Les Napoleons
Ancien directeur du renseignement à la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), Alain Juillet rappelle que la communication est un outil à géométrie variable, capable de rassurer comme d’effrayer.

Quel est l’impact de la communication sur l’opinion publique ?

La communication peut générer la peur comme redonner la confiance. C’est flagrant par exemple sur le plan économique. Actuellement, on entend partout « ça y est, la France repart », alors qu’il y a un an, le message dominant était « ça va mal ». Or, la situation économique du pays n’a pas changé du tout au tout en l’espace de douze mois ! Et c’est une vérité valable dans tous les domaines.

La peur est un ressort classique de la communication, non ?

C’est un phénomène qui peut parfaitement être provoqué. C’est d’ailleurs de plus en plus le cas aujourd’hui, comme on le voit avec les fake news. Ceux qui maîtrisent cette communication tordue savent parfaitement en calculer la finalité. Dans le monde du renseignement, cette notion de vérités et de contre-vérités est très présente. On peut citer la guerre en Irak et le soi-disant programme d’armes nucléaires évoqué par George W. Bush, dont on sait très bien qu’il n’a jamais existé. Autre exemple avec les États-Unis, où les attaques démocrates sur les relations entre la Russie et Donald Trump ont été très largement médiatisées. Alors que dans le même temps, les rapports entre la Fondation Clinton et des flux financiers venus de Russie ont été beaucoup moins relayés. Non pas que je prenne parti, mais cela contribue à l’idée d’un deux poids, deux mesures.

L’émotion est une corde sensible sur laquelle joue aussi la communication…

La « surcom' » joue sur l’émotionnel, car l’émotion empêche le raisonnement, qui se construit sur des faits. On utilise ainsi de plus en plus des ONG pour véhiculer des idées, vraies ou fausses d’ailleurs. Cela peut aussi avoir des effets pervers comme la réponse législative attendue en réaction à l’émotion. Le pouvoir politique se doit de réagir. La nouveauté, avec l’ouverture du cyberespace, c’est que l’information abonde, circule plus et plus vite. C’est ce qui explique que les fake news soient aussi difficiles à contrôler. L’information passe de virtuelle à quasi-réelle par la force même de ce qui est véhiculé.

Y a-t-il une solution pour lutter contre les fake news ?

Recouper les informations et effectuer un travail d’investigation est la seule solution face à une peur qui s’explique notamment par la profusion des informations. Le citoyen ne se rend pas forcément compte que sa propre opinion peut être manipulée ou biaisée.

Pourtant, un récent sondage a montré que 79% des Français croient au moins à une théorie du complot…

Les gens ont peur et jouent aussi à se faire peur. Mais derrière, il y a beaucoup de fantasmes. Quand plusieurs milliers de personnes se rassemblent autour du pic Saint-Loup pour échapper à l’apocalypse, il y a quelque chose de complètement irrationnel, qui renvoie à des peurs ancestrales. À la différence notable qu’il y avait très peu accès à l’information autrefois. Il s’agissait donc d’un fantasme par rapport à l’inconnu total. À l’heure actuelle, le fantasme s’exerce le plus souvent par rapport au virtuel et non par rapport au réel.

Quel est le rôle joué par les médias dans ce phénomène ?

Les médias font des choix, qui consistent à traiter telle information plutôt que telle autre, ce qui influe forcément sur l’opinion publique. Aux États-Unis toujours, il faut savoir qu’il y a plus de morts par armes à feu chaque année qu’il n’y en a eu dans les attentats du 11 Septembre. Pour autant, la couverture médiatique autour de ces deux réalités ne reflète absolument pas cette situation. Dans un sens, on est toujours « manipulé » par l’information.

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