Technologie
La blockchain est potentiellement en mesure de sécuriser les transactions, de les rendre plus intelligentes et plus transparentes. À condition d’améliorer ses performances et de rassembler toutes les parties prenantes.

La rencontre était inévitable. La publicité programmatique et la blockchain, cette technologie décentralisée et sécurisée d’échanges utilisée essentiellement pour produire des cryptomonnaies, devaient se croiser. À entendre Cyril Paglino, créateur de Starchain Capital, un fonds d’investissement spécialisé dans la blockchain, « la publicité programmatique est un business model qui se prête à une application de la blockchain pour trois raisons : il comporte beaucoup d’intermédiaires, l’argent de l’annonceur se dilue le long de la chaîne et il y a un manque de transparence ». Autant d’éléments propices à la fraude. La blockchain peut-elle la combattre ? Oui, estime Hadrien Heurtel, media trader chez Gamned! : « Il est techniquement possible d’imaginer écrire l’ensemble des transactions programmatiques au sein d’une blockchain publique (ou semi-

publique), accessible et “auditable” par les acteurs antifraudes. »

1 000 transactions par seconde. Trois obstacles empêchent cependant le passage à la pratique. Le premier : les faibles performances de la blockchain, encore très en deçà des besoins du programmatique. Une simple question de temps, estime cependant Cyril Paglino : « Plusieurs acteurs du secteur, que ce soit Ethereum, Neo, EOS ou Tezos, travaillent sur cet aspect et promettent que le cap des 1 000 transactions par seconde sera atteint dans les dix-huit mois. » La technologie blockchain serait alors en mesure d’être intégrée aux plateformes de RTB. D’autres acteurs travaillent déjà directement sur la meilleure façon d’articuler publicité programmatique et blockchain. C’est le cas de XCHNG, Amino, ou encore adChain, Adbank et JET8. L’IAB a aussi lancé en septembre 2017 un groupe de travail dédié, Blockchain Working Group, afin de concevoir des standards utilisables par l’ensemble du secteur.

Divergence d’intérêts

Le second obstacle pouvant empêcher l’usage réel tient à la divergence des intérêts en présence, souligne Xavier Cardon, cofondateur de Sutter -Mills, plateforme de conseil en data : « Les principaux bénéficiaires des fraudes sont les éditeurs de sites, pas ceux qui s’engagent depuis longtemps via des chartes auprès des clients et agences ou plus récemment via des initiatives du type Digital Ad Trust. En théorie, la blockchain peut transmettre de façon sécurisée un nom de domaine et un nombre d’impressions ou encore sécuriser la transmission d’informations entre l’éditeur et l’annonceur. Mais l’ensemble du schéma repose sur l’adhésion de l’éditeur. »

Un troisième élément doit être pris en compte : la fluctuation du cours des cryptomonnaies. « Les crypto-monnaies sont indissociables de la blockchain et peuvent être vues comme des “jetons” permettant l’utilisation d’une blockchain, explique Hadrien Heurtel. Une entreprise dont le service serait basé sur la blockchain Ethereum doit utiliser la monnaie que produit cette technologie, les “ethers”, pour faire fonctionner son service. » Du coup, elle s’expose aux fluctuations du cours de cette crytomonnaie. En cas de forte spéculation à la hausse, le coût du service rendu augmente d’autant… 

Réduire la fraude n’est cependant pas le seul intérêt de la blockchain. Cette technologie peut aussi

assurer la réalisation de contrats de façon automatique et sécurisée. Ces smart contracts pourraient être utilisés pour éviter l’affichage de la publicité si l’emplacement n’est pas jugé brand safe ou empêcher le paiement si l’impression est entachée par la fraude.

Chaque euro pisté ?

Une autre application est possible. La blockchain peut en effet pister le parcours des investissements. L’enjeu est crucial, estime Cyril Paglino : « Globalement, 60 % du budget de l’annonceur est capté par les intermédiaires et un tiers, voire moins, est consacré à toucher le consommateur. » Si la blockchain parvient effectivement à suivre le parcours de chaque euro, les annonceurs pourront alors obtenir une transparence inédite. De quoi modifier les rapports avec tous les acteurs de la chaîne programmatique : « Les annonceurs pourront savoir qui reçoit quoi et pour faire quoi, résume Cyril Paglino. Ils pourront mieux analyser la valeur de la contribution des différents intermédiaires et éventuellement la négocier. »

Le scénario fait sans doute rêver les annonceurs, mais peut-il devenir réalité ? Xavier Cardon se montre dubitatif : « En théorie, la blockchain peut établir une plus grande transparence, à condition que tous les acteurs acceptent de transmettre leurs informations via une procédure qu’ils ne gèrent pas. C’est une hypothèse peu probable. Pour établir cette transparence, il faudrait un rapprochement entre les éditeurs et les annonceurs, mais dans ce cas pourquoi auraient-ils besoin de la blockchain ? » Autant dire que cette technologie n’a pas fini d’agiter le Landerneau programmatique.

iProspect lance une expérimentation blockchain

Programmatique et fraude sont encore trop souvent associés. « Les chiffres sur la fraude qui circulent ne sont que des estimations, mais les montants en jeu se chiffrent à plusieurs centaines de millions d’euros, note Erwan Lohezic, directeur général de iProspect (Dentsu Aegis). Certains estiment que ce type de fraude génère des revenus supérieurs à ceux de la drogue. » Pressentant le rôle que peut jouer la blockchain dans la sécurisation des transactions, iProspect a entamé cet été une expérimentation. « Nous avons déjà embarqué des DSP, des SSP et des éditeurs pour mener une expérimentation d’utilisation de la blockchain », explique Erwan Lohezic. Les tests doivent démarrer début 2019. Compte tenu des limitations actuelles de cette technologie, ils ne porteront que sur du programmatique garanti en circuit fermé avec des acteurs identifiés. L’expérimentation n’en sera pas moins instructive, estime Erwan Lohezic : « Nous allons voir ce qui se passe si un acteur identifié envoie une information

non prévue. Est-ce qu’il va malgré tout gagner l’enchère ou bien sera-t-elle bloquée ? Nous verrons aussi ce

qui se passe lorsqu’un acteur extérieur essaie de se glisser dans le processus. Notre but est de montrer que

le programmatique peut fonctionner sans fraude et générer un juste partage des revenus. »

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