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Suite à la divulgation de son dernier rapport RSE sur la distribution, Stratégies a rencontré Jacques Creyssel, le président de la Fédération du Commerce et de la Distribution, pour un entretien sur l'image du commerce, la concurrence internationale et les conditions de travail...
Le monde de la distribution est régulièrement attaqué dans les média sur différents sujets. En parallèle, vous venez de sortir la troisième édition de votre Observatoire de la distribution responsable, avec pour la première fois, un volet social. Quel bilan en faites-vous ?
Jacques Creyssel: Ce rapport montre tout d’abord que le commerce est un secteur engagé dans la responsabilité sociétale. La distribution emploie 3,5 millions de personnes en France, donc 1,8 million rien que dans le commerce détail. C’est plus que l’industrie! C’est un secteur qui recrute, et notamment des jeunes, en grande partie en CDI: 92%, pour être exact, et souvent dans des emplois peu qualifiés. Mais nous les formons, avec des certificats de qualification, par exemple. La distribution joue un rôle social que l’on oublie souvent, et dont le public ne se rend pas compte. C’est par exemple, un grand pourvoyeur de progression sociale, avec 60% des directeurs de supermarchés qui ont commencé à travailler sans être cadre. Et 30% étaient employés. Et au-delà de ça, c’est un secteur qui joue un rôle aussi pour le public, en animant des zones territoriales en déclin d’activités. Par exemple, sait-on que 2700 magasins jouent le rôle de bureau de poste en France? Que 35% des dons alimentaires français proviennent de la distribution?
Le dernier Cash Investigation a mis en cause une enseigne et posé une question plus large sur les conditions de travail qui fait tache d’huile ? Comment percevez-vous cela ?
Nous trouvons cela injuste. Cash a fait son travail – peut-être à charge – mais a surtout amplifié un exemple stigmatisant. En réalité, la distribution est plutôt en avance sur certains critères sociaux: le salaire moyen est de 1,14 Smic sur 13 mois; sur le temps partiel, avec 28% de salariés concernés dont 82% étaient satisfaits de leur contrat. Au niveau de l’emploi des handicapés, nous sommes à 7%, soit plus de deux fois le taux français du secteur privé, et une enseigne [Casino, NDLR] à 12%!
Oui mais quid des conditions de travail, dont parlait le reportage?
Il parlait plus largement des métiers logistiques, qui, nous le sommes conscients, sont des métiers difficiles. Les chiffres évoqués étaient la base légale! Nous avons signé beaucoup d’accords syndicaux à ce sujet. Nous avons d’ailleurs lancé il y a un an le cercle paritaire des pratiques sociales, qui regroupe quatre organisations syndicales et la FCD. C’est un lieu d’échange pour approfondir la politique sociale et les bonnes pratiques d’entreprises. Il ne s’agit pas de remettre en cause la négociation paritaire de branche visant à la conclusion d’accords collectifs, mais d’approfondir le dialogue social entre employeur et salariés, par la création d’un lieu d’échange distinct du cadre de négociation. Nous travaillons en permanence avec les syndicats. C’est pourquoi il est triste de voir ce genre d’attaque, qui pour nous, ne révèle qu’un cas particulier. Mais vous savez, les enseignes figurent toujours en tête des marques préférées des Français. Nous avons un contact quotidien avec eux…
Sur les questions des conditions de travail, il y a aussi en face la question de la robotisation, qui met en péril tous ces emplois logistiques?
Oui, une robotisation que certaines multinationales n’hésitent pas à mettre en place. Toutes ces questions doivent être réfléchies. La distribution est forcée de changer de monde. C’est un secteur qui a prospéré grâce à des coûts fonciers bas et des délais de paiement avantageux. Mais ce temps-là est révolu. Le secteur fait face à une nouvelle concurrence, ouverte 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, et soumise à aucune règle, en tout cas, pas les mêmes. Maintenant, il y a la révolution digitale, avec la numérisation des comportements – la data – un nouveau séquençage de la chaîne de valeur – l’ubérisation – et les autres défis techniques comme la livraison, les véhicule autonomes, l’IA etc. Tout cela change la donne. Il faut embarquer tout le monde dans cette remise en question. Ça veut dire développer de nouveaux services, changer l’image du magasin, et s’insérer dans une utilité sociétale. Et on sent que l'état d'esprit change.
Les États Généraux de l’alimentation viennent de se terminer. Qu’en avez-vous pensé?
Pour la première fois dans l’histoire, les industriels, les agriculteurs et les distributeurs ont parlé d’une seule voix et se sont entendus! Sur le seuil de revente à perte, notamment. Vous savez, le commerce n’a pas intérêt à appauvrir l’agriculture, ni les PME. 80% de la croissance du commerce est tiré par les PME, et même 90% depuis début 2017. Si beaucoup de français font encore leurs courses à 1 euro près, la qualité des produits est de plus en plus regardée de près. Or, l’industrie, l’agriculture française est à l’origine des produits de qualités. Les commerçants le savent. La distribution a divisé ses marges par 2 en dix ans!
À propos de cette concurrence qui n’a pas les mêmes règles, que pensez-vous du projet de fiscalisation des Gafa?
Je me réjouis que la France porte ce sujet au niveau européen. Ça veut tout de même dire qu’il y a des choses qui changent dans l’esprit de nos politiques. Le sujet du commerce numérique, d’ailleurs, fait partie des sujets à venir du gouvernement. Ce n’était pas le cas avant ! Ce nouveau monde met du temps à se faire comprendre. De notre côté, nous dénonçons les pure player, très concurrentiels qui ne sont pas soumis aux mêmes règles, notamment en termes de fiscalité. Mais quand Amazon baisse brutalement les prix de Whole Foods après son rachat, il est dans une logique de prédateur. Il perd de l’argent sur le retail, mais en gagne sur le Cloud, avec Amazon Web Service. Tout comme le chinois Alibaba, d’ailleurs. Leur seul objectif c’est de gagner des parts de marché. Mais dans quelques années, ils pèseront plus de 10 fois le plus grand distributeur de la planète! Et à côté de cela, on légifère pour imposer aux magasins de réduire la taille de leur parking… Plus vous compliquez le commerce sans légiférer sur les multinationales, plus vous leur donnez de pouvoir! La FCD appelle à une politique mondiale du commerce, avec des lois internationales. Et je suis sûr qu’on va y venir.