Marketing
Catherine Becker, fondatrice en 2010 du cabinet conseil en marketing Metis, basé à Shanghai, Hong-Kong, Paris et Mexico, publie «La Marque rouge» aux éditions Cherche Midi. Un ouvrage sur la Chine qui se veut «un miroir entre art contemporain et marques» et qui défend un marketing de sens.

En quoi l'histoire de l'art et celle des marques en Chine sont-elles révélatrices de l'évolution de ce pays ?
Catherine Becker. L'art et les marques en Chine ont connu un mouvement en ciseau qui permet de comprendre comment s'est construite la modernité chinoise. L'introduction des grandes marques internationales a accompagné l'ouverture du pays dans les années 80 et la construction d'une classe moyenne chinoise. Le modèle de société s'est alors forgé autour du triptyque : consommez, gagnez de l'argent et taisez-vous.

Parallèlement, dès la libéralisation de 1979 avec Deng Xiaoping, l'art contemporain chinois a connu un développement sur le thème des traumatismes de la Chine, de la mémoire notamment autour de la Révolution culturelle puis à partir des années 90, de la révolte de Tian'anmen. Mais rapidement, du fait de la censure, ce mouvement artistique s'est essentiellement exprimé en dehors du pays ou sous le manteau. Parallèlement, le pop art chinois a émergé, jouant la carte de l'ironie par rapport à la société de consommation, entre condamnation de l'arrogance capitaliste et formidable appel d'air après un passé plombé. Un mouvement artistique totalement différent du mouvement précédent fondé sur la mémoire et le deuil, mais bien mieux accepté par le pouvoir notamment dans les années 2000.


Comment expliquez-vous cette plus grande tolérance des pouvoirs publics?
C.B. Fidèle à sa capacité historique à intégrer ses propres contradictions, avec un certain cynisme d'ailleurs, le gouvernement chinois a opéré ce grand mouvement consistant à tolérer un art symbolisant la Chine en pleine croissance (le pop art) et à réserver à l'extérieur un art sur la Chine qui souffre autour d'un passé occulté dans le pays. L'Etat a finalement mené une vaste entreprise de marchandisation de l'art mémoriel chinois qui a d'ailleurs rencontré un énorme succés sur le marché de l'art.


Quelle relation ont alors entretenu l'art «toléré» ou officiel et les marques?
C.B. C'est à ce moment que l'on a pu observer que ce mouvement en ciseau s'est refermé. L'art et les marques suivent alors le même chemin. On constate une fusion systématique de l'art et des marques de luxe. Encore récemment, lors de l'inauguration du grand magasin Lane Crawford à Shanghai à la fin de l'année dernière, les plus grands artistes chinois et étrangers étaient présents à tous les étages. Quant au concept K11, toujours à Shanghai, on est à mi-chemin entre le centre commercial et la galerie d'art. Et c'est le cas des plus grands department stores qui ouvrent réguliérement à Shanghai.


Mais cette consanguinité poussée à l'extrême n'a-t-elle pas ses limites ?
C.B. Aujourd'hui en effet, la situation change. L'association art-luxe-argent-pouvoir a tellement affaibli la créativité individuelle et la spontanéité artistique ces dernières années, qu'en réaction on observe désormais une forte résurgence des croyances, un retour sur soi, sur son passé, sur sa mémoire. La population aisée, qui représente quelque 200 millions de personnes, commence à retourner à ses racines. Et à nouveau, l'art est le moteur de cette sorte de post-modernité chinoise.

En témoigne notamment l'évolution de Zhang Huan qui, d'abord a montré sa lutte souffrante, son corps à corps avec l'étroitesse d'un espace non libre, avec une tradition traquée, avec une histoire de traumatismes; ensuite sa mise à mal face à un espace de mobilités où les références se perdent; puis cette arrivée au cœur du marché avec le succés, l'industrialisation, la fréquentation des grandes marques (Dior, Louis Vuitton). Et enfin, nous avons vu le Zhang Huan croyant, sculptant dans la cendre les figures de Bouddha ou du Christ, qui a coutume de dire que «les cendres symbolisent l'avenir, l'espoir puisque la mort pour un bouddhiste, c'est la renaissance. C'est tourner l'humanité vers son avenir en rendant hommage au passé. Reconstruire à partir des cendres est un travail de mémoire».


Compte tenu de cette nouvelle tendance, quels sont donc aujourd'hui la place et le rôle des marques ?
C.B. Les Chinois sont clairement passés d'objets de consommation à sujets de consommation. Même si l'ère du bling-bling persiste, le rôle d'expression de soi par la consommation se développe. Les marques sont en Chine toujours un des rares moyens d'expression de soi. Aujourd'hui, le rôle des marques est d'accompagner les individus dans cette nouvelle quête en favorisant le lien social, l'empowerment, la revalorisation de soi... Il y a certes déjà des «bobos» chinois, mais cela va au-delà. Les enquêtes montrent clairement combien les femmes notamment ont le sentiment de vivre mal dans un monde qui va trop vite. La pression est constante, au travail, au sein de la famille où les grands-parents sont omniprésents... La frange de la population qui est relativement aisée a besoin de décompresser. C'est le rôle des marques de les y aider au-delà de leur fournir un simple statut social. Il y a une forte attente des citoyens-consommateurs qui vivent tout de même dans ce qui reste une dictature. Or les jeunes ne croient plus en l'ascenseur social car – toute proportion gardée – le marché du travail est désormais moins facile en Chine.


Mais concrètement, quelle attitude doivent adopter les marques ?
C.B. Il y a deux grandes directions possibles. D'abord, elles ont intérêt à se mettre au service du nationalisme chinois. C'est un passage obligé. Nike a très bien su le faire lors des Jeux olympiques de Pékin en développant un discours, notamment publicitaire, jouant sur la fibre nationaliste chinoise et sur le «génie chinois». Les marques doivent ainsi participer à la révalorisation de l'histoire du pays et s'éloigner de toute notion péjorative rappelant de près ou de loin le «made in China». Déjà, quelques grandes entreprises internationales ont créé des marques chinoises dotées d'une forte identité et imprégnées de culture chinoise. Hermès fut l'un des premiers à le faire avec le lancement en 2007 de la marque de luxe Shang Xia autour de la culture et du grand artisanat chinois. Mais l'initiative reste encore trop enfermée dans une image du luxe chinois un peu surranée et statique, qui ne répond pas aux ambitions de ces consommateurs qui se veulent dans l'ouverture au monde. Il lui manque cette dimension internationale, innovante et conquérante. Certains grands groupes chinois commencent à faire ce travail en rachetant notamment des marques internationales. Beaucoup de consommateurs recherchent la juste combinaison entre le ressourcement dans une culture chinoise et la volonté de vivre dans un monde ouvert et plus sûr. On doit passer du "made in China" au "created or designed in China". La seconde direction est comme on l'a dit de se mettre clairement du côté des consommateurs-citoyens et de leur recherche d'hédonisme et de véritables liens. Etre dans le respect...

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