Prêt-à-porter
L'industrie de la mode, créée pour vendre du rêve, ne fait souvent que reproduire certains clichés... Après de nombreux ratages d'appropriation culturelle, les maisons traditionnelles se font aider pour éviter les faux pas.

Winnie Harlow, Adut Akech et Anok Yai, prochaines relèves de Claudia Schiffer, Linda Evangelista et Cindy Crawford ? Il fut un temps où mettre des femmes noires en couverture des grands magazines de mode était impensable. Edmonde Charles-Roux en a fait les frais. Rédactrice en chef du magazine Vogue jusqu’en 1966, elle s’est vue remerciée par la direction pour avoir imposé une mannequin noire en couverture. Avant Yves Saint Laurent, personne ne faisait défiler des mannequins noirs en France. Une tentative que le créateur espagnol Paco Rabanne suit également lors de son défilé en juillet 1964 à Paris, vivement critiqué par l’élite de la mode blanche.

« Caution noire »

Lors d'une interview accordée au Wall Street Journal le 26 octobre 2019, le mannequin Naomi Campbell n'a pas hésité à comdamner le milieu dans lequel elle travaille depuis des années. « Je sais ce que c’est que d’être la caution noire et c’est un sentiment désagréable d’être la seule mannequin noire sur un défilé de 70 mannequins. C’était inconfortable, je n’ai pas aimé ça. Mais si j'avais refusé, il n'y en aurait eu aucune », a-t-elle déclaré en toute franchise. Sans oublier le fait que maquilleurs et coiffeurs ne sont pas formés pour s’occuper des mannequins noires, souligne le top international. 

Sur les podiums, la diversité a du mal à défiler. Même si une amélioration se ressent, selon un rapport du site The Fashion Spot : en 2019, 38,8 % des modèles sur les 221 shows des quatre capitales de la mode de la Fashion Week d’automne sont non blancs. La bonne élève reste New York avec un mannequin sur deux (45,8%) de couleur. Une avancée qui n’a rien à voir avec la Fashion Week de 2013 où 9 % des mannequins étaient asiatiques et seulement 6 %, noirs. Paris arrive en deuxième place avec près de 39 % de mannequins de couleur.

Black Fashion Xperience

La Black Fashion Week a été entièrement créée par la styliste et créatrice Adama N’diaye dans le but de prôner cette fameuse diversité sur les podiums et surtout de mettre en avant les créateurs africains. « Nous n'avons pas de place dans la Fashion Week traditionnelle. Si nous existons, c’est qu’on n’a pas pu nous insérer. Le monde de la mode est très raciste, sectaire, la mode juge beaucoup et je voulais offrir une mode qui rassemble et qui nous ressemble », avance Adama N’diaye dans une interview donnée pour la chaîne France 24. Lancée il y a seize ans, cette mini Fashion Week dure trois jours (du 26 au 28 septembre) et mêle aussi bien les défilés que des rencontres. Son nom a d’ailleurs changé au fil du temps pour devenir la Black Fashion Xperience. « Je ne cherche plus de validation. […] Nous voulons amener les gens à partager cette expérience où finalement la mode n’est qu’un prétexte car ce show mêle l’art, la musique, le spectacle, un lifestyle pas seulement africain, une culture noire qui s’exprime au travers de la mode », complète la créatrice de la marque Adama Paris.

La mode africaine, ce n’est pas seulement des boubous ou de la wax... Des a priori complètement effacés avec l'arrivée de la nouvelle génération de stylistes africaines ou d’origine africaine. « Ce sont principalement des petites maisons avec des créateurs qui font bouger les choses. Le créateur américano-haïtien Kerby Jean-Raymond propriétaire de la marque Pyer Moss, Telfar Clemens, les créateurs de Daily Paper, Thebe Magugu lauréat du prix LVMH… Tous mettent en avant des communautés sous-représentées », énumère Sofia Slimani, responsable insight chez Nelly Rodi. Car la mode reflète l’ère du temps. Un temps où toute tentative d’inclusion au forceps fait mauvais effet. « Ce genre de comportements ne passe plus car les communautés et la société civile repèrent les bad buzz et les dénoncent. En espérant que pour la suite cela leur serve de leçon », explique Marie-Pierre Lannelongue, rédactrice en chef de M le magazine du Monde.

Les gardiens des bad buzz

« Black is back » titrait il y a peu le magazine de mode Elle. À la fois actrice et victime d’un bad buzz, la version allemande du magazine s’est fourvoyée, alors même qu'elle voulait évoquer la présence de it-girls noires au sein des grandes maisons de luxe, inversant les noms de ces top models. Mais que fait la fashion police ? « Quand Carolina Herrera recopie des motifs de communautés indigènes pour sa dernière collection Resort 2020, elle est immédiatement accusée de plagiat et d’appropriation culturelle. Pas seulement par l’individu, mais par le gouvernement mexicain », soulève Sandrine Ventura, fondatrice de l’agence Milla Rose, agence conseil en inclusion culturelle.

Un exemple parmi tant d’autres d’appropriations malvenues. Kim Kardashian qui nomme sa gamme de lingerie Kimono - retoqué par le Japon -, Gucci et son col roulé évoquant une blackface [maquillage en Noir] – retiré de la vente, Prada et son personnage noir aux grosses lèvres rouges « Otto » - viré des étals.

« En interne, les marques réagissent plus qu’elles n’agissent. Il s’agit d’un manque d’éducation sur le sujet, plus que de provocation. L'approche historique, culturelle et sociétale leur manque et au lieu de faire de l’inclusion, certaines marques de luxe continuent de s’approprier sans aucun droit la culture de différentes populations », met en lumière Sandrine Ventura. C’était sans compter les réseaux sociaux, avec qui toute tentative d’appropriation culturelle se voit victime de backlash [retour de bâton]. « Des comptes suivis par des millions de personnes tels que Diet Prada et Estee Laundry agissent comme des gardiens de ces badbuzz », avance Sofia Slimani.

L'urgence est d'autant plus grande que pour bien des marques, la caution diversité permet de se livrer à un discret woke-washing... « Elles ne peuvent pas d’un coup changer leurs mentalités, il faut aussi que les collaborateurs soient prêts. Des maisons comme Prada et Gucci ont fait le choix de s’entourer des meilleurs conseillers, au sein d’un board de la diversité. Des marques comme Chanel, Dior et Burberry engagent des chief diversity officer... Ces démarches sont nécessaires mais il serait plus intelligent d’embaucher de la diversité à tous les niveaux plutôt que de l’enclaver », répond Sofia Slimani. Faire de la mode responsable, dans tous les sens du terme. 

 

Lire aussi : Alerte au woke-washing

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.