Durant la grève de juin, l'entreprise a démontré son savoir-faire en relation client et gagné la bataille de l'opinion. Mais, en fin de crise, son spot de «regret» fait débat.

Durant les douze jours de la grève contre la réforme ferroviaire à l'appel de SUD-Rail et de la CGT-Cheminots qui a réuni à son démarrage, le 10 juin, environ 27% du personnel de la SNCF, la cellule de crise de l'entreprise publique - accompagnée par TBWA Paris- a déployé un dispositif considérable à destination des médias et de ses clients.

Pour la première fois, les points presse avaient lieu dans le centre de crise à Saint-Denis, où le siège a déménagé en août 2013, et étaient retransmis sur You Tube, «afin de montrer comment la SNCF pilote toutes les décisions stratégiques liées à la gestion de la grève pour les clients», explique Priscille Garcin, directrice de la communication médias.

Du contenu prêt à diffuser par les médias était fourni en continu sur la newsroom: plan de transport, capsules son et vidéo, cartographie, tracking image, dossier, etc. A l'approche du baccalauréat, la SNCF crée le PC Examens avec un numéro vert pour les étudiants, 150 000 autocollants «Priorité exams» distribués (à imprimer aussi en ligne) et 10 000 agents de direction en gilets rouges sur le terrain. Une forme de paternalisme jouant la solidarité avec les voyageurs… contre les grévistes. «Le mot d'ordre est clair: la SNCF est du côté des clients, explique Patrick Ropert, son directeur de la communication. Et si la trace laissée est que la SNCF s'est mobilisée à 100% pour ses clients, ce sera bien.»

«La SNCF a développé un savoir-faire inégalé en matière de relation et de communication clients en période de grève et son “marketing de la perturbation” est un benchmark pour les entreprises», commente Jean-Christophe Alquier (Alquier Communication). Ce n'est pas un titre de gloire mais une réussite exceptionnelle qui a demandé énormément de travail et de créativité en matière de communication.» Lionel Benatia (FTI Consulting France) salue, lui, «la mise en scène par la SNCF de sa gestion de la crise lui permettant de rassurer les usagers et prouver sa mobilisation [et] l'utilisation des réseaux sociaux, notamment Twitter en temps réel, comme outils de démonstration de la gestion de la crise en cours». Pas question de laisser le terrain libre aux syndicats. Dans Le Figaro du 25 juin, Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT, reconnaissait que son syndicat «avait perdu la bataille de l'opinion».

La fonction et le sens en question

Un sans-faute alors pour la SNCF? Pas sûr. Le spot de fin de crise diffusé sur TF1, les 24 et 25 juin, a créé un malaise. Catherine Monin, consultante au cabinet Clai d'Eric Guily, a relevé «une déferlante de moqueries sur Twitter, environ 300 à 400 tweets publiés les 26 et 27 juin, dont 80% négatifs». Sous forme d'un communiqué déroulant, le clip commençait par «Y en a marre! Ces mots, ce sont les vôtres. Ces derniers jours ont été compliqués pour vous, nous le savons.» Il annonçait une compensation financière pour les abonnés mensuels, rappelait que la SNCF avait tout mis en œuvre pour aider ses clients et finissait par un «Nous le regrettons» ambigu.

Car entre le regret et les excuses, c'est la question de la responsabilité que la SNCF ne veut pas assumer, pour protéger sa réputation d'entreprise d'un amalgame avec les grévistes. Sud-Rail dénonce «une propagande SNCF»; le PCF, «une insupportable provocation» et une remise en cause du droit de grève.

La SNCF, confortée par des sondages hostiles aux syndicats (*), est-elle allée trop loin? «Il n'y avait aucune volonté d'“antagoniser” les salariés, il y a juste une attention aux clients», insiste Patrick Ropert. Pour Lionel Benatia, «à l'heure de l'ouverture de la concurrence, la SNCF a eu raison d'assumer son discours commercial». « Et le regret c'est humble et factuel sans la notion de faute » dit-il. Un de ses confrères trouve, lui, «le film maladroit [car] la crise, ce n'est pas du storytelling, et quand elle est finie, mieux vaut ne pas épiloguer, surtout pour rappeler des moments pénibles et donc négatifs». Et d'ajouter: «En crise, il faut éviter de croire qu'on peut s'adresser à certains sans parler aux autres. Un autre expert en communication de crise ne partage pas cet avis: «Une entreprise doit toujours acter la sortie de la crise, et en ce sens le message de la SNCF est courageux et dit aux clients qu'ils ont été entendus et compris. Faire le choix du client n'est pas incompatible avec un dialogue interne au quotidien».

Pourtant, en opposant les grévistes aux gilets rouges avec le client pour arbitre, la SNCF a pris le risque de mettre en exergue une crispation en interne, obligeant Guillaume Pépy, son président, à s'en expliquer sur France Inter le 1er juillet, et surtout à rassurer les clients.

«La force du binôme Gallois-Pépy, il y a une dizaine d'années, reposait sur la complémentarité des prises de parole, estime Jean-Christophe Alquier. Le premier était le garant de la parole interne, des cheminots, la SNCF éternelle; le second un contre-pouvoir positif, celui des clients, de la qualité de service et de la promesse de la marque commerciale, la SNCF moderne. Dans ce dossier, il a semblé manquer aux cotés de Guillaume Pépy, formidable communicant, un porte-parole de l'entreprise SNCF.» 

«Ce clip montre les limites d'une communication d'opinion portée par la marque commerciale, par le simple fait qu'elle a suscité une polémique sur sa fonction et son sens», poursuit Jean Christophe Alquier. Alors, ce spot de regret, obsession du client ou instrumentalisation de la marque commerciale SNCF à des fins politiques?

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.