Entretien
En exclusivité pour Stratégies, Jacques-Antoine Granjon, PDG et fondateur de Vente-privee, dévoile les dessous de Kooroo, sa nouvelle plateforme de lancement de nouveautés. L'entrepreneur livre les clés de sa communication et pourquoi il n'a pas besoin de faire de publicité.

Lors de vos résultats en janvier 2014, vous misiez sur une croissance de 15% pour cette année. Pensez-vous tenir l'objectif ?

Jacques-Antoine Granjon. Dans un contexte économique morose, Vente-privee montre une belle dynamique. Mais le chiffre exact de croissance à la fin de l'année ne m'intéresse pas. Ce qui nous fait avancer, c'est avoir des projets, prendre le temps de les réaliser et de les mener à bien du mieux possible. Nous avons une vision long terme de notre entreprise, nous construisons le Vente-privee de demain, à dix ou quinze ans. Nous avons par exemple lancé notre offre alimentaire Miam-miam cette année, qui est un vrai succès. Certaines ventes enregistrent jusqu'à 5 000 commandes. Très récemment, notre nouvelle application mobile est née. Nous totalisons plus de 3,5 millions de visiteurs uniques par jour, et gagnons en moyenne 10 000 nouveaux membres par jour, dont 7 000 rien que sur la France. Soit 2,5 millions par an. A ce rythme dans 10 ans, nous pouvons imaginer compter près de 50 millions de membres!


Que comptez-vous faire de tous ces abonnés ?

J.-A.G. Nous pourrions vendre de la publicité sur le site. Mais je m'y refuse totalement. Cela détériore l'expérience shopping de nos membres. Nous préférons nous priver de 30 ou 40 millions d'euros de revenu publicitaire plutôt que de polluer l'environnement des visiteurs. Notre métier n'est pas de vendre de la pub. En revanche, Vente-privee peut proposer d'autres services aux marques. C'est dans ce but que nous lançons notre nouvelle offre Kooroo, une plateforme de lancement de produits.


En quoi consiste-t-elle?

J.-A.G. Notre métier d'origine, c'est le déstockage et la vente événementielle. Nous avons désormais 23 millions de membres en Europe. Ils visitent régulièrement le site pour découvrir les nouvelles offres que nous proposons. C'est un petit plaisir au quotidien. Nous leur envoyons tous les jours par e-mail les ventes événementielles qui seront proposées le lendemain dès 7h sur le site. Un e-mail qu'ils aiment recevoir. Résultat, nous avons créé un vrai contact quotidien avec eux. Notre objectif est désormais d'offrir ce contact aux marques pour leurs lancements de nouveaux produits ou nouveaux services, et leur offrir de la visibilité. Selon une étude TNS, une marque qui fait une vente événementielle sur Vente-privee gagne cinq points de notoriété en moyenne. Nous leur proposons ainsi une plate-forme au sein de laquelle elles pourront mettre en avant leurs nouveautés et toucher une très large audience.


Comme si Vente-privee devenait un média?

J.-A.G. Pour la marque, oui. Désormais, dans le plan médias et RP de ses lancements, elle pourra intégrer Vente-privee et avoir accès à un minisite qui sera visible par près de 3,5 millions de visiteurs par jour. C'est une audience plus grande que pour beaucoup de journaux ou d'émissions de télévision! Mais nous sommes un média marchand, les consommateurs peuvent découvrir le produit, l'acheter, et nous le livrons. Nous commençons avec deux marques de cosmétique: L'Occitane en Provence le 22 septembre, et le parfum Paris Saint-Germain de ST Dupont ensuite. Mais d'autres secteurs seront présents. Nous pouvons tout proposer, même des voitures !


Et quid du prix ? Le principe du déstockage était d'avoir un rabais, cela sera plus difficile sur les nouveautés...

J.-A.G. Bien sûr, la marque pourra venir sur Kooroo sans forcément mettre de pression sur ses prix. Mais je pars du principe que lorsqu'on est membre, on doit toujours avoir un bénéfice. Ce peut aussi être une notion d'avant-première, de produits en plus, ou d'autres avantages exclusifs.


Les magasins physiques ne vont pas être très contents de cette offre?

J.-A.G. Bien au contraire. Tous nos projets vont dans le sens du magasin. Nous refusons de faire le clivage e-commerce/magasin physique. Nous avons lancé l'application Le Pass et Le Pass+ dans ce sens: elle permet à nos membres de bénéficier de réductions géolocalisées dans les boutiques. Nos offres Rosedeal quant à elles, proposent des coupons valables dans les réseaux de distribution des marques. Nous effectuons des millions d'envois de couponing. Toujours selon l'étude TNS, 48% des membres ont acheté dans le réseau de distribution de la marque [magasin et e-commerce] après en avoir eu l'idée sur Vente-privee.


Et la marque pourra avoir accès à des données consommateurs?

J.-A.G. Comme après chacune des ventes proposées sur le site, nous remettons un rapport marketing détaillé dans lequel nous renseignons la marque sur le profil et le comportement d'achat des membres. Nous ne communiquons jamais les données de nos membres. Ce sont des données marché qui peuvent être très utiles pour une marque, surtout lors d'un lancement.


