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Canal+ fête ses 30 ans. Pop culture, exclusivité, dérision… la première chaîne cryptée a su se créer une identité forte relayée par des campagnes pleines de punch. Mais comment pérenniser cet «esprit Canal»?

Pas de nostalgie ou de campagne rétrospective pour célébrer les trente ans de Canal+. Pour illustrer ses valeurs (pop culture, exclusivité, dérision, humour), la chaîne cryptée a préféré opter pour une programmation spéciale. Un prime time exceptionnel «La Boîte à musique»,  sera présenté le 7 novembre par PPD et Michel Denisot. On retrouvera aussi une soirée zapping incluant la diffusion du carton cinématographique Gravity, ou encore un site événementiel, qui révélera chaque jour un contenu inédit. Sans oublier une exposition au Palais de Tokyo, conçue par l'artiste Xavier Veilhan, avec portraits et images issues des programmes.

Le 4 novembre 1984, à 8 heures, André Rousselet lançait en direct Canal+, première chaîne de télévision privée en France. Pour la première fois, un boîtier, lointain précurseur des box ADSL, entrait dans les foyers des 186 000 abonnés «fondateurs», qui se sont engagés à débourser 140 francs par mois (21,34 euros) pour regarder une chaîne où le cinéma et le sport sont rois.

Une naissance étroitement chaperonnée par le groupe Havas. Une convention lie en effet dès 1982 l'Etat au groupe médias, présidé par André Rousselet. Celui qui devint l'historique président-fondateur de Canal+ s'entoura très vite de Pierre Lescure et d'Alain de Greef.

«Naturellement», Eurocom, la filiale publicitaire historique d'Havas, est en charge de la création publicitaire de la chaîne. Elle le restera jusqu'en 1994.

 

Comme une marque de luxe

 

En septembre 1984, Canal+ lance ses premières campagnes publicitaires. Les messages radio comportent «sept spots prononcés par Pierre Lescure pendant 15 jours», détaille alors Stratégies. La chaîne lance aussi un appel à sponsoring d'émissions, censé représenter 10 à 15% de ses recettes. Vingt-cinq annonceurs, dont Signal, L'Oréal et Coca-Cola, ne tardent pas à se manifester.

Premier marqueur pour la marque Canal+, son identité visuelle: imaginée par Etienne Robial, l'ellipse au moucheté noir et blanc puis colorée est illustrée par les musiques de Philippe Eidel et Arnaud Devos.

Canal+ mise aussi sur son journal des abonnés, Canal+ magazine (devenu Plus+), «pour créer un lien riche avec les abonnés, comme une marque de luxe», souligne Rodolphe Belmer, actuel directeur général du groupe Canal+. Géré en interne, il est confié en 2004 à Hachette Fillipacchi (Lagardère), puis à Prisma.

Mais la singularité de Canal+ est dans ses contenus: des films récemment sortis, des sports peu diffusés ailleurs, avec pour autant une prédominance du football. Et, surtout, l'arrivée des films «pour adultes», diffusés le premier samedi de chaque mois. «C'était quelque chose de peu accessible. A l'époque, il y avait peu de magnétoscopes, pas internet ni de chaînes spécialisées», rappelle Philippe Bailly, président de NPA Conseil. Discret relais «en clair», à partir de 1989, Pin-up, un court éphéméride sexy quotidien.

Face à de nouvelles concurrentes privées, La Cinq et TV6, Canal+ renforce ses plages en clair, véritables vitrines pour inciter les téléspectateurs à s'abonner. Avec ses premiers rendez-vous historiques en 1987, après Coluche 1 faux: Les Nuls, Nulle Part ailleurs (NPA), Le Top 50, Ça cartoon, Le Journal du hard… La chaîne prend son envol et franchit le premier million d'abonnés en mai 1986, puis 3 millions en décembre 1989. Le fameux «esprit Canal» est né, porté par NPA, avec Antoine de Caunes grimé en Didier l'Embrouille, les fausses pubs des Nuls, puis Les Guignols de l'info à partir de 1988. Les débuts de l'infotainment à la française. L'humour et la dérision, «l'ouverture de la pop culture à une époque où il n'y avait ni internet ni TNT. Mais il y avait aussi l'idée d'exclusivité. Canal+ est une marque de luxe, comme Chanel ou Evian», souligne Stéphane Xiberras, président et directeur de la création de BETC (Havas), agence chargée du budget depuis 1994. Cette même année, Canal+ connaît de sérieuses turbulences: une entente entre Pierre Dauzier, président d'Havas, Marc Vienot, de la Société générale, et Guy Dejouany, PDG de la Générale des eaux, groupes actionnaires de la chaîne, pousse André Rousselet vers la sortie. Pierre Lescure le remplace avant d'être lui-même évincé, huit ans plus tard, par Jean-Marie Messier.

