à se protéger des accidents et des effractions. Grâce à eux, nous pouvons dorénavant mesurer nos actions préventives. À titre d'exemple, nous avons lancé une application mobile qui évalue la conduite d'un client ou d'un prospect de manière à l'améliorer. En Suisse, nous avons également lancé en assurance auto une offre télématique appelée « drive recorder », proposée aux 18-25 ans. Si l'un d'eux prouve qu'il a une conduite responsable, cela peut remettre en cause le fait qu'un jeune inexpérimenté paie plus cher son assurance. Et donner naissance à des contrats plus personnalisés.


Concrètement, quelles sont les missions d'Axa Lab ?

F. T. La première est de former l'ensemble des 160 000 salariés du groupe. Nous avons commencé en 2013 par les 200 cadres dirigeants d'Axa. Cette année, nous allons former les 600 cadres exécutifs du groupe. Les équipes d'Axa Lab pourront organiser des skypes chaque semaine pour présenter de nouvelles tendances ou de nouvelles start-up. C'est aussi un hub, un lieu de réflexion et de conception de nouveaux produits ou services. Par exemple, nous allons accueillir des équipes qui plancheront sur l'avenir de la distribution physique dans un monde qui se digitalise. Enfin, l'Axa Lab souhaite participer à son éco-système. Nous allons passer des partenariats avec des start-up ou des groupes pour tirer profit en pionnier des changements en cours.


Comment voyez-vous l'avenir de la distribution de l'assurance ?

F. T. À San Francisco, les libraires ont disparu, les agences de voyage ont disparu… mais pas les agences d'assurance. C'est la preuve qu'il y aura toujours un réseau physique. Pourquoi ? Parce qu'un plan de retraite ou d'assurance santé ne s'achète pas en deux clics via son mobile. Cela reste un achat complexe et très engageant. En revanche, les deux tiers du business d'un agent d'assurance de la Silicon Valley se fait aujourd'hui via Facebook. Et au Royaume-Uni, 75% du business des assureurs passe par Internet contre seulement 4% en France. Or, 70% des consommateurs commencent en ligne leur recherche de produits financiers et d'assurance. C'est déjà une réalité. Il nous faut donc former nos agents à ces nouvelles manières d'interagir avec les consommateurs.

 

Quid de la publicité digitale ?

F. T. Avant la publicité se gérait mondialement. Aujourd'hui, elle se fait de plus en plus locale. C'est un agent d'assurance qui va concevoir les campagnes à partir d'une bibliothèque de messages qu'il adaptera à ses cibles. C'est un grand changement. Un agent qui communique sur Facebook avec un petit mot, une petite touche finale, va faire la différence. Ceux qui utilisent les réseaux sociaux aux États-Unis voient ainsi leur chiffre d'affaires significativement augmenter. Nous passons du mass media au sur mesure. Idem en matière d'achat d'espace, où l'on acquiert non plus des segments mais des individus. Nous travaillons aujourd'hui activement sur le « programmatic buying », pour optimiser les coûts d'acquisition et se construire une courbe d'expérience. Nous n'en sommes qu'au tout début.


Vous comptez ouvrir d'autres labs ?

F. T. Oui, d'autres verront le jour. L'innovation a vocation à vivre dans l'ensemble du groupe, pas seulement à San Francisco. Un data innovation lab verra ainsi le jour en avril à Suresnes.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.