D'ailleurs, vous ne ciblez jamais l'envoi de vos alertes, pourquoi ?

J.-A.G. Non, nous ne ciblons jamais. Tous nos membres reçoivent toutes nos alertes. Nous sommes contre le ciblage. La révolution numérique a permis cette chose fantastique: remettre le client au centre. Le client est devenu roi. Il est informé et plus puissant aussi puisqu'il peut comparer et critiquer. C'est «The King». Nous sommes entrés dans un monde de l'offre. Vous voulez un gadget en Chine au meilleur prix? Il peut vous être livré le lendemain. Le consommateur est libre de choisir. Libre de ses mouvements. Le tracking et le ciblage ne sont pas le genre de relation qu'il nous intéresse de construire avec lui. S'il est intéressé par un club de golf, peu importe de savoir si c'est un homme ou une femme, son âge ou pour quelle raison il l'a acheté. Vente-privee fait de la vente événementielle. Nous ne cherchons pas à susciter le besoin. Nous faisons un métier lié à l'offre, à des petits plaisirs quotidiens. Ce sont des achats d'opportunité. C'est pour cette raison que nous refusons de cibler. Sinon, cela devient de l'achat réfléchi et ce n'est plus notre modèle.


C'est aussi pour cela que vous ne faites jamais de publicité ?

J.-A.G. En effet, nous ne sommes pas un bon annonceur. Vente-privee n'a jamais fait de publicité. Au départ tout simplement car nous n'avions pas les moyens de le faire. Normalement, lorsque vous êtes une jeune entreprise, vous levez des fonds pour vous développer, et rapidement, vous avez besoin de visibilité. Mais nous avons vite compris que nous n'en avions pas la nécessité. Depuis les débuts de Vente-privee, le principe réside sur l'offre inférieure à la demande. Donc le trafic était là, et suffisant. Et encore aujourd'hui! Avec plus de 2,5 millions de nouveaux membres par an, à ce jour, nous n'avons pas besoin de faire de publicité directe. Chaque vente est un événement unique, limité dans le temps et dans l'offre. La publicité est là pour susciter la frustration ou le désir. Dans notre modèle, la vente elle-même joue ce rôle et incite les membres à venir découvrir nos offres sur le site. Nous dépensons donc l'argent autrement.


Vous ne faites donc jamais de communication?

J.-A.G. Si, mais d'une autre manière. La meilleure communication, c'est un client satisfait. Il devient ambassadeur et en parle autour de lui. Nous investissons donc pour que la qualité de notre service client vise l'excellence et que le bouche-à-oreille fonctionne. Si un client rencontre un problème et s'en plaint par téléphone, nos opérateurs de service après-vente lui répondent qu'il a raison d'être mécontent. Nous avons par ailleurs racheté deux théâtres, avons monté un festival de musique, achetons de beaux bâtiments en bordure d'autoroute, et cela crée un vrai lien émotionnel. C'est une communication en résonance, qui permet d'incarner la marque vente-privee dans l'esprit des gens. Mais pas de publicité.

 

D'ailleurs, vous qui voulez déployer Vente-privee à l'étranger, comment allez-vous communiquer ?

J.-A.G. C'est plus lent, bien sûr. Il faut choisir des dirigeants implantés dans le pays qui incarnent la marque. Avec cette même résonance. Cela prend du temps et nous prendrons ce temps. Nous ne sommes pas pressés. Le temps est notre allié. Nous sommes indépendants financièrement, nous n'avons pas de comptes à rendre à des actionnaires. Aujourd'hui, nous faisons 20% de notre chiffre d'affaires en dehors du marché français et y gagnons 3 000 nouveaux membres par jour. Cela ne fait qu'un peu plus d'un million par an, finalement. Mais ce qui est très intéressant, c'est qu'en parallèle, la France continue de grandir. Et tout cela une nouvelle fois en étant «Google free» et sans faire de publicité.


Vous investissez dans beaucoup de start-up, c'est votre veille technologique?

J.-A.G. Pas seulement. Pour moi, c'est aussi une forme «d'impôt social». J'ai pu monter Vente-privee car, au départ, mon père m'a aidé. Aujourd'hui, je renvoie l'ascenseur en aidant des jeunes à monter leur entreprise. Avec mes amis Xavier Niel et Marc Simoncini, nous souhaitons aider les jeunes à entreprendre et encourager les bonnes idées. Et éviter qu'ils ne partent ailleurs. Malgré le contexte économique je suis très optimiste pour les prochaines années. Nous avons en France de nombreux talents, des jeunes intelligents, connectés et qui ont envie de faire des choses. Je les rencontre régulièrement. Et je suis vraiment très optimiste pour l'avenir de ce pays.


Que pensez-vous de la politique du gouvernement en matière de soutien aux entreprises numériques?

J.-A.G. C'est une très bonne chose de soutenir les entreprises. Surtout les jeunes, les entreprises naissantes. Si elles ne sont pas riches, elles ne peuvent pas contribuer à la croissance. Et nous sommes dans un modèle de croissance. Mais pourquoi faire un clivage entre les entreprises numériques et les autres? Une entreprise est une entreprise. Numérique ou non. Soutenir les unes est souvent interprété comme ne pas soutenir les autres.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.