Arts
Aide aux musées, préservation du patrimoine, mise à disposition d’outils pour les artistes… Google Arts & Culture n’est pas qu'une application de visites virtuelles, c'est aussi un vaste programme de rencontre entre l’art et la technologie. Entretien avec Laurent Gaveau, le directeur du lab.

Laurent Gaveau a longtemps travaillé dans le secteur culturel notamment pour le Château de Versailles, en tant que responsable de la communication et du marketing durant cinq ans. Sa mission principale: développer un programme de rencontre entre ce monument historique français et la technologie. Il rejoint Google en 2013 pour prendre la direction du programme Arts & Culture, avec la même ambition... mais à grande échelle.

Qu’est ce que Google Arts & Culture?
Laurent Gaveau. Google Arts & Culture est un projet à but non lucratif dont l’offre principale est l’application mobile, disponible gratuitement depuis 2015 sur iOS et Android. Il propose la visite virtuelle de près de 2000 musées et monuments. Le programme est également à l'initiative de nombreuses initiatives transversales qui rassemblent parfois plusieurs institutions autour d’un même sujet. Comme celui sur Frida Kahlo, une exposition interactive virtuelle en collaboration avec une trentaine de partenaires. Ils présentaient chacun un visage différent de cette artiste.

Quelle est l'histoire de ce programme?
La genèse est originale: chez Google, les employés peuvent consacrer 20% de leur temps dans l’entreprise à des recherches personnelles. Amit Sood [le directeur mondial du projet] utilisait ce temps pour passer en revue différentes technologies déjà développées chez Google afin de voir celles qui pourraient être adaptées au monde de la culture. Au départ très expérimental, avec une toute petite équipe et uniquement 17 musées dans le monde, l’initiative a très vite rencontré un vrai succès. En matière de qualité d’expérience, de réception du monde de l’art et d'enthousiasme des ingénieurs. Une équipe officielle s’est donc constituée en 2011, dédiée à 100% à ce type de projets culturels. Aujourd'hui, la cellule compte une trentaine de personnes, basées principalement au siège, à Paris, et comprend plus de 1 800 partenaires (dont 100 en France).

L’accueil des institutions culturelles a-t-il été positif dès le départ?
Le programme a rencontré trois types de réserves: la première concernait les droits. Nous avons donc établi très tôt un contrat qui ne réclame aucun droit sur aucune des images, et dans le cas des images que nous numérisons, nous reversons l’intégralité des droits aux institutions. La deuxième visait la durée de l’engagement. De nombreux musées ne trouvaient pas intéressant de travailler sur des expérimentations marketing isolées. Google a donc pris le parti de travailler sur le long terme avec ses partenaires. Enfin, troisième inquiétude: l'existence d’un conflit entre la visite réelle et la visite virtuelle. Il a au contraire été démontré que plus on ouvre ses archives, plus on est présent en ligne, plus on crée du désir auprès du public. Les deux sont complémentaires et ne se remplacent pas. Nous avons ainsi levé tous les doutes en dialoguant étroitement avec nos partenaires et en remplissant leurs conditions.

Quel est le dessein de Google Arts & Culture?
La préservation du patrimoine en danger est l’un de nos axes forts de développement. Les guerres, les catastrophes naturelles, menacent le patrimoine culturel. Mais les moyens technologiques permettent de protéger ce qui peut encore l’être et de reconstituer ce qui a été détruit. Nous avons par exemple lancé un grand projet de numérisation 3D avec le British Museum en décembre dernier autour de l’héritage maya au Guatemala.

Quelles sont les technologies utilisées?
Le besoin premier est la numérisation. Cette technologie en comprend deux autres: d’une part «Street View», le service de navigation virtuelle de Google, que l’on a adapté à l'univers culturel. D’autre part, «Art Camera», notre solution propriétaire de numérisation d’oeuvres en ultra-haute définition, qui permet, en ligne, de zoomer à l’infini dans des grands chefs d’oeuvre du monde entier. Certaines sont réellement spectaculaires à l’instar du plafond de Marc Chagall à l'Opéra Garnier, une oeuvre très difficile à comprendre à l’oeil nu. Autre technologie importante et souhaitée par nos partenaires: pouvoir réaliser des expositions virtuelles, raconter des histoires sur la base des contenus disponibles. Nous avons mis en place un outil de curation qui a permis à ce jour plus de 5 000 expositions. Enfin, la réalité virtuelle (VR) constitue l'un de nos grands chantier. En 2014, l'équipe du lab de Google Arts & Culture en France, composée principalement d’artistes et de creative coders, a inventé le «cardboard», un masque de VR en carton plié, fonctionnant avec un smartphone. Le projet, en open source, s’est aujourd’hui popularisé. Depuis, on aide nos partenaires à produire des contenus en VR, notamment dans le secteur des arts de la scène. Nous avons par exemple travaillé avec Benjamin Millepied à l’opéra de Paris.

 

Et l'intelligence artificielle? (voir encadré)
L'IA est une technologie encore émergente mais très importante. Au service à la fois des commissaires d’expositions ou des experts du patrimoine, dans des problématiques de gestion de données, mais également des artistes. Il est à noter qu’en tant qu’entreprise technologique, Google n’a aucune expertise artistique ; l’ensemble de nos choix sont guidés par les besoins de nos partenaires.

Trois nouvelles expériences avec IA

Depuis 1929, le Museum of Modern Art de New York a entrepris de photographier toutes ses expositions temporaires. Chaque mur ainsi consigné depuis près d’un siècle comporte 4 ou 5 oeuvres: une base de données très riche de 30 000 images. Problème: aucune information n’est associée aux oeuvres, à part le nom de l’exposition et la date. Google s’est chargée d’agréger automatiquement chaque oeuvre, grâce à un algorithme de reconnaissance d’images. Un travail titanesque qui aurait nécessité plusieurs années à un conservateur du patrimoine...

L’outil permet de comparer des tableaux qui partagent la même palette de couleurs mais qui peuvent provenir d’origine très différentes. Il s’agit d’une extraction de colorimétrie issue de plusieurs milliers de tableaux. L’utilisateur peut ainsi découvrir qu’un Van Gogh et une estampe japonaise possèdent exactement la même palette. Une fonctionnalités permet même de confronter une photo personnelle à la base de données. Des associations peuvent être intéressantes et donner lieu à des idées très créatives.

Life, magazine iconique du photojournalisme américain, a publié environ 3 millions d’images en noir et blanc qui couvrent toute l’histoire du XXe siècle. Google a utilisé la reconnaissance d'images pour chercher des détails et appliquer des tags à tous les clichés (une couleur, un type de vêtement, un objet particulier, etc.). Une manière à la fois amusante et informative de découvrir des photographies du siècle dernier.

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