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On les dit fainéants, fauchés et sans enthousiasme. Pourtant, les 15-30 ans sont une cible très prisée des annonceurs. Mais gare au faux pas publicitaire! Décryptage avec, en exclusivité, les résultats d’une étude réalisée par Opinion Way pour Melty Group.

Appelons-le Kevin, le prénom le plus donné en France en 1992. Aujourd'hui âgé de vingt-deux ans, il est étudiant, vit chez ses parents, comme 40% des jeunes de son âge, et passe chaque jour 1h37min sur Internet et près de 2h40min à regarder la télévision. Autant d'occasions pour les marques de chercher à capter son attention.

«Cette génération a grandi avec les écrans, elle est habituée à être sollicitée par les marques et elle connaît les ressorts de la publicité. Les jeunes aiment cette dernière, mais pas n'importe laquelle», assure Patrice Kimmel, responsable études au sein de l'agence Junior City.

Pour comprendre ce qui fonctionne, les ingrédients qui permettent à une marque de sortir du lot auprès des 15-30 ans, les formats qui plaisent et, plus largement, la relation qu'entretiennent les jeunes aux marques et à la publicité, Melty, site d'information sur l'actualité du divertissement à destination des jeunes, a réalisé avec l'institut Opinion Way une étude sur le sujet, dont nous publions ici les résultats en exclusivité.

Premier enseignement: sans surprise, les jeunes disent aimer les marques. Sur le podium de celles dont ils se sentent le plus proches figurent respectivement Samsung, Apple et Nike. Des résultats qui varient avec l'âge. Si les 15-17 ans plébiscitent Adidas, Nike et Apple, les 25-30 ans affectionnent tout particulièrement Samsung, Apple et Sony.

«Après 25 ans, avec l'entrée dans la vie active et la mise en ménage, l'appartenance à un groupe est moins prégnante dans la construction de son identité, d'où une moins grande fidélité aux marques», décrypte Thierry Mathé, chargé d'études et de recherche sur la consommation au Crédoc.

En termes de secteurs d'activité, les 15-30 ans se sentent proches des marques d'habillement, puis de high-tech et de grande consommation. Le secteur culture-médias ne se classe qu'à la 8e place, à égalité avec la téléphonie. «De façon surprenante, l'entertainment est quasiment absent. Quand on leur parle de marque, les jeunes pensent avant tout à l'aspect produit, à quelque chose de concret», avance Rodolphe Pelosse, directeur général adjoint de Melty, en charge du développement.

Selon Patrice Duchemin, sociologue de la consommation et rédacteur du blog L'Œil by Laser, «plus qu'une marque, on préfère aujourd'hui un produit. Pour se faire accepter, il faut aimer le téléphone ou les chaussures de sa communauté. Ce n'est plus Nike qu'on aime, mais le modèle Nike Blazer ou Nike Air».

Pour justifier leur intérêt pour une marque plutôt qu'une autre, les jeunes placent en première position les aspects concrets, comme le produit, le service proposé et le prix, puis la relation client, et enfin les valeurs de la marque. «A cet âge-là, l'éthique n'est pas un critère qui joue beaucoup, analyse Thierry Mathé. D'autant que cette génération sait très bien que l'éthique peut être utilisée par les marques à des fins marketing.» Le scandale qui, à la fin des années 1990, avait secoué Nike, accusé de faire fabriquer ses ballons par des enfants, ne semble pas avoir laissé de traces auprès de la jeune génération.

Attention au «jeunewashing»

Les secteurs de la banque-assurance, du luxe, de l'énergie et de l'automobile sont ceux dont les jeunes se sentent le moins proches. Mais tout n'est pas perdu: «Même dans ces secteurs, les jeunes que nous avons interrogés parviennent à citer des marques», souligne Laura Menis, responsable d'études au sein de Melty Group.

La Caisse d'épargne ou le Crédit agricole dans la banque, Dior ou Chanel dans le luxe, Renault ou Audi dans l'automobile: ces marques se démarquent dans l'imaginaire des jeunes en raison du design de leurs produits, de leur innovation et pour leur communication.

Parmi les derniers exemples en date, une campagne de la Caisse d'épargne à destination des jeunes (agence BDDP & Fils). «Ça déchire», «truc de ouf», «halluciner grave»… la banque ne ménage pas sa peine pour parler «djeun'». Une manière de communiquer qui n'est pas sans risque. «Il ne suffit pas de parler en langage SMS pour être aimé des jeunes. Surtout, une marque n'a pas vocation à parler comme tel», souligne Emmanuelle Fernoux-Coutenet, directrice du pôle médias et hors-médias de l'agence Junium. Comme le «greenwashing» dans le domaine de l'environnement, le «jeunewashing» peut vite s'avérer contre-productif. «C'est une génération à qui l'on doit l'honnêteté pour être crédible. Beaucoup d'événements, tel celui autour de la viande de cheval, ont montré que les marques ne jouaient pas toujours franc-jeu. Ce type d'affaires marque beaucoup les jeunes», souligne Emmanuelle Fernoux-Coutenet.

