Présent au Festival de Cannes, comme une quarantaine d'autres collaborateurs d'Unilever venus du monde entier, Marc Mathieu, 54 ans, marketing senior vice president du groupe, détaille la stratégie du géant anglo-néerlandais en direction des start-up.

Quelle est votre mission au sein d'Unilever?

Marc Mathieu. Mon travail depuis mon arrivée en 2011 consiste à mettre Unilever au goût du jour en termes de marketing. Et ce, autour de trois piliers: people, brands, magic. A savoir, être à l'écoute des gens et de leurs attentes, redonner du sens à nos marques et privilégier la créativité. Ma mission est finalement de retrouver l'esprit pionnier d'Unilever, un esprit que souvent les grandes entreprises perdent en grossissant. Les premiers mois après mon prise de fonctions, j'ai passé beaucoup de temps à consulter les archives d'Unilever. J'ai ainsi découvert que William Lever, fondateur du groupe, n'a pas cessé d'innover au niveau marketing. C'est un exemple dont nous devons nous inspirer. Il fut par exemple le premier à s'associer aux frères Lumière pour créer ce qu'on appelle aujourd'hui du «brand entertainment». En 1896, il fît en effet réaliser l'un des tout premiers films de l'histoire du cinéma: Les Laveuses, où l'on voit des femmes faire la lessive avec le savon Sunlight. A noter que William Lever fut également l'un des premiers à créer des marques à part entière qui ne portait pas le nom de leur créateur, comme Sunlight justement. Autre marque emblématique du groupe, Colman's, qui créa dans les années 1920 The Mustard Club, un club ouvert au grand public promu par des publicités mémorables comme celle-ci déclarant: «C'est quoi un canari? C'est un moineau qui a rejoint The Mustard Club». A l'image de notre fondateur, il nous faut retrouver des raisons d'oser et d'innover pour la marque.

 

Ces derniers temps, cette innovation semble notamment passer pour Unilever par des associations avec des start-up. Pourquoi privilégier ce type de partenariat?
M.M.
Quand on demande à Facebook ou à Google de quoi ils ont peur, ils répondent: des start-up, qui vont proposer une innovation susceptible de tout changer - tout comme eux-mêmes l'ont fait il y a quelques années. Dans le même esprit, à l'occasion d'une récente rencontre que nous avons eu avec lui, John Hegarty [cofondateur de l'agence Bartle Bogle Hegarty/BBH] nous a parlé de son projet de créer «The House of disruption», non pas une agence de publicité classique mais une sorte d'incubateur mieux adapté, selon lui, pour trouver de nouveaux talents. Les start-up sont le modèle d'aujourd'hui. C'est un univers et un état d'esprit que je connais bien: avant Unilever et après avoir quitté Coca-Cola où j'ai travaillé pendant douze ans, j'ai connu l'expérience des start-up [Marc Mathieu fonda en 2008 Be Do, strat-up spécialisé dans le développement durable]. Or, aujourd'hui, nombre d'entre elles travaillent sur les questions liées au content, à la data, à l'e-commerce... tout en s'appuyant sur les moyens financiers de grands groupes.

 

Par quoi cela se traduit-il chez Unilever ?
M.M.
Depuis une dizaine d'années, le groupe dispose d'un fond d'investissements, Unilever Ventures, qui après avoir longtemps privilégié des investissements sur les seuls produits commence à élargir son champ d'action, comme en témoigne son engagement au sein de la société IOMA, spécialisée dans l'analyse de la peau et permettant d'établir un diagnostic et de proposer des produits de soin personnalisés [le groupe a porté, en novembre dernier, de 7% à 80% sa participation au capital de IOMA]. Plus emblématique encore, l'investissement d'Unilever Ventures dans Brandtone, lors de sa création en 2010. En utilisant entre autres le système du «missed called» [appel manqué], la société de marketing mobile offre de nouvelles opportunités pour se connecter avec les gens. Les Lions d'or remportés cette semaine à Cannes par notre opération «The Kan Khajura Station» [Lowe & Partners Mumbai], qui consiste à offrir un accès gratuit à une radio pour des personnes privées d'électricité mais disposant d'un mobile, était basé sur ce système.

 

A partir de quels critères déterminez-vous le soutien que vous apportez à telle ou telle start-up ?
M.M.
Nous analysons tous les domaines qui peuvent nous intéresser et nous travaillons directement avec nos marques pour les mettre en relation avec des start-up. C'est la vocation de notre programme Go Global, qui monte des partenariats entre nos marques et des start-up. Nous venons d'annoncer en mars les sept premières start-up que nous avons retenues pour ce programme: Africori, New Aer, Songza, Life Sum, Thoughful Media Group... Elles travailleront avec nos marques Clear, Hellman's, Magnum, Pro Activ/Flora, Surf, Vaseline. Parallèlement, nous avons signé un accord avec Upworthy [site spécialisé dans la viralisation de contenus] pour collaborer avec le groupe sur le plan corporate via Project Sunlight [fondation d'Unilever engagée dans le développement durable].

 

Au-delà de ces initiatives, quel sera le rôle de la nouvelle plate-forme que vous venez de lancer fin mai, The Unilever Foundry ?
M.M.
Cette plate-forme permet à toutes les marques et divisions du groupe, via leur direction marketing, de présenter un brief doté d'un budget de 50 000 dollars et ouvert aux start-up qui souhaitent y contribuer. Mais, avec Foundry, ces dernières pourront aussi bénéficier d'un système de mentorat afin que nos équipes en interne contribuent à l'essor d'un écosystème entrepreneurial. Enfin, les start-up pourront passer par Foundry pour présenter un dossier d'investissement auprès d'Unilever Ventures. Il ne faut pas oublier qu'il y a cinq ans, tout cela n'existait pas. Le déclencheur a eu lieu en 2011 lors d'un voyage dans la Silicon Valley pour sensibiliser l'interne à l'innovation. Cela fait dix-huit mois que nous passons à l'action.

 

Qu'attendez-vous concrètement de toutes ces initiatives en direction des start-up ?
M.M.
D'abord, côté Unilever Ventures, un retour sur investissement, évidemment. Ensuite, des réalisations spécifiques bien sûr utiles au développement de nos marques. Mais même si nous n'obtiendrons pas toujours de résultats, l'essentiel est d'être engagé dans une logique d'apprentissage en interne. C'est très important. Une anecdote: au siège de Ben & Jerry's [marque de glace du groupe Unilever], il existe un petit cimetière des «parfums disparus» où une pierre tombale et une épitaphe rappellent l'échec de tel ou tel parfum lancé par la marque. Cette forme de culture du progrès par l'échec est essentiel.

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