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Prises en tenaille entre des éditeurs en quête de valeur et des annonceurs soucieux de performance, les régies sont condamnées à évoluer.

Coup de tonnerre sur le marché de la vidéo sur internet l’été dernier. Les régies du Monde et du Figaro, deux des plus grandes marques d’éditeurs en France, ont brutalement coupé les liens avec les partenaires qui commercialisaient leur inventaire. « Il n’était ni très rentable ni très bénéfique pour nous de travailler avec ce genre de sous-régies », explique Geoffrey Fossier, directeur marketing digital de la régie du Figaro, qui commercialise désormais en direct son inventaire ou le vend avec Le Monde au sein de Skyline. Fin septembre, cette offre commune avait déjà engrangé une trentaine d’annonceurs pour un montant d’un million d’euros.

Un marché accaparé par les géants

Même si ce chiffre reste modeste, l’annonce a quand même fait bouger les lignes dans le paysage de ces sous-régies. Selon l’Observatoire de l’e-pub présenté en juillet dernier, elles se disputent un marché qui pesait, sur le premier semestre 2017, 235 millions d’euros, en progression de 26 % par rapport à 2016. Sur ces 235 millions dépensés en vidéo, 130 vont à l’outstream (les formats placés dans les contenus de lecture, comme l’inread) et 105 à la vidéo instream (pre, mid ou post-roll).

Sauf que Google (via YouTube) et Facebook, qui monétisent en direct leur inventaire, se taillent la part du lion sur ce segment de la vidéo publicitaire. Et d’autres acteurs interviennent, comme Dailymotion et surtout les télévisions, qui commercialisent elles-mêmes l’espace sur leurs programmes en catch-up. Pour les régies, l’inventaire des éditeurs est donc crucial.

Vague de rachats

Elles sont plusieurs à participer à cette monétisation. La plus visible, après son rachat par le groupe Altice au printemps 2017, est Teads. Une simple start-up montpelliéraine au départ, devenue réseau mondial après son rapprochement avec le serial entrepreneur Pierre Chappaz. Teads revendique quelque 41 millions de visiteurs uniques en France, avec l’ambition d’atteindre 95 % de couverture. La société a bâti son succès grâce à l’inread, un format non intrusif de vidéo intégrée au sein des articles qui se déclenche lorsque l’utilisateur passe dessus. Ironie du sort, c’est pourtant à l’initiative d’AdVideum, un concurrent, que ce format a été inventé en 2012 pour L’Obs. AdVideum a depuis été racheté par le groupe allemand Gruner + Jahr et indique fédérer aujourd’hui l’intégralité de la presse française (hormis désormais Le Monde et Le Figaro) avec des formats pre-roll mais aussi inread. Autre rachat, celui de StickyADS, devenu FreeWheel après sa vente au géant américain Comcast. Au départ simple régie, FreeWheel a développé une technologie propriétaire qu’elle propose aux éditeurs.

Trajectoire inverse pour un autre acteur important du secteur, Digiteka, dont le player vidéo se classe aujourd’hui troisième derrière YouTube et Facebook, selon Médiamétrie. Il a créé il y a un an et demi sa propre régie, DigiAds, qui a récupéré en commercialisation 250 des 400 éditeurs qui utilisent son player.

Audience planning

Face à l’alliance du Monde et du Figaro, les réactions sont contrastées. « Au départ, leur analyse de se dire “on a trente-cinq partenaires, cela dilue la valeur”, est intéressante », reconnaît Geoffrey La Rocca, directeur général de Teads France. Mais pour lui, ces éditeurs se trompent. « En mettant au même niveau des régies qui se contentent de passer des plats et des partenaires comme nous, qui avons une activité globale, ils n’ont pas compris que l’internaute ne consomme pas qu’une marque média par jour et que c’est le contenu qui fait la force du média, pas le média lui-même », ajoute-t-il. En somme, à l’ère de la data, « on n’est plus dans le media planning, mais dans l’audience planning ».

Charles Ganem, CEO de Digiteka, trouve naturelle la démarche, pour une marque, de garder le caractère stratégique de la commercialisation, mais n’y voit pas un mouvement général. « Un éditeur ne peut pas devenir un acteur technologique, cela demande tellement de R&D et change tellement vite qu’il est obligé de s’appuyer sur des partenaires », veut-il croire. Matthieu Le Cann, directeur général d’AdVideum, est également serein : « Ce n’est pas le départ du Monde ou du Figaro, même si on le déplore après sept ans de partenariat, qui peut avoir un impact structurel. »

Pour Maxime Cerda, qui dirige la régie de FreeWheel, les choses sont quelque peu différentes. « J’ai beau être en charge de l’activité ad network, nous encourageons les éditeurs à le faire, cela leur permet de prendre la main et nous serons toujours là pour les soutenir », dit-il, en précisant que sa société, avec son offre, joue sur deux tableaux et ne se sent pas menacée.

Réaction obligatoire

Derrière les discours rassurants, toutes ces régies ont toutefois promptement réagi. Teads a ainsi annoncé le lancement de formats display classique, rebaptisés « viewable display », insérés directement dans le contenu, à l’instar de son inread pour la vidéo. Ça bouge aussi pour Digiteka, Charles Ganem annonçant d’ici à la fin de l’année l’arrivée de nouveaux outils de recommandation vidéo. AdVideum se propose de son côté, avec une nouvelle offre baptisée « Adview Content », de venir « pousser du contenu au bon moment et au bon endroit », visant ainsi le fameux « moment marketing », nouveau Graal de la pub.

Autant d’initiatives qui n’ont d’autre but que de se rapprocher des indicateurs de performance (les KPI) exigés par des annonceurs lassés de payer pour de la publicité que les internautes ne voient même pas. Face à cet enjeu, les régies basiques semblent condamnées. « Sur les sites médias, une partie importante des lecteurs scrollent pour lire le contenu, admet Charles Ganem. La performance publicitaire y est inférieure à ce que l’on obtient avec la catch-up TV, parce que si vous regardez Koh-Lanta en replay, vous restez dans le tunnel de pub. » Pour atteindre les objectifs de visibilité et de complétion fixés par les annonceurs, les régies doivent donc désormais s’adjoindre une bonne dose d’intelligence publicitaire. Sous peine de disparaître.

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