Mais alors, quels sont les ingrédients à réunir pour qu'une publicité plaise à la jeune génération? Celle-ci attend tout d'abord qu'elle soit drôle, avant d'être belle et de faire rêver. N'est pas drôle qui veut. LCL en sait quelque chose. En décidant de mettre en scène dans sa dernière campagne l'humoriste Gad Elmaleh la banque pensait miser sur une valeur sûre. En quelques heures, la publicité est devenue la risée des réseaux sociaux, les internautes moquant des vannes pas drôles, le tout agrémenté des rires forcés d'un faux public, version moderne de la boîte à rire des années 1980.

«Aujourd'hui, le public cible d'une publicité peut se retourner assez vite contre la marque et les répercussions d'un “bad buzz” sont amplifiées par Internet et les réseaux sociaux», note Patrice Kimmel, de Junior City. «Les jeunes sont très méfiants des marques qui veulent entrer dans leur tribu, souligne le sociologue Patrice Duchemin. Celles-ci ne doivent pas s'imposer dans leur univers, elles doivent laisser les jeunes choisir. C'est le syndrome du Tous en Gap [du nom de cette campagne de l'enseigne d'habillement diffusée à la fin des années 1990 et qui avait pour slogan «Tout le monde en cuir»]. La marque n'a jamais vraiment réussi à s'imposer chez les jeunes.»

Aller plus loin que le rire

Autre ingrédient du cocktail publicitaire efficace, l'information donnée par la marque, puis la mise en avant de ses valeurs. Arrivent ensuite la présence de beaux garçons ou de belles filles, puis celle d'animaux, des ingrédients qui ont longtemps fait recette. A la 8e place seulement, le recours à des célébrités.

La génération Y est-elle en train de signer la mort des égéries? «La présence de stars dans les publicités se classe assez loin, alors qu'en termes d'investissement, cela représente un budget non négligeable pour les marques. Cette génération est très pragmatique et lucide par rapport aux marques, elle a conscience que la présence de célébrités est un argument marketing», analyse Rodolphe Pelosse, de Melty. Pour lui, l'un des meilleurs exemples est la campagne P'tits Fruits d'Oasis (agence Marcel). «La marque a su créer ses propres stars, qui sont même des antistars. Oasis est un exemple créatif, original, qui repousse toujours les limites en termes de format, avec notamment des webséries et même un jeu vidéo.»

Quels sont justement les formats et les médias les plus efficaces pour toucher et surtout intéresser cette nouvelle génération de consommateurs? L'étude Opinion Way pour Melty donne une longueur d'avance aux campagnes mêlant formats classiques et en ligne.

Car si cinéma, radio, affichage, presse et télévision sont parmi les supports de communication dans lesquels les 15-30 ans ont le plus confiance, les webséries et les réseaux sociaux les dépassent en termes de modernité. «La publicité sur les nouveaux médias n'est pas toujours considérée comme très créative», précise Laura Menis, de Melty Group. Sur ce critère, le mobile se classe bon dernier, en dessous de l'e-mail, des newsletters et des jeux-concours.

Attention, «il ne suffit pas d'utiliser un média jeune, comme Facebook, pour être aimé, prévient Emmanuelle Fernoux-Coutenet, de l'agence Junium. C'est avant tout le discours et le contenu qui font que les jeunes adhèrent ou pas. Les marques ont peut-être davantage privilégié la forme au fond.»

Certes, les réseaux sociaux sont considérés comme modernes et créatifs sur le plan de la publicité, mais ils souffrent sur le critère de la confiance. «Facebook a peut-être trop profité de son statut initial pour faire entrer les marques et il le paie aujourd'hui. Les jeunes se tournent vers des réseaux plus intimes et plus immédiats, comme Snapchat», ajoute Emmanuelle Fernoux-Coutenet. Les marques peuvent avoir une place à y prendre. «La mode de l'éphémère permet de créer le suspens, note-t-elle. Plus globalement, si la communication reste indispensable, les marques peuvent, en complément, trouver des moyens malins pour accompagner les jeunes dans leur vie quotidienne. C'est bien de faire rire, mais il faut aller plus loin en apportant une valeur ajoutée qui crée de la sympathie et de la connivence avec la cible jeune.» Après la génération Y, la communication Y?

 

 

Méthodologie

«L'étude sur les jeunes, leur relation aux marques et à la publicité» de Melty-Opinion Way est une étude quantitative réalisée auprès d'un échantillon de 1 021 répondants âgés de 15 à 30 ans, représentatif de la jeune population française. L'échantillon a été interrogé en ligne, via le système CAWI, du 26 mars au 7 avril 2014.

 

 

Focus : Une cible très étudiée

Instituts d'études et régies portent une attention particulière à la cible jeune. Parmi les plus connues, l'étude Junior Connect d'Ipsos Media CT, qui passe au crible la fréquentation médias et la consommation des jeunes de moins de 20 ans. Autres études, Simm-TGI Youth de Kantar Media, sur les 11-24 ans, dont la dernière livraison remonte à janvier 2013. TNS Sofres, Ifop, CSA, Opinion Way, Médiamétrie ainsi que les régies de médias jeunes, telle NRJ Global, scrutent aussi régulièrement cette population.

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