Technologies
Pékin veut asseoir via l’intelligence artificielle un nouvel empire. Et ne manque pas d’atouts pour y parvenir. Voici quelques clés pour comprendre, grâce à différents acteurs économiques rencontrés à Shanghai sur la thématique de l’innovation.

«Ce que la Chine a accompli en vingt ans est difficile à comprendre. La vitesse ne s’est pas ralentie. Cela force à rester en éveil, à être très mobile, à se remettre en cause.» Arrivé en Chine dans les années 2000, quand le pays n’était pas encore aussi puissant sur la scène internationale, Stéphane Monsallier a un avis bien tranché sur la question. Cet entrepreneur dans les services informatiques a fondé la French Tech Shanghai. Une chose est sûre : les développements de la Chine devraient se poursuivre. Le pays suit désormais un nouveau cap. Il y a un peu plus de deux ans, le gouvernement chinois a fait de l’intelligence artificielle un axe de croissance prioritaire. Les dirigeants dévoilaient alors un plan national de développement, avec l’objectif que le pays devienne le premier centre d’innovation au monde en la matière, à horizon 2030.

«L’IA est une priorité stratégique pour le pays car la Chine est arrivée en retard sur le mobile, analyse Nicolas du Cray, associé chez Cathay Capital, fonds franco-chinois à l’origine d’investissements dans le domaine. L’IA permettra de créer un leadership technologique et de résoudre un problème de productivité dans des systèmes productifs peu digitalisés.» Un moyen aussi de renforcer l’influence du pays dans le monde et de concurrencer directement les Américains… «Les États-Unis sont research driven, la Chine, applications driven [portés par la recherche, les applications]. Aux États-Unis, l’expert est roi, en Chine, la data est reine», estime Jeriel Tan, international PR manager chez DeepBlue, pépite chinoise de l’IA, travaillant sur plusieurs applications (déjà expérimentées) de la technologie comme le paiement dans le bus avec la paume de la main, à un distributeur ou à une caisse automatique.

Pour atteindre son objectif, la Chine s’est mise en ordre de marche. Ses principaux géants se sont penchés sur le sujet. «Baidu [le Google chinois] se présente comme une entreprise spécialisée dans l’IA. Et demain, le search se fera par le vocal. Cela impliquera beaucoup d’IA. De plus, Baidu fait de l’IA appliquée aux véhicules autonomes à travers le programme Apollo», explique Patrice Nordey, dirigeant de Fabernovel Asia, groupe de conseil et création de produits et services numériques, dans le cadre d’une présentation sur le marché chinois et les tendances de l’innovation. Autre exemple, Tencent se spécialise dans les applications médicales de l’IA. Le gouvernement les associe au projet, leur fixe des domaines à explorer.

Un écosystème entrepreneurial riche

En plus de l’implication de ces champions, le pays peut aussi s’appuyer sur un écosystème entrepreneurial riche – ainsi que sur des ingénieurs spécialisés – et une capacité à innover. De façon générale, «12 000 start-up sont créées chaque jour en Chine», rappelle Patrice Nordey. Dans le domaine de l’IA, elles ont attiré 48% des investissements mondiaux en 2017, selon un rapport de la société CB Insights pour 2018. C’est dire le dynamisme du secteur. «Le pays compte 2000 à 2500 incubateurs», ajoute Patrice Nordey. Parmi eux figure Chinaccelerator. Basé à Shanghai, spécialisé sur trois thématiques (software, hardware et biotech), il investit aussi largement dans l’intelligence artificielle. En parallèle, la Chine a vu aussi son écosystème de financement se -développer. Pour n’en citer qu’un, Sinovation Ventures, fondé en 2009 par Kai-Fu Lee, spécialiste de l’IA, a financé plus d’une quinzaine de licornes. Le fonds Cathay Capital, de son côté, a par exemple investi dans Momenta, société spécialisée dans la conduite autonome. Par ailleurs, le pays a mis sur pied des événements d’envergure internationale dans le domaine, comme la WAIC (World Artificial Intelligence Conference), qui s’est tenue fin septembre à Shanghai. Enfin, tout se joue aussi au niveau local. « La Chine donne la direction, crée des infrastructures, comme des parcs high-tech dans les grandes villes, et des capitaux vont organiser tout cela », décrit Nicolas du Cray.

Données à volonté

Autre clé de succès : la data. Sur ce point, la Chine dispose d’un volume de données incomparable, dopé par l’absence d’un «RGPD» en tant que tel, qui, en Europe, vise à mieux encadrer leur recueil. Le pays compte près de 1,4 milliard d’habitants et représente un marché de «829 millions de consommateurs connectés», selon Patrice Nordey. Par ailleurs, la reconnaissance faciale, beaucoup plus démocratisée, par exemple pour payer dans les supermarchés Hema (Alibaba), implique aussi des données. «Alibaba n’est pas une société d’e-commerce mais de data», remarque, en marge, Stéphane Monsallier. À cela s’ajoutent les données de paiement, dans ce pays où le cash est de moins en moins usité, y compris pour les achats du quotidien. «Tous les détenteurs de téléphone mobile peuvent payer. [Pour les entreprises qui vendent], il suffit de mettre un QR Code à un objet. Il est interdit de ne pas accepter du cash mais en réalité… La Chine va devenir la première cashless économie, à horizon 2050», dessine Patrice Nordey, qui voit dans cet aspect, avec le fait que les Chinois voyagent de plus en plus et que la population soit jeune, une des raisons pour lesquelles le pays va vite.

Car l’état d’esprit des entrepreneurs chinois devrait aussi servir les ambitions en matière d’IA : capacité à aller vite, ténacité, optimisme. En comparaison, en Europe, l’IA a davantage tendance à inquiéter, notamment parce qu’elle détruirait des emplois. «La Chine a toujours été pour le progrès. Les Chinois ne sont pas du tout effrayés par la tech. Le terme AI, du jour au lendemain, est dans la bouche de tous les officiels», note Mingpo Cai, président fondateur de Cathay Capital. 



Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.