Marketing
Après sept ans chez Fleury Michon à la tête du marketing, David Garbous quitte le navire. Considéré comme un pionnier dans les entreprises de l’agro-alimentaire, il part en pèlerinage pour prêcher la bonne parole du « mieux manger ».

Après sept années à la direction du marketing de Fleury Michon et un bilan positif, vous quittez l’entreprise. Que s’est-il passé ?

Lorsque je suis venu chez Fleury Michon, c’était pour son directeur général, Régis Lebrun. Son départ [en octobre 2019, pour des raisons de santé], a conduit à me re-questionner. L’arrivée du nouveau directeur [Billy Sahla, ancien patron de Bic et marketeur] était l’occasion de bouger et de mettre en œuvre la transformation que j’ai opérée pour Fleury Michon à plus grande échelle. Depuis que mon père m'a offert à 17 ans Le Tour du monde d’un écologiste de Jean-Marie Pelt, c'est ancré dans mes tripes : nous devons augmenter notre exigence envers notre alimentation.

Lorsque vous êtes arrivé chez Fleury Michon, l’ambiance n’était pas tout à fait au « mieux manger » chez les consommateurs, et encore moins du côté des industriels…

Je suis arrivé au moment de la crise de la viande de cheval dans les lasagnes [Findus]. Celle-ci a cristallisé un problème de confiance des consommateurs, qui a rejailli sur notre offre produits, en particulier les surimis. Comme pour les nuggets, personne ne savait vraiment ce qu'il y avait dedans. Problème, on était à deux semaines de sortir une campagne TV avec une famille attablée mangeant du surimi et son packshot… C’était chiant et dorénavant à côté de la plaque. J'ai bloqué la campagne, il a fallu repartir de zéro. Je revois encore Jean-Sébastien Tamisier, directeur général - activité traiteur de la mer, qui produisait le surimi, exploser en réunion car nous avions supprimé les conservateurs de ces bâtonnets, les additifs… Mais on était remis en cause à chaque occasion. Je me suis dit que c’était ça qu’il fallait dire. C’est ainsi qu’est née l’opération « Venez vérifier » [conçue par DDB Paris].

Pour 2014, ce genre d’opération portes ouvertes était iconoclaste dans l’agroalimentaire. Même si on imagine bien ces visites très préparées, comment avez-vous convaincu la direction ?

À nouveau, deux semaines avant de débuter l’opération – dont le premier volet emmenait les gens en Alaska pour découvrir la chaîne de fabrication du surimi – le comité de direction s’est mis à douter. Il a voulu tout arrêter. Le patron de la charcuterie m’a accusé de mettre la boîte en péril… Nous avons eu une explication virile. Il savait bien qu’après avoir montré des poissons mignons, ce serait une autre histoire lorsqu’il faudrait ouvrir les portes des abattoirs bretons.

Finalement l’opération voit le jour, et est même généralisée.

Nous avons emmené de 2014 à 2016 une vingtaine de personnes dont des journalistes et influenceurs, mais 18 000 personnes s’étaient inscrites pour participer à l'opération. Les gens pensaient voir L’Aile ou la Cuisse, mais on leur montrait que le surimi était bien fait avec du poisson. Le premier mois, les ventes ont augmenté de 24 %. Sur l’année, le surimi a pris 12 % pendant que le marché reculait de 5 %. Et on ne pouvait plus compter sur le régime Dukan qui avait dopé les ventes de protéines les années d’avant. Faire basculer une boîte est hyper difficile. Je pense qu’il faut être capable de commencer sur de petites parties et démontrer que ça marche. Deux ans après, c’est le patron de la charcuterie qui m’a demandé d’étendre l’opération « Venez vérifier » au cochon.

Pendant que vous dérouliez le tapis rouge aux clients et journalistes, d’autres passaient par la fenêtre, comme des membres de l’association DxE, et révélaient un autre angle de vue…

Ils nous ont pris au mot et sont venus vérifier, mais ils sont venus la nuit et ont tout fait pour montrer des animaux dans des conditions horribles. On leur a demandé pourquoi ils entraient par effraction la nuit, avec des éclairages rendant les images d’autant plus impressionnantes, alors qu’on leur aurait volontiers ouvert nos portes. Ils ont montré des cochons morts la nuit… Cela faisait partie des chantiers que d’installer des cages entravant les truies pour qu’elles ne les écrasent pas. On n’explique pas non plus qu’élever des porcs c’est Martine à la ferme… Mais nous échangions avec tout le monde, vegans compris – même si nous pensons qu’il faut garder un peu de viande dans son alimentation.

Les marques multiplient les engagements. Après les années de green washing, ne risque-t-on pas le mensonge de trop ?

Beaucoup font leur coming out, on est parfois abasourdis. Une belle enseigne de la distribution a adopté une posture si haute qu’elle peine à se mettre au diapason. Un grand patron de l’agro-alimentaire a le meilleur discours du monde mais son offre ne bouge pas vraiment… Il y a aussi certaines fédérations qui n’aident pas, où on voit des gens payés pour ne pas bouger.

Mais finalement, quelles conséquences ? Les résultats des fast-foods progressent toujours !

C’est simple. Si on se projette à 20 ans, soit une génération, et si on poursuit le modèle alimentaire construit collectivement depuis 50 ans, on va droit dans le mur. On va atteindre 10 milliards d’habitants et on va s’entretuer. Quand les hommes ont faim, les révolutions éclatent.

Est-ce au rôle du marketing de quitter le côté obscur pour flécher la consommation vers de meilleurs produits ?

Il y a un triptyque sociétal-marketing-communication à mettre en œuvre. Nous devons faire de l’engagement sociétal collectif le nouvel eldorado, le summum du cool. Nous devons créer une alliance stratégique de haut niveau entre com et marketing pour transformer la consommation et la rendre résiliente. Nous avons une chance inouïe, mais une responsabilité inouïe aussi.

Qu’allez-vous faire maintenant pour contribuer à matérialiser cette vision ?

Je suis en train d’écrire un livre sur la réussite d'une transformation. En me fondant sur 57 cas concrets, je veux montrer que c’est possible et enthousiasmant. Je monte aussi un master de marketing durable à l’ISC, qui se voudra très pratique. En parallèle, des sociétés me contactent pour que j’évalue les changements à exécuter en interne, comme Pierre Fabre récemment. Enfin, je veux capitaliser sur les États généraux de l’alimentation et créer une sorte de Davos alimentaire. Les attentes vont devenir de plus en plus critiques. La radicalité de l’opinion va s’amplifier ainsi que la pression sur les entreprises. Il y aura un bénéfice énorme pour les marques qui sortiront du bois et prendront des risques. Les autres, elles vont prendre cher.

Parcours

1996. Master Marketing EM Normandie.

2001. Responsable marketing Lesieur.

2009. Directeur marketing Lesieur.

2013. Directeur du marketing stratégique Fleury Michon.

 

 

Suite à la parution de cet article, Vincent Leorat, vice-president de DDB Paris, a souhaité publier un droit de réponse :

 

 

« La campagne « Venez vérifier » créée par DDB Paris a été achetée par les responsables de l’activité traiteur de la mer de Fleury Michon avant l’arrivée de Monsieur David Garbous chez Fleury Michon.
Il est donc faux de déclarer « (…) on était à deux semaines de sortir une campagne TV avec une famille attablée mangeant du surimi avec un packshot (…) j’ai bloqué la campagne, il a fallu repartir de zéro ».
L’agence n’a jamais proposé un tel film à Fleury Michon, et ce sont d’autres personnes que Monsieur Garbous qui ont acheté la proposition de l’agence »

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