Entreprenariat
Longtemps, l'utopie du numérique a fait croire qu'une start-up pouvait changer le monde... Derrière le rêve se cache une réalité beaucoup plus rude. Entretien avec les auteurs de « Start-up, arrêtons la mascarade », de Nicolas Menet et Benjamin Zimmer, paru en février 2018 aux Éditions Dunod.

En quoi le monde des start-up constitue-t-il une utopie ?

Nicolas Menet. Une start-up, c’est attractif. C’est l’image d’un monde constitué de jeunes, digital natives et hyper-connectés, qui vont changer le monde. Ce sont les Gafa, ces grandes puissances technologiques, avec des méthodes de travail alternatives, modernes, à l’écoute du bien-être des salariés… C’est le modèle d’Apple ou de Google, dont le crédo est de contribuer à faire « un monde meilleur ». Toute cette imagerie fait rêver de nombreux jeunes professionnels, mais aussi les médias, les politiques, puis la société toute entière.

Benjamin Zimmer. Ce qui a participé à enrichir cette mythologie, ce sont quelques réussites financières absolument exceptionnelles, et inédites dans toute l’histoire économique. Ce mythe d'une société idéale sans défaut est rapidement devenu une utopie : celle de la réussite entrepreneuriale.



Quel bilan tire votre livre au sujet des start-up ?

N.M. C’est un bilan totalement mitigé. Un peu désabusé. En France, beaucoup d’argent, privé ou public, est mis sur la table pour l’innovation. D’un côté, cela est très positif : notre écosystème est très fort, et tout semble converger vers des conditions idéales pour faire de la France une « start-up nation », selon l’expression de notre président de la République. Et pourtant, d'après une étude Insee de 2016, 90 % des start-up ne passent pas le cap des 5 ans… Cela signifie que la start-up ne devient jamais une entreprise.

B.Z. Le reproche principal que nous formulons c’est précisément ce manque total de culture d’entreprise de la part de tout l’écosystème de l’innovation. L’absence de culture du chiffre, de la métrique ou du KPI... Comment être performant si l'on est incapable de mesurer ? Tout est toujours très abstrait. Et pourtant ces start-up peuvent lever des millions d’euros. Les startuppers pitchent leur projets devant d’autres startuppers, et leurs projets restent bien souvent incohérents.



Que proposez-vous comme alternative ?

B.Z. Déjà, il faut souligner que garder une part d’utopie, de rêve, reste important dans une société. C’est elle qui va nourrir l'ambition, la motivation, l’envie de se surpasser et de prendre des risques. Ce que nous suggérons, c’est de réguler l’utopie : cesser de donner de faux espoirs, d’alimenter les illusions et, surtout, de dépenser de l’argent inutilement. Du reste, il ne faudrait pas grand-chose pour que ce système fonctionne et que l’on quitte l’utopie pour la réalité. Les infrastructures juridiques et économiques existent. Notre vision : faire des start-up de vraies TPE innovantes, qui deviendront de vraies entreprises qui fonctionnent, qui créent de l’emploi et répondent à des besoins.

N.M. Pour que cette utopie devienne une réalité, nous pensons qu’il faut établir des urgences pour l’avenir : les enjeux environnementaux, sociétaux, l’éducation, la silver économie, l’emploi, etc. Et mettre l’argent prioritairement sur ces projets-là. Nous proposons de faire coexister, dans l'écosystème de l’innovation, ce qui existe déjà aujourd’hui dans les incubateurs privés. Ce que fait Xavier Niel par exemple, qui finance des milliers de projets par an et attend de voir ce qui marche : c’est ce qui va contribuer à sortir des idées et engendrer des innovations de rupture. Mais à cette démarche de semis doit s’ajouter un écosystème structuré sur la base de priorités pour la société.



Qu’est ce que « la profitabilité intégrale » ?

N.M. C’est le nom du concept que nous présentons dans notre livre, inspiré des nouveaux paradigmes économiques : l'économie bleue (pas de gaspillage), l'économie collaborative (partage pour réduire les coûts), l'économie de la fonctionnalité (acquisition d'un usage plus que d'un bien), l'économie circulaire (utiliser les forces locales)… La profitabilité intégrale est un concept économique qui permet de mettre au centre l’intérêt de tous au profit de chacun. Ainsi, le profit ne se résume pas à la finance. Les bénéfices peuvent aussi s’envisager dans les coûts qu'ils évitent, dans l'ensemble des externalités positives qu'ils engendrent. Qu’on soit investisseur, entrepreneur, incubateur, organisme public ou politique, chacun doit orienter ses choix au profit des usagers, de la société et de la planète. Pour résumer, nous avons tout intérêt à gagner collectivement car si le collectif gagne, chaque partie gagne.  

B.Z. En fait, ce modèle intègre la start-up dans un projet de société global où l’innovation est au service du progrès de la société et non pas au profit de quelques investisseurs… L’idée est donc d’utiliser ces jeunes structures comme des lieux de production concrète de richesse. Rappelons que 42 % des start-up meurent parce qu’elles n’ont pas trouvé de marché, qu’elles n’ont pas défini de besoins.



Est ce que le gouvernement actuel, qui prône l'avènement d'une « start-up nation », va dans le sens de vos propositions ?

N.M. Quand le président a employé cette expression, en juin 2017, nous ne savions pas ce qu’il entendait concrètement. Puis, au cours de cette première année de mandat, nous avons pu mieux mesurer ce qu’entendait Emmanuel Macron. Dans le cadre du « tour des start-up », effectué par Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État en charge du numérique, il a été question de vraiment favoriser l’éclosion de TPE et de PME qui créent des emplois à l’international. Avec des assertions comme « faisons des startuppers des chefs d’entreprises ».

B.Z. Pour nous, il y a des signes d’espoir dans les annonces du gouvernement : en matière de fiscalité, déjà, car en incitant les riches à investir dans l'économie, on crée les conditions pour conserver les talents et les jeunes entreprises à potentiel. Autre signe d'espoir : permettre aux salariés de démissionner et entreprendre tout en conservant le chômage. Le chômage solvabilise des entrepreneurs de demain et cela donne sa chance à tous. Ou encore, le système de concertation publique, à l'image de l'enquête publique massive sur la loi Pacte ou encore sur le logement. Il faut étendre cette démarche à tous les grands enjeux et chantiers pour demain.

Qui sont les auteurs ?

  • Benjamin Zimmer : docteur en sciences et diplômé de l’Ecole centrale Supélec, il a cofondé et dirigé Silver Valley avant de rejoindre le groupe Oui Care en tant que directeur délégué de la filiale Silver Alliance. Il est également associé fondateur de la start-up HyB’RID, engagé dans le projet Echologia et mentor de l'organisation Ticket for Change.
  • Nicolas Menet : diplômé en sciences humaines et en gestion publique, sociologue et conférencier, il a fondé le cabinet de conseil en innovation Adjuvance en 2006. Depuis 2017, il est directeur général de l’écosystème d’innovation francilien Silver Valley.
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