internet
L’arrivée de plusieurs milliers de nouvelles extensions de noms de domaine pourrait bouleverser la communication digitale des marques et, au-delà, inaugurer une nouvelle partition d'Internet.

Après deux ans d'analyse de dossiers, l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), société chargée de l'administration des ressources numériques d'Internet, vient d'autoriser l'exploitation de plusieurs milliers de nouvelles extensions de noms de domaines (abrégées «gTLD»). Les historiques «.com» et autres «.fr» côtoieront dorénavant de nouvelles gTLD en caractères non latins, géographiques (.paris, .bzh), génériques (.hotel, .music), communautaires, ou même des noms de marques (.loreal, .apple). Ce qui pourrait d'abord s'apparenter à une anecdote cache en réalité une foultitude d'enjeux sous-jacents, entre nouveau volet stratégique dans le déploiement digital des marques et nouvelle partition d'Internet.

Pour Paul Boulangé, head of digital d'Havas Paris, qui s'est offert une gTLD .paris à son compte, «c'est un nouveau signifiant qui vient se greffer à l'URL pour lui donner une dimension supplémentaire. Dans notre cas, cela permet de faire rayonner la capitale tout en lui empruntant son image de marque». Il y a également une logique d'échelle : s'associer à une zone géographique permet de toucher un public plus précis en s'adressant explicitement à lui. De plus, l'emprunt de ces gTLD par une marque intimement associée à une région permet d'optimiser son référencement, l'URL étant particulièrement bien repérée par Google. Damien Leflon, team manager noms de domaine chez l'hébergeur OVH ajoute «c'est une nouvelle opportunité pour les webmasters : il sera à nouveau possible d'acheter “noms de domaines à mots clés” qui étaient jusqu'alors saturés sur les extensions historiques. Cela ouvre la voie à de nouvelles stratégies de netlinking pour les e-commerçants et les SEO manager.»

En règle générale, ces nouvelles gTLD permettront non seulement un meilleur ciblage des contenus pour l'internaute, qui pourra mieux cerner le secteur d'activité d'un site, mais habiliteront aussi les marques souffrant de concurrence par homonymie à affirmer leur différence. Dans ce sens, les grands groupes pourront s'en servir pour mieux identifier leurs filiales et se rendre légitimes sur des sujets secondaires (laissant par exemple imaginer des rothschild.vin ou rothschild.banque). Ce pourrait également être un gage de sécurité et de fiabilité pour les internautes, s'agissant notamment des établissements bancaires, dont l'authenticité serait avérée au préalable grâce à l'URL.

Les enjeux de ces gTLD peuvent par ailleurs revêtir des dimensions plus politiques, comme l'acceptation du .quebec à la place de qc.ca: «une vraie victoire symbolique pour les souverainistes québécois», comme le signale Arno Pons, directeur général de l'agence 5ème Gauche. La récente opposition de ministres français à l'ouverture des extensions en .vin ou .wine, pour protéger certaines appellations d'origine, démontre également que les extensions sont soumises à un traitement politique comparable à celui des labels.

 

La fin d'Internet ?

Un certain scepticisme est toutefois évoqué quant à cette nouveauté. Outre les risques de «hammeçonnage» et la problématique de polysémie de certaines gTLD, Marcel Botton, président de Nomen, y voit un premier clivage important d'Internet, permettant aux marques les plus puissantes de se procurer une gTLD à leur nom, quitte à éclipser la visibilité et la légitimité de marques homonymes.

Internet deviendrait donc un espace morcelé et hierarchisé comme les autres. Arno Pons poursuit cette idée en avançant que «dans “progrès”, on perd l'idée originelle qui est d'avoir un seul et même Internet pour tous [...]. Un espace totalement libre, sans hiérarchie par les moyens.» Ce qu'il annonce, ce n'est ni plus ni moins que «la fin d'Internet pour laisser place aux internets. Les extensions de domaine accompagnent cette tendance d'atteinte à la neutralité du Net par une discrimination croissante.»

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.