Mobilité
L’effort intense de transformation que mettent en œuvre les constructeurs automobiles est proportionnel à l’accélération des innovations technologiques, à l’impact croissant des nouvelles politiques et règlementations en matière d’environnement ou de sécurité et à l’émergence rapide de nouveaux comportements des consommateurs.

Tout le processus d’achat automobile se transforme, principalement sous l’effet de la digitalisation du parcours client. Si la concession reste encore un passage obligé, plus d’un Français sur deux se dit prêt à acheter sa voiture entièrement en ligne, selon l’étude Cars Online 2014 de Cap Gemini. En témoignent les chiffres de fréquentation des concessions avec, en moyenne, deux visites et un essai avant l’achat ou environ 20 % des achats de véhicules neufs qui se font sans essai, d’après l’étude Auto CB 2016 de Google/TNS. Conclusion : quand le client se déplace en concession, c’est qu’il sait déjà ce qu’il veut. 

L’achat 100 % physique n’est plus. Le voilà remplacé dans les comportements par une démarche omnicanale où le digital occupe une place prépondérante : recherche d’information, avis et conseils, comparaison, configuration, simulation de financement, prise de rendez-vous pour un essai, précommande… Selon Google/TNS, c’est 90 % du parcours d’achat qui est aujourd’hui digital, quand il n’intègre pas tout simplement l’achat en ligne avec livraison à domicile. Des start-up comme Carvana ou Vroom le font déjà aux États-Unis, promettant rapidité, clarté et accessibilité améliorées. Même Amazon s’y met. 

Toutefois, n’enterrons pas si vite le point de vente physique qui, loin d’être mort, est plutôt en transformation lui aussi. « L’industrie automobile devrait vivre plus de transformations dans les cinq à dix ans à venir qu’elle n’en a vécu dans les 50 dernières années », prédisait Mary Barra, CEO de General Motors, en 2016. Nouveaux formats (du pop-up expérientiel et éphémère au city store en centre commercial ou centre-ville, en passant par le centre d’essai nouvelle génération), nouvelles expériences de marque augmentées (digitales, de divertissement, communautaires) et nouveaux services annexes : le « store » se transforme, le conseiller expert « Genius » remplace le vendeur et la concession se veut plus proche, plus simple, plus flexible, plus digitale, plus expérientielle et plus excitante pour retrouver fréquentation et engagement auprès des prospects et clients. 

De l’achat à la location

L’un des premiers signes de changement structurel du marché automobile concerne d’ailleurs la modalité de financement de l’automobile. En 2017, l’Association française de sociétés financières révèle que deux tiers du total des financements de véhicules neufs ont ainsi été effectués en formules locatives : LOA, LLD ou crédit-bail.  Les particuliers, comme les entreprises, ont vite compris les avantages de la location avec des loyers qui, en permettant de ne payer que la fraction de la valeur du véhicule pendant la durée de détention de celui-ci, sont plus attractifs que la mensualité d’un crédit. Ce boom du leasing s’explique en partie par l’effort de « pédagogie » des marques qui préfèrent depuis longtemps afficher un loyer plutôt qu’un prix d’achat, notamment par le travail mené par leurs captives. Mais il illustre aussi le fait que les conducteurs veulent de plus en plus utiliser une voiture sans en être propriétaire, ce qui leur permet de rendre leur effort financier et engagement moins impliquant. « Voire même d’envisager des modèles de souscription à la Netflix ou Spotify », comme l’explique Jochen Funk, associé chez Deloitte Consulting.

La relation avec les marques s’en trouve améliorée car un leasing intègre des services complémentaires, de maintenance, d’assurance ou d’assistance. Cela en fait un levier de fidélisation. Il comporte aussi un bénéfice pour le consommateur qui désire se simplifier la vie. « L’automobile elle-même se transforme en une plateforme de services. Si la voiture du 20e siècle était un produit non modifiable répondant aux mêmes besoins jusqu’à ce qu’on en change, celle du 21e siècle est connectée, évolutive et configurable à la demande, pour proposer au passager-conducteur une multitude de nouvelles fonctionnalités et de services complémentaires au déplacement… Cela change donc la manière de la packager et de la vendre », comme l’explique Dominique Castellano, planneur stratégique au sein de l’agence DDB.

De l’auto à la mobilité multiple

Et d’ajouter que « le consommateur, à la recherche d’une mobilité plus personnalisée, plus fluide, plus connectée, plus économe ou plus écologique, est aussi prêt à abandonner la voiture pour des services de mobilité plus adaptés à ses besoins » : solutions d’autopartage en free-floating comme Free2move de PSA ou Moov’in.Paris de Renault, mobilité intégrée et à la demande d’Uber qui ambitionne de devenir l’Amazon des transports en proposant VTC, vélos et trottinettes électriques, paiement mobile du stationnement et des transports… Autant d’exemples de la diversité des solutions qui s’offrent aujourd’hui à un consommateur qui veut se libérer de toute contrainte physique ou mentale. « Les risques et les opportunités sont bien identifiés par les marques automobiles qui s’adaptent en basculant progressivement d’une logique industrielle centrée produit à une logique servicielle centrée utilisateur et en se repositionnant comme fournisseurs de solutions de mobilité notamment urbaine », ajoute Jochen Funk.

Alors les marques automobiles risquent-elles d’être disruptées, désintermédiées, remises en question sur leur business cœur ? Quelle relation envisager avec des consommateurs qui pourront demain se « désabonner » en un clic ou « déconsommer » une marque automobile ? Au fond, c’est la question de la raison d’être et de la légitimité des marques automobiles à opérer sur un marché, et plus largement dans une société qui questionne leurs valeurs techniques (efficacité, innovation…), relationnelles (écoute, respect, transparence…) et désormais  politiques (respect de l’environnement, progrès économique durable, impact social…). En conséquence, et au-delà de la capacité d’innovation industrielle et d’adaptation aux nouveaux usages, c’est la notion même de ce que doit être une marque qui évolue aujourd’hui. À titre d’exemple, citons Brandless. Cet e-commerçant américain lancé en 2017 propose, sous sa marque « sans marque », des produits responsables « sans » OGM, gluten, conservateurs, ni intermédiaires... « Une illustration ultime de la tendance à la simplification à l’œuvre aujourd’hui dans le marketing mais également de la mission d’entreprise érigée ici comme essentiel attribut de marque », explique Franck Farrugia, coprésident d’OMG Group.

Pour autant, l’émotion suscitée encore aujourd’hui en 2019 par le design automobile, le plaisir de conduire, la prise en main d’un véhicule, laisse de l’espoir à ces marques. Comme dans bien d’autres univers, seules celles qui apporteront une proposition de marque « vraie » pourraient tirer leur épingle du jeu en devenant la référence d’un usage ou d’un mode de vie en adéquation avec les besoins et attentes des consommateurs de leur époque. 

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