Jouet
Puériculture n’est pas puérilité. Les acteurs du secteur, dont Fisher-Price, ont durablement ancré un ton infantilisant dans leurs pubs. Aidée par Artefact, la filiale française fait table rase du passé.

Pour mettre un si grand coup de pied dans la fourmilière, c’est à croire que Fisher-Price en a eu vraiment assez des pubs de bébé. La filiale française de l’américain Mattel a décidé de passer tout son budget en digital et de moderniser son discours. Plus de marronnier obligé en télévision [TV]. Exit la niaiserie. Au rebut la pudibonderie. Fisher-Price a tué le toutou et ses wouaf-wouaf rigolos... Il faut dire que la façon de parler de puériculture avait pris un sacré coup de vieux, alors que le secteur subit une lente érosion des ventes depuis 2010 : -1,2 % selon Xerfi-Precepta, qui prédit une amplification du déclin d’ici 2020. Dépendant historiquement d’une communication centralisée aux États-Unis (BBDO), Fisher-Price France a obtenu du siège de suivre sa propre voie dans l’Hexagone, qui deviendra un laboratoire pour la marque. Aux commandes, Artefact. Comme elle le fait depuis quelques mois, l’agence a surpris avec une recommandation créative étonnante. Connue pour son offre de precision marketing, elle a battu Fullsix (Havas) et Drive en mai à l’issue d’un appel d’offres organisé par VTscan.

Mamans et primipares

« Nous avions deux problèmes à résoudre », rembobine Elisabeth Moet, directrice marketing France Belgique de Mattel. Le premier : le fabricant de jouets ne communiquait qu’en offline et notamment en TV alors qu’il connaît très bien sa cible, soit « les mamans, et principalement les primipares, soit 2,7 millions de contacts par an en France, pour 800 000 naissances environ ». Dans ce contexte, pourquoi investir de lourds budgets TV pour des clips qui toucheront trop de monde ? Autre constat : cette cible est très consommatrice de digital. Deux raisons suffisantes pour que l’annonceur s’oriente vers une stratégie de precision marketing, lui permettant de découper trois segments précis au sein d’une cible déjà restreinte : « Le thème de l’éveil pour les enfants de 0 à 3 mois, celui de la dextérité de 3 à 6 mois et l’évolution vers la marche et de développement du vocabulaire entre 6 et 12 mois. » Pour chacune de ces cibles, l’agence a développé de petits spots de 15 secondes présentant le jouet sur fond coloré, avec une voix off décalée. Ces films orientés produit ont été conçus dès le début du processus créatif, en même temps que la réalisation de trois films de 30 secondes, plus axés sur le discours de marque. C’était la deuxième problématique de Fisher-Price. « Nous avons un vrai capital sympathie depuis 1930… mais il fallait dépoussiérer notre image », pointe la directrice marketing.

Entre tchoupis et élégance

Pour réussir ce tour de force, il fallait impérativement adapter la stratégie localement, comme l’explique François Brogi, associé chez Artefact : « En adaptant la communication des États-Unis, on ne tenait pas compte de la différence de situation de marché. Dans son pays, le fabricant a moins de concurrence et a donc une communication de leader, situation dont il ne bénéficie pas en France. » Dans ce contexte, une approche statutaire en TV ne peut pas fonctionner. Pour que le résultat soit cohérent, Artefact a développé son approche-maison. « Nous considérons que tous les points de contact en digital doivent être traités avec élégance, même les bannières en bas de parcours et les formulaires d’inscription », souligne François Brogi – un discours qui tranche avec la logique du film TV roi, duquel découlent de multiples adaptations plus ou moins adroites. Le tout est nourri à l’analyse de données.

Ce qui sous-tend la stratégie et la nouvelle tonalité de Fisher-Price France, c’est aussi un constat dressé par Artefact. « Les mamans françaises portent une charge mentale plus importante que dans d’autres pays d’Europe, car elles reprennent le travail beaucoup plus tôt [16 semaines de congé maternité contre 75 en Suède, le maximum], font plus de burn-out, et subissent une forte pression psychologique sur ce qui est bien et mal pour leur enfant, car tout le monde porte un jugement sur leurs actes », souligne François Brogi. « Plutôt que de donner des leçons sur l’éveil, ce qu’elles maîtrisent déjà, on a pris le parti d’appuyer sur la deuxième valeur de cet univers, le divertissement. » Et pour cela, de parler comme des adultes. « Les mères entendent des “tchoupis” toute la journée, et nous voulions éviter cette tendance de la com pour bébé, à parler comme un bébé… Il y a une frilosité sur le marché où il faudrait parler aux mères comme à des idiotes, mais c’est insulter leur intelligence» poursuit le communicant. En résultent trois films rafraîchissants.

Trotteur zèbre parlant

Leur point commun est de nous plonger dans les arcanes d’un brief de créateurs de jouets. L’un d’eux nous montre deux créatifs qui planchent sur un projet de trotteur parlant. Pour stimuler leur attention, le duo a une idée qui leur semble géniale : créer un trotteur zèbre parlant. Pourquoi ? On ne le saura pas. De la même façon que le public n’a à peu près aucune idée de comment est faite une voiture, il en irait de même pour les jouets pour bébés, comme le rappelle si bien la signature de marque : « Amuser les bébés, c’est un métier. » Dans un autre film, une cheffe de projet présente son idée de mobile « encore plus mignon qu’un petit ourson : un ourson papillon ». Devant un auditoire conquis, elle emporte vraiment leur adhésion en proposant non pas un, mais trois oursons papillons. Après de premiers tests cet été, Fisher-Price accélère sa campagne depuis septembre. Le budget est le même qu’en 2017. Le succès ne se mesurera pas tant sur l’amélioration des ventes que sur le changement de perception. De la même façon qu’Intermarché a rebattu les cartes de la communication dans la grande distribution avec le film « L’amour, l'amour » conçu par Romance en 2017, Artefact imagine être à l’origine d’un nouveau départ dans la pub pour bébé.

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