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Parader avec un sac griffé ou une robe de couturier. Mais seulement pour quelques jours... Le marché de la location de luxe, avec des sites comme Rent the Runway, ou bien Panoply et Instant Luxe, est en pleine croissance. Et ce ne serait que le début, à une époque où l'usage prime de plus en plus sur l'acquisition...

Le luxe, on le sait, s’enracine dans l’art consommé du storytelling... Devenir la reine de la fête, aux atours d’or et de lumière, juste pour une nuit ou quelques jours… Comme dans un conte de Perrault ou de Grimm. «Les nouveaux services de location de produits de luxe permettent à des Cendrillon d’un soir de se parer pour le bal», résume Julie El Ghouzzi, directrice du Centre du luxe et de la création.

Girl Meets Dress, Chic by Choice, Armarium ou acteurs spécialisés de niche, comme The Black Tux… Les sites de location de vêtements, chaussures et surtout sacs griffés prolifèrent. En France, Panoply, fondé par Ingrid Brochard et Emmanuelle Brizay, va bientôt souffler sa première bougie. «La location existe en réalité depuis fort longtemps, mais sur des pièces bien spécifiques: les robes de soirée pour ces dames, les smokings pour ces messieurs, souligne Emmanuelle Brizay. Mais ces produits très formels s’adressaient à une clientèle plutôt âgée».

Similitudes avec l'automobile

Dernier venu de la location ultra-haut de gamme, Yann Le Floc’h, fondateur d’InstantLuxe.com -créé en 2009 et consacré à la vente de produits de luxe d’occasion, certifiés d’origine par des experts. «Notre démarche de départ consistait déjà à rendre le luxe plus accessible. Nous sommes venus à la location du fait d’une demande de plus en plus pressante de nos clients. En concentrant, dans un premier temps, notre offre sur les sacs». Pour 25 euros la journée, on peut donc arborer crânement l’un des 25 «intemporels» proposés par le site, Boy de Chanel, Lady de Dior, Drew de Chloé… Durée maximum du bail? 30 jours, pour un minimum de quatre jours. Et si, dans une soirée un peu arrosée, on abîme son précieux Chanel matelassé? «Il y a une franchise à payer, comme lorsqu’on loue une voiture», souligne Yann Le Floc’h.

Dans la démarche, ce n’est d’ailleurs pas le seul point commun avec l’automobile, relève Julie El Ghouzzi. «On n’achète plus tout à fait une voiture aujourd’hui, le système de “credit bail” est tel qu’on en vient à louer nos voitures et à les changer tous les quatre ans. Pourquoi ne pas imaginer un abonnement Chanel ou Dior qui permettrait d’avoir accès à x pièces par an qu’on rendrait ensuite au prix de l’argus?».

L'usage prime sur la possession

Au cœur du luxe à louer, un changement de paradigme: la primauté grandissante de l’usage sur la possession. «L'accès est le nouvel acte de propriété» est le slogan de Rent The Runway, qui est sans doute l'acteur le plus reconnu dans le marché de la location de produits de luxe, rappelle Rebecca Robins, global director chez Interbrand et co-auteur de l'ouvrage Meta-Luxury. «Désormais, on est davantage attiré par l'accès à un bien qu'à son acquisition. Il suffit de constater ce qui se passe dans les secteurs de la musique ou de la vidéo. Les biens culturels que nous avions l'habitude d'acheter et d'accumuler sont désormais disponibles à la demande sur Spotify et Netflix… C'est dans cette nouvelle économie que les marques doivent désormais évoluer.»

Les marques de luxe se sont-elles trop longtemps complu dans leur tour d’ivoire? Il y a de cela, estime Emmanuelle Brizay. «L’inflation des prix, considérable ces vingt dernières années, se double d’un autre phénomène: on parle de fast-fashion pour Zara et H&M, mais la mode, elle aussi, multiplie les collections, entre pré automne-hiver et pré printemps-été, collections Croisière, etc. Le luxe a perdu de sa durabilité, et tout le monde n’a pas envie de dépenser 2500 euros pour un bomber brodé Saint Laurent… Lorsqu’un produit est très cher, la raison s’insinue dans l’acte d’achat. Et on n’investit plus des milliers d’euros pour une pièce fashion qui n’est pas intemporelle…»

La location de luxe s'adresse aux «fashionistas millennials» 

D’autant que, précise la cofondatrice de Panoply.com, «on porte en moyenne un vêtement sept fois. Des dizaines et des dizaines de fois pour des basiques, une à… zéro fois pour des pièces plus extravagantes». Rebecca Robins, elle, évoque «une étude de la marque en ligne de vêtements vintage Thredup, qui indique que plus de 8 milliards de dollars de vêtements prennent la poussière dans nos armoires sans jamais être portés. Il existe une opportunité évidente pour la location de vêtements, mais également la revente, territoire sur lequel se sont positionnées des marques comme RealReal, Thredup ou Vestiaire Collective…»

Pour l’heure, la location de vêtements de luxe s’adresse, souligne Julie El Ghouzzi, «à une cible jeune et très sensible à la mode. Les fashionistas millennials en résumé Qui n’auraient jamais eu accès à ces produits ultra haut de gamme… «Ce principe de la location est un signe que la désirabilité du luxe est extraordinairement forte aujourd’hui, estime la directrice du Centre du luxe et de la création. Le luxe est hyper présent dans nos imaginaires, beaucoup plus qu’auparavant et provoque l’envie de millions de gens qui ne peuvent pas se le payer et qui veulent leur heure de gloire. Chacun mesure sa vie à l’aune de son potentiel Facebook. Se montrer avec un sac de luxe fait partie de cette nouvelle logique…».

Pour les stories Instagram ou Snapchat

«Les vêtements loués apportent de la valeur lorsqu'ils sont postés en ligne ou partagés dans des stories sur Instagram ou Snapchat, abonde Rebecca Robins. Dans cette époque du Moi, on veut s'approprier les produits à la mode tout de suite et non dans un an. Le statut découle de la façon dont nous sommes perçus et la question de savoir si nos possessions ont fait l'objet d'un leasing ou d'un achat, est quasiment insignifiante.»

La location, marché d’avenir? Un an après son lancement, Panoply revendique 4000 locations (avec des abonnements de 60 à 350 euros) et 500 clientes. Le site compte étoffer son stock de 3000 pièces, qui comprend vêtements, sacs et bijoux. Mais pas de chaussures pour le moment, précise Emmanuelle Brizay «À la location, la chaussure est un produit compliqué, en partie parce qu’elle requiert un “bichonnage” [nettoyage] après chaque utilisation, ce qui peut l’abîmer». Pour chausser leur soulier de vair, les Cendrillon millennial devront encore patienter…

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