 

Réagir à une concurrence multiple

 

Une nouvelle ère commence. En publicité aussi. L'ellipse d'Etienne Robial est remplacée par des carrés multicolores. Et BETC Euro RSCG choisit de promouvoir Canal+, pour la première fois, par des spots TV. Avec «Les Wisigoths», spot à l'esprit foutraque où l'on assiste en direct au tournage d'une scène de combat, la chaîne s'offre une mise en abyme comique: «Il fallait montrer l'idée de coulisses du cinéma, où tout est “fake”, fait pour l'entertainment», explique Stéphane Xiberras. Et du même coup, montrer le savoir-faire de Canal+ dans l'univers du cinéma avec pour nouvelle signature «Pendant qu'on regarde Canal+, au moins on n'est pas devant la télé».

Un ton «coulisses» que Stéphane Xiberras et Eric Astorgue, directeur artistique chez BETC, conservent dans les campagnes suivantes: «Le Placard» en 2010, l'histoire abracadabrante d'un homme poursuivi par des tueurs qui se retrouve dans le placard d'une jeune femme, sous l'œil du mari. Puis «L'Ours» (2012), le portrait par l'absurde d'une descente de lit en peau d'ours devenue réalisateur parce qu'elle avait vu «tellement de grands films sur Canal+». Tous deux récoltent une floppée de prix dans les festivals publicitaires, dont le Grand Prix Film Craft à Cannes en 2012.

Pendant ces années 2000, Canal+ est confronté à des offres concurrentes, sur le modèle de la télévision payante avec les bouquets TPS et AB Sat, mais aussi l'avènement d'internet… et du piratage. Viendront ensuite Orange, puis plus récemment Be in Sport, pour les retransmissions sportives, et Netflix, pour les séries télé. Canal+ doit donc réaffirmer son offre exclusive. En septembre 2009, l'antenne se dote d'une nouvelle identité visuelle, conçue par l'agence londonienne Devilfish Creative, pilotée par la direction artistique de Canal+, que dirige Olivier Schaack.

Parallèlement, la chaîne doit soutenir ses abonnements: elle multiplie les opérations de promotion dans les points de vente et les offres de réduction pour les abonnés. «Le numérique, dont l'apparition de la vidéo à la demande via la télévision par ADSL, a beaucoup tiré les prix vers le bas. Canal+ n'est plus la première fenêtre pour voir des films à la télévision», remarque Philippe Bailly, de NPA Conseil. Du coup, pour promouvoir ses contenus, séries et documentaires, Canal+ «a aussi misé sur l'événementiel, avec les festivals autour de Groland, le «Banquet des 5 000» à Paris [repas gratuit à base de légumes et de fruits disqualifiés] lors de la diffusion du documentaire Global gâchis, en octobre 2012», précise Rodolphe Belmer, le directeur général du groupe.

Mais elle s'est découvert un nouveau pilier: les séries télévisées. Alors qu'outre-Atlantique, HBO produit ses premiers fleurons, comme Six Feet Under, «Rodolphe Belmer s'est lancé dans la production originale. Il fallait qu'il y ait l'exclusivité aussi dans les séries», explique Stéphane Xiberras, de BETC. Canal+ fait de même que la chaîne américaine en lançant, notamment, Braquo en 2009. «Nos créations originales nous permettaient d'aborder des sujets liés au quotidien, avec des points de vues d'auteurs sophistiqués. Nos publicités TV devaient les promouvoir comme des films», résume Rodolphe Belmer.

 

 

 

Chiffres et dates clés

4 novembre 1984. Lancement de Canal+.

Janvier 1987. Canal+ Productions (Studio Canal), catalogue de films maison.

31 août 1987. Nulle Part ailleurs, première émission d'«infotainment».
1994. Premières publicités signées BETC Euro RSCG.
2006. Production de ses premières séries télévisées.

3,5 milliards d'euros. Chiffre d'affaires 2013 du groupe (905 millions de résultat brut).

6,1 millions. Nombre d'abonnés individuels en France (Canal+, Canalsat et Canal Play).

123,3 millions d'euros. Investissements médias en 2013.

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